Tiraillé entre la sérénité spirituelle et le danger, Nick Cave revient avec un double album teinté de blues aux allures tourmentées et de choeurs nourris à la soul music. Abattoir blues / The lyre of Orpheus ravivent la flamme plus alimentée depuis The Boatman’s call. Merci Saint Huck!
Avouons-le d’emblée, les albums No more shall we part et Nocturama nous avaient si peu enthousiasmé qu’on n’attendait plus grand chose de Nick Cave. Et on avait bien tort.
Première surprise : alors qu’un coffret de b-sides était prévu à l’origine pour être dans les bacs à l’automne 2004 (en fin de compte repoussé pour février 2005), on apprend que Nick Cave and The Bad Seeds ont enregistré à Paris un nouvel album.
Deuxième surprise : ce n’est pas un album mais deux dont nous gratifie l’australien Nick.
Troisième surprise : l’auteur de « The carny » ou « Red right hand » a retrouvé son ton obscur et son énergie scénique. Ainsi, au théâtre de la mutualité à Paris, les 15 et 16 novembre derniers, malgré un son excessivement fort et mal réglé (qui d’ailleurs valut un arrêt du concert de trois quarts d’heure le premier soir), Nick Cave et ses musiciens ont proposé un set musclé devant une foule qui vu les visages ébahis semblait être scellée sur place. Nettement plus apaisé et bavard le deuxième soir, le groupe joua ces deux jours une grande partie des titres des nouveaux albums Abattoir blues et The lyre of Orpheus réservant les encore pour revisiter son répertoire (« The mercy seat », « The weeping song », « The ship song », « Henry Lee », « Deanna », « City of refuge »…).
Quatrième surprise : à l’instar des chorales gospel, Nick Cave s’est entouré de choristes qui donnent aux chansons une touche soul, témoin le très spirituel « New Morning » qui chanté par ces choeurs a de quoi vous donner la foi.
Fallait-il les concerts pour revoir le cas Cave ? La rédaction Pinkushion est divisée. Ce qui est sûr, c’est que la relecture des nouvelles chansons dans une approche brute pour la scène a mis en valeur la puissance mélodique des compositions. Revenant à un son direct et une interprétation tendue, Abattoir blues / The lyre of Orpheus ont l’avantage de ne pas se perdre dans une instrumentation soyeuse où la mélancolie domine. L’esprit est toujours tourmenté et rédempteur mais contrairement à Nocturama par exemple, le phrasé y est plus aérien et nettement moins noyé dans les nappes de cordes.
Musicalement Abattoir blues et The lyre of Orpheus sont très proches et c’est sûrement pour cette raison qu’ils se retrouvent à la vente dans un même coffret. Aussi, c’est plus du côté du thème lyrique qu’il faut trouver une différence. Composés à partir d’une même structure musicale (piano, violon, choeurs où viennent s’ajouter une fois le corps des chansons sculpté guitare, basse, batterie) Abattoir blues et The lyre of Orpheus se différencient dans l’imagé, le poétique. Si Abattoir blues a plus un côté intriguant, fiévreux voire sardonique comme sur les titres « Cannibal’s hymn », « Hiding all away », « Messiah ward » ou « Nature boy », The Lyre of Orpheus est plus emplie de mélancolie, d’amour apaisé et élégiaque avec des morceaux comme « O Children », « Breathless », « Carry me » ou encore « Babe you turn me on ». Mais sous des airs de tranquillité, le jeu reste sec, nerveux. Ainsi, Abattoir blues serait à rapprocher de Tender prey ou Henry’s dream alors que The Lyre of Orpheus serait le penchant de The good son ou Your funeral, my trial. Mis bout à bout, les deux albums seraient un concentré de Murder ballads et Kicking against the pricks, du blues des églises joué par le diable.
Car ce qui ressort de ce double opus est le retour à des racines blues et soul interprétées avec fièvre. Tout d’abord, l’instrumentation se fait l’écho du cri d’hommes partagé entre la foi, l’amour retrouvé et l’espoir d’un monde meilleur. Le piano n’a plus cette sensualité retenue aux ambiances feutrées mais est dicté par un tempo enlevé, le violon se fait plus discret au profit de guitares tranchantes, la batterie est haletante, plus les choeurs s’envolent plus l’esprit devient menaçant et envoûtant. Puis, l’écriture de l’australien suit ce rythme soutenu. Elle paraît de nouveau fluide, ardente, taillée dans le vif comme dans une lutte personnelle et toujours aussi agitée. La poésie de Nick Cave ressemble comme à son habitude à des contes aux invocations bibliques mais même si le confort spirituel est quelque fois trouvé, le danger semble de nouveau l’habiter. Le calme n’est que de surface et c’est dans le chaos et la déraison qu’il est le plus attachant.
Même si derrière Abattoir blues / The lyre of Orpheus se cache des moments d’apaisement, le malaise est palpable, la bile parle. En continuant à provoquer ses démons, les compositions de Cave gagnent en inspiration et en jeu aéré où se détache un dialogue entre chaque musicien et choriste à la limite de l’improvisation jazzistique.
Comme des brebis qui s’égarent en chemin mais rappelées par le berger, Nick Cave and The Bad Seeds ont su retrouver la verve de leurs débuts et la sérénité perdue depuis The Boatman’s call. A la recherche du réconfort spirituel depuis des années, espérons que le grand Nick Cave est encore loin de le trouver car c’est le désordre et le danger qui rend sa musique aussi passionnante.
-le site de Nick Cave and The Bad Seeds