Rencontre avec le musicien brooklynois Zachary Cole Smith, phoénix renaissant de ses cendres avec son second album imposant, Is the Is Are.


L’histoire avait pourtant bien commencé. Celle d’un premier album, Oshin, sorti en 2012 sur le très en vogue label US Captured Tracks, et dont les strates de guitares réverbérées rêvaient de remettre sur l’échiquier le triangle amoureux dream pop/post-punk/shoegazing. En s’y appliquant de manière fort habile et ambitieuse. Derrière ces entrelacs de six-cordes en lévitation, un seul homme, le new yorkais Zachary Cole Smith, désigné trop vite par la presse spécialisée nouvel espoir de la cause rock indépendante. Conséquence prévisible, l’ascension de DIIV stoppe net quand son leader sombre dans les poncifs de la rock star : addiction à l’héroïne, sessions studios désastreuses, cure de désintox, départs du bassiste et du batteur… Ironie de son nom, DIIV (plonger en français) semblait bien prendre l’eau partout.

Mais l’histoire connaît un retournement inattendu digne d’un thriller de M. Night Shyamalan : Is the Is Are, imposant double album à paraître le 5 février prochain, éclabousse nos doutes. Un disque vertigineux de 75 minutes, dont il faudra bien pour en faire le tour. Certes, peut-être un poil trop long, mais il suffit aujourd’hui d’un ”clic droit” pour supprimer les quatre ou cinq pistes de remplissage parmi les 17 gravées. Et se laisser aspirer par les hypnotiques “Out Of Mind”, “Yir Not Far” jusqu’au final époustouflant d’électricité implosée; “Waste of Breath”, bel et bien à couper le souffle.

Is the Is Are est le récit de cette lente descente aux enfers, mais aussi celui d’une rédemption. Zachary Cole Smith que nous avons rencontré début décembre accompagné du claviériste/guitariste Colin Caulfied (que l’on avait déjà croisé en solitaire sous l’excellent Young Man) ne cache pas les causes derrière ce come back. Le petit ami de la chanteuse, modèle et actrice Sky Ferreira (qui chante sur Blue Boredom) nous confie que venir à bout de ce disque était son seul salut, sa dernière chance.

Lire également notre chronique de l’album

Pinkushion : A la surprise général, DIIV est de retour avec nons pas un simple, mais un double album, rempli à ras-bord de dix sept morceaux.

Zachary Cole Smith : Sincèrement, j’en suis très fier. Ce disque est le résultat d’une très longue période d’écriture et de travail. Mais cet effort a payé. Au départ, je ne savais pas trop où tout cela allait nous mener, jusqu’à ce que nous le terminions récemment. Il y a quelque chose de spécial autour de ce disque, notamment du fait des circonstances dans lequel il a été réalisé (ndlr : nous l’avons évoqué plus haut, Zachari Cole Smith a traversé une période d’addiction et enchaîné avec une cure de desintoxication…), et aussi du fait d’avoir été capable d’accomplir ce disque. Je sais que c’est bizarre de sortir un double album, mais j’avais besoin que ce disque sorte tel quel. Chaque chanson à tellement son propre contexte, sa propre histoire. Mais malgré tout, je sais qu’il fonctionne bien ainsi.

Pourquoi ne pas avoir choisi l’option de sortir un album puis un EP ? Sortir un double album pour un jeune groupe, ce n’est pas habituel.

Je pense qu’un double album en dit beaucoup sur la personne qui la fait. On sort seulement un double album si on a quelque chose à dire. Je suis conscient aussi que ce genre d’entreprise est facile à critiquer, mais c’est quelque chose dont je voulais quelque part en être. Je voulais qu’on sente ce côté très humain, avec ses qualité et ses défauts. Faire quelque chose de prudent, sans se mettre en danger, ça ne m’intéressait pas. Je voulais faire quelque chose de risqué et ambitieux : soit la réussite était au rendez-vous, soit c’était l’échec et alors le danger était d’autant plus grand. Mais enregistrer un deuxième Oshin n’aurait pas été honnête.

Tous les morceaux ont été composé après Oshin. Il y a seulement une partie d’un morceau, le pont chanté sur Valentine, que j’ai emprunté d’un autre très ancien. On a passé beaucoup de temps à chercher ce qui conviendrait à Valentine. Et puis je me suis souvenu de cette partie et je me suis dit qu’elle conviendrait très bien. Tout a été composé entre novembre 2012 et novembre 2014.

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Vous avez produit vous-même Is the Is Are . Parmi les nouveautés sur le disque, le chant y est plus distinct.

Les paroles étaient très importantes pour moi, et je voulais vraiment cette fois qu’elles soient accessible, qu’on prenne la peine de les écouter avant tout. En général, la plupart des gens n’écoutent pas les paroles. Mais mon point de vue a changé dessus depuis que j’ai rencontré certaines personnes, notamment ma petite amie Skye. Elle écoute en premier les paroles des disques. Et je voulais qu’elle prenne plaisir à écouter mon album. Musicalement, je pense que les chansons du nouvel album sont solides, mais les paroles sont tout aussi importantes dans la compréhension du morceau. Il y en a beaucoup sur le disque, et je voulais les présenter de manière substantielle. Je sais que parmi les défauts du premier album, certains fans se plaignaient aussi de ne pas entendre les paroles. Ce fut une de mes priorités que de régler ce problème. Il y aura donc cette fois les paroles dans le livret du disque. Ce sera un livret d’une trentaine pages, chacune illustrée d’une peinture originale. Les paroles sont imprimés sur la plupart de ces peintures.

Cela fait partie de l’évolution du groupe. C’est important que pour chaque chanson de l’album, dès les dix premières secondes, on puisse reconnaître une chanson de DIIV.

Ce qui fait la spécificité du groupe, ce sont les arpèges cristallins que vous tirez de vos guitares. Un son qui se rapproche d’illustres groupes anglais comme The Chameleons et Ride… J’imagine que lorsque votre premier album est sorti, beaucoup de gens pensaient peut-être que vous étiez anglais.

D’un certaine manière, il peut y avoir des similitudes avec Ride et tous ces groupes shoegaze, mais je pense aussi que nous le faisons différemment. On peut en effet leur emprunter certaines textures, mais notre son est plus brut et mélange d’autres influences, notamment le krautrock par l’usage que nous faisons de la batterie. Nous n’avons non plus pas de refrains ou de structures se rapprochant de chansons classiques. Nos lignes mélodiques sont davantage influencés par la musique africaine. On joue deux lignes mélodiques différentes qui s’imbriquent ensemble. On essaie de faire notre propre truc.

Les autres membres du groupe prennent-il part à l’écriture des morceaux ?

A la base, j’écris tout seul les morceaux et toutes les parties de guitare. Je les joue et les enregistre, idem pour les parties de basse. L’autre guitariste Andrew, ainsi que Colin, le guitariste/claviériste, m’accompagnent en concerts. Mais leur aide fut crucial lorsqu’on a commencé à travailler sur les nouveaux morceaux dans un local à Los Angeles, car on est un peu interchangeable. Colin joue de la batterie sur un des morceaux de l’album par exemple. Lorsque nous étions à LA, Colin était aux claviers, je jouais de la basse et Andrew était à la guitare, on enregistrait ainsi les démos. J’avais accumulé quelque chose comme soixante-dix démos. On a fait un énorme tri ensemble, pour filtrer tout ça et exploiter les meilleures idées, quel tempo choisir, ect. Leur aide et leurs conseils sur les arrangements furent précieux sur le disque. Mes démos sonnent assez incomplètes, j’ai besoin d’un oeil extérieur. A la fin des sessions à LA, le disque était quasiment terminé.

“Waste of Breath”, le dernier morceau de l’album, vous ouvre une nouvelle perspective pour le prochain album, par la manière dont vous utilisez la distorsion.

Absolument. J’ai écouté des groupes grunge des années 90 comme Alice in Chains, mais aussi du post rock comme Slint, et je me disais qu’il serait amusant de faire quelque chose plus sur la brèche. La vérité, c’est que je suis incapable de planifier quoi que ce soit au-delà trois jours, donc je n’ai encore aucune idée sur la direction du prochain album. Mais je pense qu’il serait cool de creuser cette voie.

Colin Caulfielf : J’avais cette même impression lorsque tu nous a fait écouter pour la première fois cette démos. Je ne pensais pas qu’on allait ajouter cette lourde distorsion au morceau. Ou alors seulement sur la première section de la démos.

Zachary Cole Smith : En fait, “Waste of Bearth” a été construit à partir de deux différentes démos, avec une première partie calme et la seconde plus heavy. On a essayé de les coller ensemble, et ça a plutôt bien fonctionné. J’ai hâte de la jouer en concert, les gens ne s’attendent pas à cette explosion électrique. A l’époque du premier album, nous avions l’avantage d’avoir rodé longtemps les chansons en concert. Avant de les enregistrer en studio, on jouait cinq ou six soirs par semaine. On savait exactement quelles chansons étaient les préférés des fans, lesquelles le public réagissait le mieux. On a construit Oshin à partir de notre setlist des concerts. Cette fois pour Is the Is Are, nous n’avions pas ce luxe. Nous jouions les morceaux live pour nous, pas pour le public. On s’est donc laissé guider par notre intuition. C’était terrifiant d’un côté, mais de l’autre, ce fut une bonne expérience. J’ai appris à faire confiance en mon instinct.

Allez-vous jouer l’intégralité de l’album lors des prochains concerts ?

On va probablement avoir l’occasion de jouer presque tous les nouveaux morceaux. On les a d’ailleurs déjà joué presque tous en concert. C’est compliqué opur certains morceaux acoustiques au piano, comme « Healthy Moon », qui demande un traitement particulier. Nous n’avons joué Valentine qu’une fois pour le moment, mais il me tarde de la jouer lors de la prochaine tournée.

Colin Caulfielf : “(Napa)” est le seul morceau que nous n’avons pas encore joué en concert.

Colin, vous avez déjà sorti quelques disques sous votre propre entité, Young Man. En tant que songwriter, comment décririez-vous la musique de Zachary Cole Smith ?

Colin Caulfielf : Difficile de mettre des mots sur ce que cette musique me fait ressentir, mais je dirai qu’elle relève du transcendant. C’est vraiment une musique que l’on prend vraiment plaisir à jouer en concert.

Zachary Cole Smith : Oui, c’est un peu comme si on se laissait se perdre. Chaque partie est simple, mais réunies, elles forment un ensemble conséquent. Sur scène, je m’évade complètement, j’oublie qui je suis, où je suis, ce qui se passe. Cela en devient presque méditatif.

Colin Caulfielf : Il y a beaucoup de similitude avec le krautrock, de par les motifs répétitifs que nous utilisons. Certaines chansons ont ces éléments, mais aussi des qualités psychédéliques spécifiques. Notre approche du songwriting est très différente. Moi je suis orienté sur les accords, j’ai tendance à en mettre beaucoup. Juste observer le songwriting de Cole est éclairant, car nous sommes opposés dans nos approches.

Zachary Cole Smith : Mon songwriting est pour moi un processus totalement étrange. Je n’ai aucune idées quelles sont les rêgles d’écriture, mais je suis fasciné par les progressions harmoniques que peuvent former ensembles deux lignes de guitares et une basse. Pour moi, c’est toujours un plaisir, car chaque fois que j’enregistre une démos, je ne sais jamais ce qui va advenir au final. Je peux aussi bien écrire la meilleure chanson de l’univers que la pire daube.

Enfin pour terminer, quels sont vos cinq albums favoris ?

Zachary Cole Smith :

Cat Power, What Would the Community think ?
Johnny Thunder, Hurt Me
Arthur Russell, Love is overtaking Me
Elliott Smith, Roman Candle
Television, Marquee Moon

Colin Caulfielf :
Arthur Russel, Love is Overtaking Me
D’Angelo, Voodoo
The Replacements, Let It Be
Jorge Ben Jor, Força Bruta
The Reels, Beautiful

– Lire également notre de chronique de Is The Is Are (Captured Tracks/ Differ-ant)


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