Si la musique n’était plus qu’affaire de quotas, de projections médiatiques et de hype minutieusement marketée, si les jeunes musiciens signés étaient condamnés à la reconnaissance immédiate sous peine de sombrer irrévocablement dans l’oubli, il est fort probable dans ce contexte «universalien» (mais nous n’en sommes pas encore là, n’est-ce pas ?) que le talent de Cass McCombs n’aurait pu éclore. Ni même passer le cap du troisième album. Apparu en 2002 avec son dandysme timide façon Jonathan Richman et ses airs de Morrissey somnambule, Cass McCombs ne rentrait définitivement pas dans le moule slim des canons rock en vigueur. Perdu dans les grands couloirs des majors, l’enfant de Floride âgé de 30 ans serait certainement affublé du qualificatif barbare d’« artiste en développement ». Mais voilà, le vilain petit Cass est devenu cygne !
Comme nous l’expliquions, c’était pourtant mal parti. Pour A, son premier album, nous ne lui accordions qu’un « C » en estimant le fruit encore un peu trop vert. Croisé par deux fois lors de premières parties parisiennes (l’une catastrophique à la Maroquinerie, puis une seconde, plus enlevée sur la scène du Point Ephemere pour le nettement meilleur PREfection), nous étions encore loin de soupçonner en lui l’étoffe d’un démiurge. Sa troisième livraison est bel et bien la bonne. Et c’est peu dire que Dropping The Writ opère son coup d’état artistique – l’expression signifiant « dissoudre le gouvernement ». Devant le fait accompli, on ne peut que ravaler sa salive et nos pronostics bidons, s’incliner et savourer.
Il aura fallu trois albums pour que Cass McCombs s’affirme enfin, révèle l’aspérité de son caractère en retournant ses petites imPRefections en atouts majeurs. Son maniérisme un peu arty qui le (nous) freinait, son écriture contemplative, cette coolitude, on ne peut dorénavant plus s’en passer. Dropping The Writ est un disque ivresque, tout en suspens, génial. C’est son sommet et aussi son disque le plus pop. Mais attention, une pop sans refrains véritables – ou du moins flagrants – McCombs n’a pas cette prétention là et est trop habile de ses mains pour tomber dans les travers de la démonstration : pas de Barnum symphonique ou de surcoupes electro, juste quatre musiciens esthètes en totale symbiose. Et cela en devient presque émouvant. On savait ce chanteur et guitariste hors-pair capable par le passé d’écrire une grande mélodie coulée et insidieuse – ce fut le cas avec “Sacred Heart” sur PREfection. Il réitère plus que de raison sur ces dix pépites, mettant même tout le monde d’accord avec une chanson universelle, “That’s That” à la légèreté incarnée, arpèges en parfait équilibre, rien à retoucher, on touche du bout du doigt la main du Créateur.
McCombs s’essaie à différents styles (folk, new wave, psychédélice pop, croonerie sixties) servis par un songwriting érudit et jouant de son falsetto caressant. Le très Soft Boys “Lionkiller” s’ouvre sur cette sirène captée dans la rue et qui retentissait déjà à la fin de PREfection. On s’éloigne pour rentrer dans son aristocratie pop : chaque pièce derrière ses apparats sobres dissimule une originalité et une élégance folles. Ce sont quelques doux accords brésiliens qui nous cueillent ensuite littéralement sur “Pegrant Pause”, avant de vaquer vers les grands espaces verts de l’Americana (“Petrified Forest”), puis on reste dans les bois avec “Full Moon or Infinity” qui convoque l’orfèvre Elliott Smith et l’autre étoile Syd Barrett à leur zénith. Ou encore Deseret, folksong baroque entourée de cierges. Quelques embruns nostalgiques viennent se déposer sur le bois de “Windfall”, renversante… Le genre de chansons qui rendent heureux et serein, en paix. Pour un artiste en développement, à ce train-là, son quatrième album devrait perforer la couche d’ozone.
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