Le folkleux de Seattle revient avec un album plus calme après la rage électrique d’I Break Chairs sorti l’année dernière. Un album touchant et plus riche en sonorités que ses prédécesseurs.
Plus de dix années se sont déjà écoulées lorsque Seattle déversait sur le monde entier une nouvelle génération de rockers tourmentés, vêtus de chemises à carreaux et affilié au bien nommé mouvement « Grunge ». Quelques temps plus tard, la flamme des médias s’atténua, emportant avec elle « feu » Kurt Cobain et une flopée de groupes éphémères. La ville retrouva bien vite son anonymat d’origine. Depuis, beaucoup pensent que la cité industrielle échouée sur la côte pacifique Nord de l’Oncle Sam ne produit plus que des Airbus à la chaîne. C’est sans compter sur le résident Damien Jurado, dont la carrière confidentielle résiste tant bien que mal à la grisaille sidérurgique ambiante.
Apparu au milieu de la décennie précédente en distribuant ses cassettes via son propre micro-label, le jeune homme est remarqué par Sub Pop où il signera quatre albums dignes de folk-rock aux forts accents lo-fie. Mars 2003, Where Shall You Take Me? officialise une nouvelle étape dans sa carrière artistique en signant chez la petite structure Secretly Canadian, foyer d’accueil de Songs : Ohia , l’Anglais Nikki Sudden, et quelques projets solos des membres de Guided By Voices.
Dans le sillage d’un Pedro The Lion, Hayden et quelques autres songwriters US ayant émergés durant la seconde période des 90’s, les chansons de Damien Jurado ont un parfum de réminiscence emprunté au country-rock d’un Neil Young période Tonight’s The Night. L’expérience des guitares électriques sur l’étonnant I Break Chairs (2002) qui tranchait sur ses travaux folk précédents ont permis d’étendre sa palette de couleur et se dégager des complexes du larsen et autres expérimentations. Sur « Amateur Night », le morceau d’ouverture du nouvel album, Jurado murmure plus qu’il ne chante, entouré d’un motif ambient qui n’aurait pas dénoté sur les premiers travaux solo de Brian Eno. Plus loin, on bascule dans le ton désenchanté d' »Abilene ». Accompagné d’un piano sobre, une brise nous prend par surprise. Sur « Window », le fantôme country de Graham Parson réapparaît grâce à l’apport de la voix de Rosie Thomas (le duo s’était déjà distingué sur l’album l’hommage au Nebraska de Springsteen).
Mais pour mieux décrire l’univers de Damien Jurado, son site Internet donne déjà un arrière-goût dans la section « Blog ». Là, il nous raconte en bon père de famille ses humeurs et autres tranches de vies familiales. La dernière en date évoquait l’obsession de son petit garçon pour son nouveau jouet, une locomotive qu’il trimballe partout dans la maison. La musique de Damien Jurado peut se résumer à cela : des histoires simples et touchantes, consolidées par une musique chaleureuse.
La richesse des ambiances et le ton apaisé de Where Shall You Take Me? rangent ce cinquième album parmi ses oeuvres les plus abouties et accessibles. Une belle réussite artistique et un nouveau compagnon de route en cette fin d’hiver plutôt rude.