Depuis le split du mythique Dream City Film Club, Michael J Sheehy nous a délivré trois albums intimes et racés, prouvant qu’il n’a pas volé sa place dans la grande école des songwriters. A l’occasion d’une date parisienne le 9 avril dernier, l’anglais au crane dégarni nous parle de son dernier album « No Longer My Concern », mais aussi de ses aspirations, la guerre et ses autres passions…
Q : Ton troisième album solo « No Longer My Concern » peut être vu comme le dernier acte d’une trilogie commencée par « Sweet Blue Gene » puis suivie par « Ill-Gotten Gains ».
Quelles sont les raisons qui t’ont poussé à réaliser cette trilogie ?
En fait rien n’a été pensé au départ, je n’avais pas envisagé de réaliser une trilogie. Le lien entre les trois albums vient de la façon dont ils ont été enregistrés et écrits sur une période assez courte d’où le rapprochement entre eux.
J’ai très peu tourné durant ces trois années ce qui m’a laissé le temps d’écrire car souvent en tournée on est trop occupé pour vraiment composer.
Le fait que ces albums se rapprochent dans leurs thèmes sur l’alcool, les vies déchirées, les relations entre personnes est venu comme ça.
J’ai besoin de faire une pause dans ma musique, de reconstruire certaines choses et d’écrire des chansons d’une autre façon. Tout est spontané et rien n’est prévu à l’avance.
Q: As-tu eu des réserves quant à l’enregistrement et la sortie du dernier album. Il semble délicat de parler de problèmes personnels, de se livrer et se mettre à nu car les chansons sont livrées au regard des autres.
En effet, ce troisième album n’a pas été évident dans sa forme, je me suis posé des questions et eu des réserves à le réaliser à cause des raisons dont tu disais mais je ne chante pas pour des extra-terrestres, chaque humain connaît ou a vécu des relations plus ou moins tourmentées, difficiles à gérer, tout ceci est universelles et est relaté à travers mes chansons. Tu ne dois pas trop te soucier de ce que pensent les gens sur toi sinon tu ne pourrais rien faire.
Q : Les thèmes traités dans tes chansons sont récurrents, n’as-tu pas peur de tomber dans une sorte de complaisance de la tristesse ?
J’essaie toujours de me battre contre cette façon d’écrire sur la tristesse, de ne pas tomber dans quelque chose de vraiment complaisant ou insensé. J’aimerais pouvoir écrire sur des sujets plus gais mais du fait que je n’écoute essentiellement que des chansons tristes j’en suis imprégné. D’une certaine manière, ces chansons me touchent plus me remuent plus, il n’y a pas de bons ou mauvais sentiments. Chaque chanson t’apporte quelque chose et c’est son but. Franchement il y a beaucoup de merde dans la musique et c’est peut être aussi pourquoi je recherche des sentiments profonds voir tristes.
Q: Quels thèmes pourraient-tu aborder dans ton prochain album?
En ce moment, je fais une pause dans ma musique donc je n’ai pas encore songé à la direction du prochain album. Il se peut que je conçoive un album de reprises, l’idée pourrait être sympa mais rien n’est planifié aujourd’hui.
Q: Comment as-tu ressenti la fin de Dream City Film Club?
(silence) La séparation m’a laissé une sorte de tristesse. Quand on passe du temps avec des gens et qu’on arrive à ne plus se parler c’est triste. Je savais que Dream City Film Club ne pouvait pas durer dans la nature de ce que nous faisions, d’ailleurs nous n’avions pas l’intention de durer.
Q: Quel rapport entretiens-tu avec un groupe du fait que la plupart du temps tu tournes seul?
J’apprécie jouer avec un groupe, c’est plus plaisant que de tourner seul. Mais j’aime bien aussi le côté se découvrir, intime que peut réserver le solo. En groupe, certains aspects peuvent être mal interprétés, dénaturés. Avec Dream City Film Club en concert nous étions arrivés à une certaine violence musicale, même si j’aime les extrêmes, certaines émotions se perdaient. Lorsque tu composes dans un groupe tu dois consulter les autres membres et certains points personnels ne te représentent pas forcément alors que maintenant je me reconnais dans ce que j’écris.
Tu sais il n’est pas facile de vivre pendant des mois avec un groupe ; beaucoup de disputes éclatent et détériorent les relations amicales mais du fait que je ne tourne peu, il m’est difficile de me fâcher avec mes amis (rires).
La raison pour laquelle je tourne peu est que peu de personnes achètent mes disques et donc ma maison de disque ne me donne pas d’argent pour aller en tournée. Je suis fatigué de l’industrie musicale et du business qu’il y a autour.
Q : A part la musique, as-tu d’autres centres d’intérêt ?
J’aime beaucoup lire et regarder des films. Samuel Beckett est un de mes écrivains préférés tout comme Gabriel Garcia Marquez qui est vraiment exaltant. David Lynch me touche beaucoup, Fellini étant quand même mon réalisateur favori.
« A bout de souffle » de Godard et « Pierrot le fou » sont très bons.
Quand j’étais plus jeune je peignais. J’écris des nouvelles mais pas destinées à être publiées, c’est avant tout pour moi, je ne me sens pas assez confiant pour les diffuser. J’aime bien écrire, au moins pendant ce temps je ne bois pas (rires).
Q : Y a t-il des personnes avec qui tu aimerais travailler ?
J’aimerais bien travailler avec Sinead O’Connor, elle a une voix formidable, j’aimerais aussi écrire des chansons pour Marianne Faithfull, surtout des voix féminines.
J’apprécie l’attitude des White Stripes, Jack White est très talentueux et à une approche simple de la musique, ils me font penser aux Cramps dans leur façon de se réapproprier le blues.
Will Oldham est probablement l’un des meilleurs songwriter aujourd’hui. Je me reconnais aussi chez Nick cave, Johnny Cash, stupéfiant sa façon de reprendre les chansons des autres.
Q : As-tu un jour songé à arrêter la musique ?
Je n’ai jamais été intéressé par l’argent, de toute façon je suis fauché je n’en ai juste que pour survivre. Je n’ai pas un niveau scolaire suffisant, j’ai quitté l’école très jeune, pour faire autre chose. C’est vrai que lorsque je n’ai plus d’argent j’aimerai bien pouvoir trouver un boulot.
J’ai commencé à jouer de la musique quand j’avais quinze ans, par la guitare. Je ne suis pas un bon musicien, j’ai une approche très simple de la musique, je ne suis pas un virtuose mais juste assez pour créer mes propres compositions. J’essaie de mettre le plus de moi dans ma musique, je crois que si tu mets ta propre personnalité dans la musique tu peux sortir quelque chose de bien, ce n’est pas évident surtout les jours où tu te sens mal. Lorsque je suis sur scène je ne sais pas comment va sonner le concert mais je fais de mon mieux pour retranscrire des émotions.
La musique m’affecte jour après jour. Ecrire est la chose qui me rend le plus heureux au monde. Même si je ne mène pas une grande carrière, c’est à travers le plaisir de s’exprimer que je m’épanouis.
Q: Comment te positionnes-tu par rapport aux sites web proposant des échanges gratuits de musique ?
Les maisons de disques sont avides de pouvoir et de contrôle mais je ne pense pas que le téléchargement gratuit peut dénaturer l’approche à la musique comme elles le croient.
Je me souviens dans les années 1980, les gens enregistraient sur des K7 audio et les maisons de disques disaient que copier la musique allait la tuer, c’est des conneries. Je pense que si on aime vraiment un disque on l’achète en magasin. La raison pour laquelle on a peur de ces échanges de fichiers audio par mp3 est que n’importe quel mec peut faire sa compilation, prendre les chansons (trois ou quatre) qui les intéressent par album car le reste c’est de la merde. Mais si les albums étaient de qualité, que toutes les chansons se tenaient ce phénomène ne se produirait pas. Mais malheureusement la musique est devenue un business alors qu’elle ne devrait que peu coûter.
Mes albums sont vendus autour de dix sept livres sterling mais je n’ai aucune chance de vendre des disques, le problème est que s’il n’y en a pas en quantité tu ne peux pas baisser les prix.
Q : Comment réagis-tu face à la situation actuelle dans le monde que ce soit d’un point de vue politique qu’économique ? (Ndlr Les Etats Unis et l’Angleterre sont en conflit avec l’Irak).
Ce qui me met en colère c’est de voir des millions de gens qui défilent dans la rue pour protester contre la guerre et les gouvernements s’en foutent, n’écoutent pas ce qu’on a à leur dire. Tu te sens blessé, pas écouté, frustré. Quand tu vois les millions de dollars qui s’envolent dans les bombes et tout ça pour des raisons économiques car sauver un peuple ils s’en battent.
En Angleterre, beaucoup d’artistes qui protestaient contre la guerre ont été accusés par les médias de profiter de leurs positions pour favoriser leur propre carrière. Je ne sais pas si certains d’entre eux le faisaient pour cette raison mais il est clair qu’exposer son art peut entraîner les gens à réagir.
Pour ma part, je trouve difficile de me positionner politiquement dans mes chansons, la chanson la plus engagée que j’ai écrit était sur le fait que les bars à Londres ferment trop tôt (rires).
Michael J Sheehy, « No Longer My Concern » (Beggars)