Deux heures avant un concert à la Cigale complet depuis belle lurette, nous avions rendez-vous avec la grande Chan Marshall pour ce qui se révèlera un des entretiens les plus délurés auquel nous ayons assisté. Le papier qui suit a longtemps fait l’objet de tergiversions au sein de la Pinkushion Team, du fait du caractère assez spécial de l’interviewée. Nous nous sommes finalement résolu à le publier, car il reflète bien la personnalité de cette chanteuse à la fois attachante et torturée.
Une interview de Cat Power devrait être filmée tant l’action se passe devant nos yeux. En perpétuel mouvement, libre de ses actes, Chan Marshall ne tient pas en place ; à la recherche d’une bouteille de vin (l’interview n’a pu commencer qu’une fois une bouteille amenée !), à courir derrière un chat, parler en mimant ses ballades à cheval, blaguer avec ses amis présents sur le toit d’un immeuble parisien, nous demandant de prendre la pose alors que le batteur de son groupe filme avec une caméra super 8 la scène.
Chan Marshall est une personne sincère, qui peut être à la fois distraite et confidente, destructrice et charmeuse en l’espace d’un même instant, un tout qui fait d’elle une personne attachante.
L’interview précédente s’étant finie sur une discussion sur les signes astrologiques et les comportements qui en découlent, les présentations faites, chaleureuses et longues, Chan Marshall nous demande aussitôt nos signes astrologiques, envisageant les possibles conflits positifs et négatifs par rapport au sien.
En attendant qu’une nouvelle bouteille de vin soit débouchée, Chan nous montre ses bleus sur toutes les parties de son corps, et nous explique que le whisky en est la cause. Elle nous confie que saoûle, elle ne contrôle plus son corps se cognant à tous les objets placés près d’elle.
Après cet interlude des plus pittoresques, son téléphone portable sonne. « C’est le gouvernement » nous dit-elle. N’arrivant pas à entendre son correspondant, elle essaie en vain de savoir qui l’a appelé. Puis elle se lance dans une énumération de noms enregistrés dans son mobile, : David Bowie, Bob Dylan, Nina Simone, Anne-Laure (Ndlr son amie française présente à l’interview), Eddie Vedder… et crie d’un seul coup à tue tête en apercevant la bouteille de vin « wine, you got it« .
Pinkushion : As-tu l’impression qu’écrire des chansons est une sorte de reflet de la vie, des rêves?
Chan Marshall:Lorsque je compose, j’exprime mes pensées, je cherche à développer un sens personnel de ce que je perçois, ce n’est pas toujours évident. Et puis je ne veux pas tomber dans une sorte de complaisance, ou d’évocation d’une partie sombre de ma vie. Mes chansons sont le reflet de ce qui m’entoure, des gens que je côtoie ou que j’ai pu rencontrer. J’essaie plus de parler des autres que de moi, de ce qui m’affecte, je trouve ça plus intéressant.
(Ndlr : Sans dire un mot, Chan s’en va de la terrasse, puis revient, l’air de rien, 5 minutes plus tard pour nous parler de sport).
Q: J’ai entendu dire que tu nageais bien?
Chan: J’adore nager. En été, j’essaie de nager le plus souvent possible mais depuis quelques temps je ne fais plus d’activités sportives. Lorsque j’étais plus perdue et désespérée qu’aujourd’hui, la nage m’aidait à évacuer cette lourdeur que j’avais à l’intérieur. Etre dans l’eau est comme si j’étais dans l’espace, un endroit vide où tu libères tes mauvaises pensées.
Q: Quel autre sport pratiques-tu?
Chan: Anne-Laure m’a appris à monter à cheval. La première fois que nous en avons fait c’était en Louisiane en pleine campagne. Avant d’en faire, j’avais peur et puis lorsque tu es sur un cheval tu es comme une « superwoman ». La deuxième fois c’était en Afrique du Sud, sur un cheval grand et beau, qui soufflait sans arrêt. (Ndlr Chan se met à souffler comme un cheval) Je me suis dit ça va aller. On trottait tranquillement dans les dunes, on a croisé des nomades, on a descendu les vallées, c’était fou. (Ndlr : elle pousse un gigantesque hurlement qui a le don de nous faire rebondir de stupeur) La fois d’après c’était en Australie sur la plage, on trottait tranquillement (Ndlr : elle claque ensuite des dents pour imiter le trot) et pour une raison indéterminée, le cheval s’est mis à galoper, je me suis dit merde, j’essayais de garder mon calme, je me tenais au cheval comme ça…
(Ndlr : elle nous montre la position qu’elle avait sur le cheval. Puis une bouteille de vin est apportée, Chan se lève pour embrasser la fille qui tient la bouteille, reviens s’assoir et reprend son explication).
Je m’agrippais à la crinière du cheval, à moitié assise sur la selle, mes jambes étaient en l’air, les gens autour de moi me regardaient et d’un seul coup le cheval s’est arrêté et a soufflé. J’étais vraiment en colère. La différence avec la nage, c’est que nager c’est comme conduire une voiture, tout est calme autour, c’est comme un silence alors que monter à cheval c’est (Ndlr : Chan se met à hurler).
Q: Fais-tu facilement confiance aux gens qui t’entourent?
Chan: A mes débuts, c’était flatteur d’entendre les personnes me faire des compliments. Mon père est musicien et lorsque j’ai signé mon contrat discographique, j’avais l’impression de devoir le remercier alors que je ne demandais rien, pas même de l’argent. Maintenant, il me dit que ce que je fais est cool. J’ai de la chance car je connais des personnes qui jouent de la musique et n’ont pas la possibilité de sortir de disques. Alors mes disques sont une sorte d’hommage à ces gens.
Q: Parmi toutes les chansons écrites, t’était-il facile de trouver une certaine cohésion pour l’album?
Chan: J’avais composé presque quarante chansons et toutes sonnaient différemment et c’était difficile de faire un choix, de retenir quelques chansons. J’avais deux feuilles de papier remplies d’idées sur les chansons et il m’était difficile de les séparer, de faire un cercle pour retenir une même atmosphère, de distinguer les chansons les plus simples à l’écoute, les plus faciles à comprendre.
Ma chanson favorite sur l’album est « I don’t blame you » car je l’ai écrite en dernier, et comme toute chose qui arrive en dernier est encore très présente dans ton esprit.
(Ndlr : Un chat arrive sur le toit, Chan s’arrête de parler et s’approche de lui en disant en français « le tigre », et imite les ronronnements du chat).
Q: Parles-tu français?
Chan: Un peu : « putain fais chier, trou du cul » (Ndlr : dans la langue de Molière).
Q: As-tu des animaux?
Chan: J’adore les animaux, j’ai un chien.
(Ndlr : Afin de poursuivre l’interview nous suivons Chan à la poursuite du chat, essayant en vain de l’attraper. Il faut voir au moins une fois dans sa vie Chan Marshall allongée sur le sol en train de miauler, tentant de caresser le chat. Le nom « Cat Power » prend enfin tout son sens!).
Chan: C’est très Ernest Hemingway!
Q: Quel type d’auteur lis-tu?
Chan: Faulkner, McCulloch, Johnston sont mes écrivains favoris. J’ai lu quelques trucs de Flaubert. Je ne connais que très peu Baudelaire, Rimbaud. En fait, je ne lis pas.
Q: J’ai entendu dire que tu effrayais les garçons?
CHan: (Ndlr : D’une voix douce et navrée) Vraiment?
Q: Aimerais-tu composer la bande son d’un film?
Chan: ça me tenterait assez. (Ndlr : Le maudit chat refait son apparition, Chan demande à tous ceux présents autour d’elle de se taire, pour attirer le chat et l’emmener avec elle).
Cela sera un film d’Harmony Korine. J’adore ce mec.
Q: Qu’as-tu fait de pire dans ta vie?
Chan: Je n’ai pas dit à mon père combien il était grand et que je l’aime beaucoup.
Q: As-tu l’impression d’avoir changé depuis ton album « Myra Lee »?
Chan: Ma personnalité tout comme ma musique a évolué au cours des années. Je vais avoir trente deux ans et je ne vois pas la vie de la même façon que lorsque j’ai commencé à enregistrer mon premier album. Je n’écoute pratiquement pas de musique. Seuls Otis Redding, Michael Hurley, et Bob Dylan me passionnent. Je les écoute tout le temps.
Q: Comment interprètes-tu les reprises?
Chan: Je m’approprie complètement la chanson et essaie d’en donner une interprétation personnelle. Si je reprends un artiste ce n’est pas par manque d’inspiration ou comme une simple relecture mais une approche intime, c’est de l’amour. Dans mes prochains concerts je reprends Aretha Franklin.
Q: Ecoutes-tu du jazz?
Chan: Beaucoup. John Coltrane. Il faut voir ces mecs jouer en concert, c’est ahurissant! Toute la structure du jazz est là devant nos yeux.
FIN DU PERIPLE
Cat Power, You are free (Matador/Beggars)