Pellicule, premier album de Davide Balula, est un accident miraculeux entre electronica épileptique et folk-rock destructuré. Une très belle surprise qui augure d’autres aventures tout aussi passionnantes. Davide nous rejoint dans une brasserie à deux pas de chez lui. Avec son skate sous le bras, le jeune musicien/plasticien s’installe à notre table et commande un café. Remarquablement courtois, il se laisse titiller par des questions pas vraiment réglo mais le prend avec plaisir et pose autant de questions que son interlocuteur. Un chic type quoi.


Quel est ton parcours musical ?

Davide Balula : Je suis originaire d’Annecy. Au départ, j’ai commencé à jouer dans un groupe de noisy pop il y a sept ans. J’étais guitariste et m’occupais aussi des arrangements, sampler, clavier. Ce fut une belle aventure, on a fait deux disques ensemble, assez marqués Pavement/Sonic Youth. On était un peu comme une bande de potes, on avait un peu développé la chose et puis finalement nous nous sommes séparés… C’est toujours un peu compliqué d’évoquer une séparation, mais il y avait différentes raisons : je crois que l’on avait tous envie de choisir des directions différentes. Il y avait cinq personnalités bien particulières – en même temps, c’est ce qui faisait la force du groupe. Peu de temps après, j’ai décidé de poursuivre seul. C’était il y a deux ans.

Comment as-tu commencé à travailler en solo ?

Toute mon énergie était consacrée au groupe, mais je composais aussi quelques trucs seul à côté. En solo, tu évolues dans une situation assez différente par rapport à un groupe. Avec le groupe, c’était assez live et « énergie brute », tout de suite. Forcément tout seul, tu n’arrives pas à capter cette énergie, alors je m’en suis éloigné.

Au départ, ma méthode consistait à enregistrer avec deux mini-disc. C’était le même principe que le quatre pistes avec la technique du « ping-pong » (ndlr : on empile les pistes sur une autre). C’était très bricolo mais en même temps assez bien car il y a plein de contraintes. Les contraintes te forcent à accepter des choses avec lesquelles tu ne peux pas passer au travers. Ce fut une bonne expérience.

Tu évoluais encore vers quelque chose de noisy ?

Après le groupe, je n’avais plus de batteur et ça ne m’intéressais pas d’utiliser une boite à rythme. Donc je voulais vraiment aussi faire des choses différentes. En même temps, j’étais intéressé aussi bien par un apport électronique que par la composition. Quand tu joues avec une batterie et une basse, tu ne peux pas chanter d’un certaine manière à cause de la contrainte du volume.

Venant d’un guitariste rock, c’est quoi qui t’a donné envie de travailler sur un PC ?

Les possibilités offertes ! Déjà, j’ai toujours été fasciné par les ordinateurs, que ce soit par rapport à Internet ou pour les graphismes. Cela m’a paru évident d’utiliser cet outil dès que j’en ai eu l’envie.

Comment es-tu rentré en contact avec le label Active Suspension ?

J’étais étudiant à Strasbourg l’année dernière. Un ami à qui j’avais fait écouter mes premiers morceaux m’a conseillé d’envoyer une démo au label Active Suspension. Je ne les connaissais pas à l’époque, mais je leur ai envoyé un cd. Puis je suis monté jouer sur Paris dans un In-shop de Tsunami Addiction, une sorte de convention qui mélange un peu tout : art, musique, mode etc. J’ai donc découvert Active Suspension par rapport à ça.
Au début, je ne savais pas trop comment me situer par rapport au label, car leur catalogue était vachement électronique. Ce que je présentais – même s’il y avait bien quelques incursions électro – se rapprochait plus d’une écriture traditionnelle.

Finalement, en rencontrant les autres musiciens d’Active Suspension, on a vu que l’on avait dans nos goûts plein de groupes en commun, que ce soit en électronique et ou en rock. Cela passait du Beat Happening aux Spacemen 3. Tout cela m’a réconforté. Il y avait donc moyen de faire quelque chose d’intéressant tout en restant ouvert à des propositions autres que musicales, notamment le travail plastique et des interventions artistiques comme les In-shop. Dès le départ, c’était ce genre de rapports que j’avais envie d’entretenir avec un label.

Avant Pellicule, tu avais sorti une poignée de 45 tours au tirage très limité…

Ce qui était intéressant là aussi pour ces disques, c’était de travailler de manière artisanale sur ces 45 tours au tirage ultra limité. Là, j’ai tout contrôlé de A à Z, que ce soit autant au niveau de la musique que du visuel. J’aime l’idée que l’on puisse acheter un objet un peu unique.

Le contenu était ce que l’on pouvait retrouver sur l’album ?

Non, en fait ce n’était pas du tout les titres de l’album. L’intérêt était justement de les avoir uniquement sortis en vinyle. En fait, il n’y a qu’un morceau que l’on retrouve sur l’album dans une version différente. Sur chaque single, il y avait une face avec un morceau à moi, et une autre face où je collaborais avec d’autres artistes du label. C’était hyper intéressant car cela m’a permis de rencontrer des gens et de créer des échanges avec eux.

Comment travailles-tu exactement ? Es-tu en autarcie dans ta chambre à bricoler tout seul sur ton pc, ou es-tu plutôt du genre à inviter et à privilégier les collaborations?

Un peu des deux. Pour les collaborations, il y a vraiment des rapports assez différents qui s’installent selon la personne avec qui tu travailles. Avec Hypo par exemple, nous avons plus fonctionné sur base d’échanges, d’envois par le biais d’Internet ou de disques. C’était assez drôle de bosser comme ça. Avec Olivier Olamm, nous nous sommes rencontrés pour rectifier certaines choses. J’avais donné une base de travail au départ. Avec Domotic, je suis parti chez lui à Marseille à la Siota. Là, on a vraiment bossé tous les deux : j’ai écrit un morceau qu’on a réarrangé. Sur ces trois expériences, j’ai réagi de manière vraiment différente selon les gens que j’ai rencontré : soit directement en le faisant tout de suite, soit après des commentaires.

Lorsque j’ai écouté Pellicule pour la première fois, j’avais l’impression de voir un alchimiste en plein travail, tentant de trouver tel parfum, voire une équation inédite. Il se dégageait quelque chose d’assez mathématique…

C’est assez drôle ce côté alchimie !(rire) C’est vrai que de toute façon je crois que c’est un facteur assez présent dans le rapport de composition que peut entretenir un musicien. Surtout quand on marche avec des rapports empiriques avec le son.
Comme je suis guitariste et que je compose principalement avec cet instrument, les idées me viennent assez naturellement. Mais en général, j’ai assez peur de la facilité. Du coup, dès que ça devient facile, je m’interroge (rire). J’ai vraiment essayé de chercher la surprise sans que ce soit dérangeant : il fallait que le morceau fonctionne comme un tout.
Mais tout dépend. Je bosse pas mal dans un premier temps sur une écriture mélodique. Une construction qui marche ensuite avec des arrangements qui sont enregistrés vraiment pour tel moment dans la musique. Il y a aussi ce côté recherche, j’avais vraiment envie de chercher et de me surprendre avant tout.

Chercher l’accident en quelque sorte…

Et bien, c’était pas vraiment l’accident parce que si tu prêtes l’oreille, il y a des accidents un peu partout et tu peux t’arrêter sur tout ce que tu entends. Je suis plutôt en quête d’une espèce d’émotion qu’il faut réussir à saisir à un certain moment dans le morceau et essayer de la soulever un petit peu. Voilà, ce que j’ai essayé de faire.

Dans la biographie de Pellicule livrée à la presse, il y a un passage qui dit : « Davide Balula mélange des variations numériques éclatées en symbiose avec un biotope acoustique fait de croisements et d’échanges qui ornent les résonances d’une ballade folk envoûtée et envoûtante. » Ne trouves-tu pas l’usage de certains termes prétentieux ?

Heu… peut-être, mais ça ne me choque pas plus que ça. En même temps ce n’est qu’une bio… je ne sais pas, tu l’as pris comme ça ?

Disons que ça peut prêter à confusion…

(Visiblement embarrassé) Je ne veux pas dire que le contenu de la bio est faux, parce que ça se rapproche assez de ce à quoi je tends. Quand je vois tous mes morceaux, ils se réfèrent assez à une idée qui va déclencher la composition (sculpture, performances…). L’idée « biotope », je trouvais cela bien adapté parce que tu peux descendre dans chaque couche du titre – que ce soit mélodique ou de timbre sonore – chaque fois tu peux y descendre ou remonter. Maintenant, pour ce qui est de cette phrase, je trouve qu’elle représente assez bien le disque. Peut-être que c’est la formulation qui t’a dérangée…

Peut-être bien. Pellicule se rapproche donc d’un album concept mûrement réfléchi…

Oui et non. En même temps, je ne peux pas complètement dire que c’est un album concept. Pour moi, un album doit représenter une idée globale et cohérente entre tous les titres. En vérité, je n’aime pas le mot concept qui est trop souvent utilisé par les publicitaires ! En tout cas, je pense qu’il y a effectivement une idée qui regroupe les morceaux. Je ne revendique pas « c’est un concept album », parce que je n’ai pas envie de conditionner les gens qui l’écoutent à essayer de savoir quel est le concept. J’ai d’abord envie que les gens l’écoutent d’un point de vue personnel.

L’album est criblé de parasites sonores. Est-ce que tu prends beaucoup de temps à chercher ces sons ?

Comme j’utilise pas mal de sons concrets avec une simple prise micro, j’arrive facilement à imaginer où il aura sa place dans mes chansons. Le plus long finalement dans cette démarche, c’est d’arriver à ce que je veux. Peut-être que c’est ça le côté mathématique ! (rire)

Des groupes comme Slint, My Bloody Valentine voire Autechre semblent avoir compté pour toi…

Ce sont des groupes que j’écoute mais je ne les revendique pas vraiment comme influences. Durant l’enregistrement de l’album, j’écoutais de la bossa des années 60. En réalité, je n’écoutais pas vraiment de musique électronique ni de rock. En même temps on peut retrouver dans ma musique des intentions similaires à l’univers d’Autechre avec ce côté déconstruit et glacial. Il y a un rapport entre les sons qui prime. Chaque élément marche parce qu’il est raccroché à quelque chose d’autre. C’est ce qui m’intéresse dans Autechre ou dans le rapport guitare/voix de Joào Gilberto. Ce qui compte, c’est la différence de potentiel entre deux points qui font qu’il se passe quelque chose.

Comment ça se passe sur scène ?

Il y a différentes formules. C’est vrai que je ne pourrais pas vraiment reproduire exactement mon disque en live, et je ne sais pas de toute façon si cela serait vraiment intéressant. En ce moment, je travaille avec Stéphane Garry qui joue aussi avec Domotic, nous faisons une version plus épurée du disque. Je fais des guitares/voix et lui se charge des parties son/clavier/lap-top. Mais je veux garder ce rapport très simple guitare/voix que je trouve très important.

Sur ton album, on ne décèle d’ailleurs aucune trace de batterie…

Lorsque j’ai quitté le groupe, ça ne m’intéressait pas de reproduire une batterie, ou tout simplement de travailler sans batteur. J’ai commencé à composer mes chansons avec les instruments que j’avais sous la main et les gens que j’ai rencontré. Je pense que si j’aurais eu un batteur sous la main, cela aurait été un autre album, complètement… C’est comme si je rencontrai un chanteur, pour moi c’est pareil.

Donc peut-être que maintenant à ce stade la question se pose d’inclure une batterie.

Oui, peut-être bien. En tout cas, je pense différemment maintenant. Les morceaux avaient été faits très spontanément… maintenant, c’est vrai que le fait d’être aussi sur Active Suspension a dû m’influencer.

Tu es aussi plasticien, qu’est-ce qui te plait le plus : les arts plastiques ou la musique ?

Dans mes travaux plastiques, il y a de toute façon toujours un rapport avec ma musique, et vice-versa. Pour moi, vraiment les deux côtés marchent ensemble et je ne me pose pas la question de savoir si je devais choisir l’un ou l’autre.

Par rapport à ton environnement plastique, ton site Internet est aussi très particulier. L’internaute n’est pas maître du déroulement et doit explorer divers chemins à travers une sorte d’algèbre numérique…

J’estime que ce n’est pas à moi de donner des informations sur des dates de concert, ma bio etc. J’ai plus envie qu’il y ait un rapport de voyage, de prolonger l’aventure que je proposais sur disque. Moi j’ai choisi une voie comme ça, après bon… (rire) peut-être que c’est aussi important d’échanger des informations, mais je préfère laisser le label faire ça…

Quels sont les albums que tu écoutes en ce moment ?

Live in Montreux de Joao Gilberto, Jomboree de Beat Happening, Une compilation d’Alan Lomax, une compilation aussi de farmers américains, ce sont des chants à capella, super beaux…

Et s’il ne devait en rester que deux?

Envoyé brut comme ça ,disons Dots and loops de Stereolab, Goo de Sonic youth.

Davide Balula, Pellicule (Active Suspension/chonowax)


Davide Balula sera en concert le 18 septembre à Bruxelles (Nuits botanique), le 24 à Paris (Café de la Danse) et en première partie de Broadcast le 29 septembre toujours au Café de la Danse (15”)

-Le site de Davide Balula

-Le site d’Active Suspension