C’est à un nouveau genre musical -réussi- que nous convient les norvégiens de Motorpsycho et de Jaga Jazzist Horns. Lorsque le jazz se frotte au rock sans issue de secours, ça décoiffe!
La série In the Fishtank trouve son origine dans le label indépendant hollandais Konkurrent. L’idée est simple : donner l’occasion à un groupe ou deux d’enregistrer pendant deux jours dans leur studio, enfermés comme dans un aquarium, d’où le nom de la série. Le résultat est époustouflant, puisque lesdits groupes ont carte blanche sur ce qu’ils veulent jouer : soit ils jouent leurs chansons, comme en concert, soit ils font des reprises, ou, enfin, et c’est ce que l’on attend plutôt d’eux, ils « improvisent » des chansons dans ce laps de temps plutôt écourté. Une seule chose est assurée par le label a priori : le résultat est pressé, quel qu’il soit.
Mais je vous rassure tout de suite, les tenants de ce label ne prennent pas trop de risques. Jugez-en plutôt par les artistes déjà invités et qui ont donné lieu à un disque In the Fishtank : Sonic Youth, Tortoise, Guv’ner etJune of 44.
Motorpsycho et Jagga Jazzist Horns figurent donc sur le -déjà- dixième enregistrement de la série commencée en 1996. Mais qui sont ces deux groupes, scandinaves de surcroît, qui viennent enregistrer au pays des moulins leur rencontre de deux jours?
Motorpsycho est un vétéran de la scène rock alternative norvégienne. Avec Bent Saether (basse, vocals), Hangus Magnus Ryan ( à la guitare) et Hakon Gebhardt à la batterie, le trio peut se targuer d’avoir à son actif plusieurs albums reconnus comme excellents, comme Roadwork, Vol. 1: Heavy Metall Iz a Pose, Hardt Rock Iz a Laifschteil, dont rien que le titre annonce déjà un programme plus qu’alléchant. C’était en 1998. Et cet album clôturait leur période hardeuse qui a d’ailleurs assis une réputation d’enfer pour ce qui est de leurs représentations scéniques.
Et puis voilà que depuis l’an 2000, avec Let them eat Cake,Barracuda et Phanerothyme
l’année dernière, les fjords virent allégrement vers la pop joyeuse et mélodique des Beach Boys. Se sont-ils assagis? Oui, ils montrent surtout qu’ils sont ouverts aux autres styles et démontrent de surcroît, comme d’autres avant eux, qu’il n’y a rien de mieux qu’un groupe dur pour faire du doux.
Et l’autre? Jaga Jazzist est un collectif norvégien qui marie l’électronique et le jazz, comme Cinematic Orchestra, et sont hébergés par le bien connu label de qualité Ninja Tune. Ils ont une existence bien plus courte, 3 ans, et n’ont sorti que deux albums, dont The Stix cette année. A noter que nous n’avons ici qu’une partie des membres du collectif, les bien nommés Horns, qui veut dire cuivres en anglais.
Le mariage du rock, car c’est plutôt leur passé plus dur que Motorpsycho a privilégié ici, et des cuivres est plutôt surprenant. Et très atypique. C’est un nouveau style que nous propose cette jam session norvégienne, et si vous aimez le rock et le jazz je ne vois pas de raison à ce que vous n’aimiez pas la combinaison gagnante que voici.
Bent Saether se permet même de chanter sur deux morceaux, « Pills, powders and passion plays » et sur le très délirant « Theme de Yoyo », où il joue de sa voix comme d’un instrument à vent. L’ambiance devait s’y prêter, la bonne humeur aussi. On pense même à certaines périodes de Frank Zappa, tant la déstructuration tient lieu ici de fil conducteur. Et puis tout le monde a son mot à dire, et lorsque le solo de guitare serpente entre les trompettes on est véritablement enivré par tant d’aisance dans l’improvisation.
Ahhhhh, lorsque la barrière de la langue n’existe pas, qu’est-ce qu’on peut faire comme prouesses! Prince aussi m’a traversé l’esprit. Enfin, je crois que vous avez saisi l’esprit de la chose. Il faut ajouter que les gaillards se sont déjà croisés à l’occasion de festivals, et se sont prêtés au jeu du « et si on jouait ensemble histoire de s’amuser un peu ».
Comme si cela ne suffisait pas, le dernier titre, « Tristano », vous propose 20 minutes (20.53 exactement) de montée époustouflante. Ça commence comme The end des Doors, tout doucement, mine de rien, au piano et à la guitare, avec des cymballes et un tambourin, ça continue avec des sonorités expérimentales (comme Pink Floyd années 70) et chaque instrument -la batterie, la flûte, le synthé, les cuivres- rejoint la marche effrénée vers la symbiose entre tous les musiciens pour finir par former un bel orchestre, même éphémère par définition.
La carte blanche de Konkurrent, le fait que ces musiciens, tous norvégiens, se connaissent a certainement contribué à faire de cet album une belle réussite sonore, rentrant dans une nouvelle catégorie hybride que l’on pourrait baptiser par « free out-rock jazz expérimental ». Mais on se gardera de le faire car ce n’était, pour sûr, nullement le but recherché que d’être étiqueté ceci et cela.
-Le site de Motorpsycho
-Le site de Jaga Jazzist
-Le site de Konkurrent