Si vous cherchez encore la bande son du nouveau millénaire, vous l’aurez à coup sûr avec ce disque de musique ‘moderne’, qui demande à son auditeur de chasser les préjugés pour se laisser envahir par ce consortium mystérieux.


C’est un drôle de disque que j’ai eu à chroniquer ici. Avec le recul, je dirais que tout, de l’approche à l’impression finale, concourt à l’idée, et certainement à l’ambition du duo qui forme K.I.M., duo étrange qui est à la musique ce que l’art moderne ou abstrait est à la peinture.

La -vraie- biographie du duo est introuvable. Même le labelTigersushi se contente de donner une version humoristique à la mords-moi le noeud. Derrièce ce pseudo étrange se cache fonc Flokim Lucas et Jimi Bazzouka. Ce dernier est, nous raconte-t-on, un activiste végétarien (Meat is Murder apparaît d’ailleurs sous le CD promo, en grosses lettres) et était soi-disant un militant anticapitaliste qui n’hésitait guèrre à taguer des buildings respectueux aux Etats-Unis ou à copiner avec des guérilleros de tous bords, pourvu qu’ils soient anti-américains. C’est dans le jardinage que monsieur aurait compris l’inutilité à terme de son combat, et, ne vous en déplaise, dans l’art, ou plus exactement dans la musique, son salut. Quant à Flokim Lucas, on ne sait pas grand chose, si ce n’est qu’il s’agit d’une femme, asiatique de surcroît.

Et le nom qu’ils ont choisi, me direz-vous, qu’est-ce que c’est que ça? K.I.M. : Kern.Im.Mordsee, comprenez Ulrich Vordstorm, un obscur chef de secte philosophique. Enfin, tout ça est bien joli, il semble surtout que c’est un joli foutage de gueule, de prime abord. Mais ce qui nous intéresse, n’est-ce pas la musique de ces énergumènes qui veulent se démarquer des masses? On y va? Allez…

Hébergés par le très ambitieux et arty label Tigersushi.com, devenu entre-temps un label indépendant distribué par Discograph, gage de qualité donc, le duo décide de compiler en un disque, Miyage (souvenir en coréen), leurs créations propres et les disques qu’ils aiment, comportant tout de même leur touche de maître… une approche qui m’a directement fait penser à un reportage dans l’émission Strip-Tease, où un « artiste » créait un tableau dont les pinceaux sont un couple en plein débats amoureux, pendant que ledit artiste leur lance des pots de peinture sur le corps…

Tout commence comme un film asiatique avec Arthur Lyman et son « Ringo Oaiwake », une musique de piano bar pour hôtel de luxe… C’est fou ce que le ringard revient à la mode. Puis, avec François de Roubaix (Chapi Chapo ? C’était lui. Les grandes gueules, c’était lui. Et L’homme Orchestre, c’était encore lui…), et sa minimaliste « La scoumoune », on voit où est allé pomper Add N to X… Fort de cette comparaison, K.I.M. part explorer les méandres de la techno expérimentale et de la musique populaire russe avec « Kim-Kus ». Moondog participe du même phénomène.

Quand arrive « Jezebel » d’Edith Piaf, on comprend non seulement la grande ouverture d’esprit du concept retenu ici, et qui a, du coup, séduit l’avant-gardiste Tigersushi, car qu’y a-t-il de plus branché que d’aller chercher des vieilleries. DIRTY l’avait déjà compris avant, et leur compilation Dirty Diamonds en atteste. On comprend également qu’en nous servant des vieux de la vieille à la sauce dite moderne, voire futuriste, on montre la tentation qu’il y a à nier l’évolution pour en montrer l’absurdité assourdissante.

Ce disque donne la sensation de voyager sur une croisière, où l’on rencontre non seulement plusieurs tribus et leur(s) musique(s), mais où l’on voyage également dans le temps, tout en ayant la possibilité de s’assoupir dans un coin du paquebot et d’écouter de la musique « facile à écouter », oui, mais ô combien futuriste. Oui, car que penser de cette immersion dans une sorte d’oeuvre à l’orgue de Jean-Sébastien Bach revu et corrigé par Un drame Musical Instantané? Et de ces chants ethniques dans « Kimosphere » ?. Le titre de Pierre Bastien, « Eh ! Gueuse : Herse Hisse de Ceste Isle », semble tiré d’un de ces nombreux reportages animaliers que l’on se surprend à regarder si longtemps avec fascination. Ecoutez « Death of an oakim » si vous voulez retrouver un peu de la bande sonore de Massacre à la tronçonneuse.

Une chose est en tout cas certaine : ce disque, malgré les nombreuses fioritures et autres gadgets devenus tellement prévisibles dans tout ce monde artistique dit moderne, à la recherche non de la nouvelle star, mais du nouveau concept à même de laisser bouche bée les snobinards bourgeois à la recherche, eux, d’une Rédemption quelconque, se laisse, aussi bizarre que cela puisse paraître, aisément écouter. Et le premier étonné, c’est moi, réticent a priori à ce genre de choses. Ce disque m’aura ouvert les portes de la perception sans préjugés, et ça, c’est énorme. A moins que je sois un bourgeois à la recherche…

Même des titres plus que craignos comme le « Xylophone » d’Asa Chang and Junray, qui marie un chanter anglais ostensiblement entaché d’un accent japonais à des sitars indiens, vous vous y laisserez prendre. Les choeurs gospel de Joubert Singers dans « Stand on the Word » ajoutent ce côté surréaliste si cher au duo, qui mélange (subtilement) le disco au gospel. On croirait écouter un disque trouvé à 20 centimes d’Euro dans une brocante, où la valeur de la chose écoutée n’en a que par son côté ‘J’ai découvert un truc sensationnel’ pour épater la galerie.

Enfin, trois titres viennent saupoudrer de bonheur cette très bonne compilation. Tout d’abord, Psychic TV et son « Ov Power » fait un bien fou, ainsi que le légendaire « Sex beat » du The Gun Club, ces deux titres ont véritablement été choisis à merveille. Ils donnent une touche de folie supplémentaire qui n’est vraiment pas pour déplaire. Enfin, le « Meat is murder » des Smiths, ‘bénéficiant’ de la patte de notre mystérieux duo clôt de manière grandiloquente (grand-guignolesque?) cette compilation du XXIéme siècle.


-Le site de K.I.M.


-Le site de Tigersushi