La bande de Mike Patton nous convie avec Fantômas aux frontières de l’expéri »métal ». Gageons que ce projet fou rentrera dans l’histoire comme les avant-gardistes d’un nouveau style passionnant. Le tout est de savoir lequel…
Fantômas… Ce super-groupe plus qu’hybride, savant mélange de hardcore/death metal, de musique de dessins animés, de jazz et de musiques de films a été créé par -qui d’autre que- le déluré Mike Patton, au lendemain de la mort de Faith No More. Ayant fait appel à Trevor Dunn, collaborateur fidèle depuis une bonne quinzaine d’années au sein de Mr Bungle, connu pour ses mélanges de genre (metal, funk, jazz, ska, techno), la formation se stabilise avec Dave Lombardo, batteur de Slayer et Buzz Osbourne des Melvins.
Déjà riche de trois albums, Fantômas se veut être une sorte de nouveau terrain d’expérimentations opératico-mystico-délirantes, largement nourries par la folie de Patton, également chanteur de Tomahawk, sans parler de ses nombreuses collaborations… Fantômas devient avec le temps plus qu’un simple joujou puisqu’il a ici fait appel au producteur de Norah Jones, Husky Hoskulds, pour enregistrer deux albums dont celui-ci. Le suivant devrait sortir avant juin.
Le premier album, éponyme, décontenançait l’auditeur par son fouillis anarchique d’un nouveau genre. Le deuxième, The Director’s cut, plus abordable, s’amusait à reprendre des thèmes de grands classiques du cinéma pour les passer à la moulinette. Et arrive donc cet album, Delirium Cordia, beaucoup plus abordable encore (quoique), qui montre que l’ambition du groupe allait bien au-delà des espérances de certains et surtout de leurs critiques, y voyant le caprice passager d’un Mike Patton dégoutté du business entourant le rock. C’est la raison pour laquelle il a créé son propre label, Ipecac, aux fins d’abriter ses propres groupes et d’autres encore, qui ont en commun de ne pas correspondre au formatage des maisons de disque ordinaires.
On entend le disque 33 tours qui est posé sur un tourne-disques, tout peut commencer. Delirium Cordia se compose d’un long morceau de plus de soixante-dix minutes, comme un acte scénique d’une nouvelle espèce, où sur des bruits dignes de films d’horreur, la batterie de Dave Lombardo vient faire irruption, aidé en celà par la guitare fluide d’Osbourne, la basse lourde de Trevor et la voix, ô combien reconnaissable et talentueuse de Patton. Très vite, des chants de moines moyenâgeux plantent le décor, donnant à Fantômas une dimension mélodieuse et, surtout, assagie qu’on ne lui connaissait guère. Cet album semble suivre, a contrario des précédents et de leurs prestations scéniques, un fil conducteur.
On passe toujours d’une ambiance à une autre, avec vers la sixième minute, un mini-festival de percussions (y inclus des applaudissements) très enjoués, puis des cloches diverses et des gémissements, des cris font irrémédiablement penser au savoir-faire de Pink Floyd en termes de bruitages et d’ambiances diverses (des rires, le vent qui souffle, les horloges…). Mais ce qui semble le plus lier toutes ses séquences, c’est un goût plus que prononcé pour les bandes originales de films fantastiques, avec une nette préférence pour l’horreur et l’épouvante, des années 30 à aujourd’hui.
Fait nouveau aussi, Mike Patton ne se contente pas seulement de gargarismes et autres cris d’hystérie en guise d’instrument vocal, mais chante véritablement juste (minute 33), même si c’est sans paroles, des mélodies. Cet album joue énormément sur l’assoupissement de son auditeur, pour ensuite l’extirper de sa torpeur et l’effrayer, faisant de la musique, il est vrai, une expérience « totale ». C’est très réussi.
Cet album déconcerte, comme les précédents, mais il devient peu à peu attachant, comme un film d’horreur qui vous fait peur, mais, vous ne savez pourquoi, vous attire constamment, comme le loup ou les fantômes attirent les enfants. On pense beaucoup à Ligeti, le compositeur fétiche de Stanley Kubrick. Avec ici un atout : l’imagination est infinie, tout est possible puisqu’on ne voit rien. Si vous avez le courage de l’écouter très fort, sur une très bonne chaîne Hi-Fi, le soir, toutes lumières éteintes, il vous flanquera une de ces frousses…
Delirium Cordia est un voyage dans le temps également, puisqu’on démarre par des chants de moines et qu’on glisse peu à peu dans des bruits de plus en plus proches de notre époque, pour enfin se retrouver dans ce qui semble être le futur. A espérer qu’il ne soit pas aussi terrifiant… Mais Fantômas nous rassure, en terminant cette aventure par des riffs de guitare enlevés et jouissifs, soulignés par les soupirs de Patton… A partir de la minute 55, le bruit d’un 33 tours qui tourne et câle sur un tourne-disque se fait entendre jusqu’à la fin. (74 :16)
-Le site de Fantômas
-Le site de Ipecac