Une rencontre avec le leader de Lambchop restera toujours un moment à part. Dès la poignée de main franche et ce regard sincère, on sait que l’homme qui est assis en face de nous ne tiendra pas un discours de promotion pré-établi.
Kurt Wagner nous parle de sa surprise de voir de la neige à Paris, de ses voyages en Europe et du regret de n’avoir pas assez de temps pour flaner dans les rues des villes visitées.
Qu’il évoque son travail d’ouvrier, sa méthode d’écriture, l’évolution musicale de Lambchop, la politique, ses influences, notre homme reste toujours humble. Même si le discours de Bush l’énerve, même s’il se sent flatté de la reconnaissance des albums de son groupe, il ne montre ses sentiments que par petites touches, un rire par ci, un geste par là, enlève puis remet sa casquette. Ces attitudes simples mettent en valeur un chanteur compositeur discret qui s’ouvre à tout ce qui l’entoure et qui ne se mettra jamais en avant par pur pose.
Kurt Wagner : Mon goût pour la musique est venue de mes parents incontestablement. Avant d’en jouer eux-mêmes, ils étaient très admirateurs et érudits de musique classique essentiellement. Aussi très jeune, j’ai baigné dans cet univers artistique. J’ai appris les rudiments classiques et je me devais de bien faire du fait de l’exigence et du contrôle de mes parents. Je leur suis redevable de ce que je fais et suis aujourd’hui.
Ils m’ont encouragé pour que j’aboutisse à une sorte de propre fierté musicale mais je crois qu’ils ne se doutaient pas que j’en fasse mon occupation principale. Même moi je ne réalise pas toujours que la musique peut être un métier (rires). C’était et ça reste plus un plaisir d’arriver à un but, de s’amuser en jouant.
Pinkushion : N’avez-vous jamais considéré la musique comme un métier à part entière?
Kurt Wagner : Je ne me suis jamais projeté en tant que musicien. Pour moi, la musique est une façon de se retrouver entre amis, une activité sociale comme se réunir autour d’une table pour jouer aux cartes, ou sur un terrain de sport. Elle est une opportunité pour avoir une activité sociale. Nous ne nous réclamons pas être de grands musiciens mais juste l’envie de jouer ensemble. Les années passent et on s’amuse toujours autant.
Mais il y a bien un moment où vous avez réalisé que vous consacriez tout votre temps à la musique?
Kurt Wagner : Honnêtement depuis deux ou trois ans. Avant, nous avions tous un travail parce que la musique ne nous permettait pas d’en vivre. Et puis au fil des temps, c’est devenu plus sérieux. Il y a trois ans de ça, je n’ai pas pu continuer à exercer mon métier d’ouvrier forestier car c’était très physique et mon dos me faisait souffrir. Donc il a fallu que j’arrête ce boulot et comme il y avait tant à faire dans la musique… ça reste une coïncidence que je me sois polarisé depuis peu sur la musique.
Avez-vous l’impression de faire partie d’une scène musicale?
Kurt Wagner : Dans un sens, oui j’appartiens à la scène de Nashville, une scène locale underground. Comme de nombreux groupes, nous nous produisons dans des bars, sortons quelques albums. Je ne me permettrais pas de dire que nous sommes très connus ou populaires mais nous existons dans le monde musical. Nous enregistrons quelques albums et nous ne nous soucions pas plus de savoir quelles sont nos ventes ou notre cote de popularité. On continue à jouer dans des hameaux sans se prendre pour des stars internationales (rires).
On vous sent très attaché à cette sorte d’humilité aussi bien dans votre carrière que dans vos influences.
Kurt Wagner : Je considère comme une forme de respect les gens qui m’ont influencé ou m’influencent car nous leur devons d’où nous venons et ce que nous sommes. Je peux aussi bien être redevable à Outkast qu’à Miles Davis. Miles Davis est une de mes grandes idoles. Son œuvre m’inspire autant dans mes compositions que dans ma vie.
Cependant, le genre m’importe peu en fait, tant que l’attitude et que la musique soit jouée avec intensité et égard.
Toute ma vie et mes expériences musicales proviennent en quelque sorte de ce que j’apprécie et qui m’entoure. Ça peut être aussi bien la neige aujourd’hui à Paris, le livre que je lis dans l’avion, un film, la musique que j’entends dans le taxi qu’un chien qui aboit ou un oiseau qui chante. J’aime que ces situations m’envahissent et deviennent parties de ma vie. D’une certaine façon, elles vont se refléter dans mes compositions ou dans ma perception de l’art. Les idées qui me viennent et que j’exprime sont en grande partie liées à ma condition de vie.
Votre œuvre paraît empreinte de nostalgie, de mélancolie.
Kurt Wagner : Quelques fois, je suis sujet à la mélancolie mais j’essaie toujours de dédramatiser, de trouver un peu d’humour, un humour mélancolique (rires). Parfois, le sujet dont je vais traiter dans une chanson pousse à une sorte de gravité ou bien la méthode dont je vais utiliser détermine une certaine tristesse. D’autres fois, c’est l’inspiration du moment qui va déteindre sur mes états d’âme. La musique n’est juste qu’un reflet d’une partie de ma vie, de mon intérieur, de la réalité. Je suis une personne qui ne sait pas mentir, je reflète dans mes chansons les humeurs vraies de l’instant qui me touchent.
Depuis l’album Nixon, votre musique a pris un autre tournant. Elle devient plus profonde, plus accrocheuse, aussi bien dans les mélodies que dans les arrangements.
Kurt Wagner : Je pense que depuis trois ans je perçois la musique différemment avec plus de recul. Un des facteurs déterminants dans la composition et la structure des nouvelles chansons a été notre invitation à un festival de cinéma, à San Francisco, pour jouer live la bande son imaginaire du film L’aurore de Murnau. De cette carte blanche, nous en avons tiré des enseignements très bénéfiques pour notre écriture. Les chansons sur lesquelles nous étions en train de travailler ont pu être testées dans un contexte différent qu’un concert. Jouer d’une façon simultanée par rapport aux images du film nous a permis d’appréhender notre musique d’une manière moins classique que d’habitude. Le résultat nous a permis d’orienter les chansons utilisées pour le film vers une autre direction qu’on envisageait en début d’enregistrement.
C’était la première fois que je réalisais le score d’un film et cette opportunité m’a ouvert beaucoup d’idées. J’espère pouvoir reproduire cette expérience une prochaine fois. Le fait que le film était muet nous permettait de chanter mais s’il y avait eu des dialogues, il aurait fallu choisir une option plus instrumentale et donc concevoir notre musique sous un autre angle. Cette expérience fut vraiment intéressante et bénéfique. Chaque année, les organisateurs du festival invitent un groupe, il y a eu Television, Yo La Tengo mais nous étions les seuls à chanter. Lorsqu’on leur a dit que nous n’envisagions pas que de l’instrumental, ils nous ont regardé un peu surpris puis nous ont fait confiance, de toute manière c’est ce qu’on savait le mieux faire (rires). C’était vraiment très sympa.
Comment avez-vous abordé l’enregistrement des deux albums?
Kurt Wagner : Nous voulions que cet album reflète entièrement le groupe Lambchop. Nous travaillons depuis des années avec la même équipe, le même graphic designer, les mêmes arrangeurs. Les albums Aw C’mon et No you c’mon sont avant tout le fruit de ces collaborations. Pour moi, un album doit représenter un moment particulier dans lequel le groupe se trouve. Il est plus question de présent que de regarder en arrière sur ce que nous avons pu déjà réaliser. Bien sûr, on se nourrit des expériences du passé mais digérées aujourd’hui.
N’avez-vous pas peur de reproduire une idée, une chanson déjà écrite, de refaire un même album?
Kurt Wagner : C’est ça qui est encourageant et motivant de ne pas tomber dans ce qui a déjà été fait. C’est pour cette raison que je m’entoure de musiciens, le groupe m’aide à proposer de nouvelles idées pas déjà expérimentées. Bien sûr, dans les textes, la voix, on reconnaît que c’est du Lambchop mais on sera toujours le même groupe.
Pour quelles raisons avez-vous décidé de sortir deux albums et non pas un double album?
Kurt Wagner : Nous avions beaucoup de chansons et comme nous ne pouvions pas les mettre que sur un album ou bien de côté pour des années futures, car elles n’auraient plus représenté le moment présent, deux albums s’imposaient. Du fait qu’il y avait trop d’informations pour un album, j’ai eu l’idée de sortir deux albums liés l’un à l’autre. L’un était plus une collection de chansons, l’autre reflétait des moments vécus. Le film de Murnau pour lequel nous avons composé la bande son fut d’une aide incroyable pour rassembler les chansons entre elles. Pourtant, elles ne sont pas la bande son du film mais bien des chansons qui trouvent leurs spécificités dans ces albums et elles ont bien leurs places. Pour L’aurore nous avons adapté ces chansons à l’ambiance du film. Celles qui étaient visiblement faites pour le film n’ont pas été retenues pour les albums alors que d’autres ont été gardées.
Quelles idées se cachent derrière Aw C’mon et No you c’mon?
Kurt Wagner : En fait, il faut y voir une discussion entre deux personnes qui partagent un sentiment, une opinion différente. Même s’ils ne sont pas d’accord entre eux, ils sont amis. Les deux albums sont différents mais unis par un lien. Aw C’mon peut exister par lui-même tout comme No you c’mon dans une discussion mais mis ensemble ils forment une réponse.
Au départ, la maison de disque voulait regrouper les deux disques dans un coffret. Mais comme je ne voulais pas pousser les auditeurs à être obligés d’écouter les deux, nous avons opté pour deux cds séparés de même qualité. Ce n’est pas une raison marketing mais d’écoute.
On ne voit pas souvent Lambchop s’afficher sur le terrain politique. Qu’est-ce que vous pensez de la politique extérieure que mène le gouvernement américain?
Kurt Wagner : Je crois que ce qui est important de dire est que Bush a été élu par une faible partie d’américains. Ce n’est pas que les américains ne s’intéressent pas à la politique mais on était exclu. Peu d’américains adhèrent aux idées du gouvernement et donc dire que ce mec représente les Etats-unis est faux. A partir du moment où les américains ont senti que leurs points de vue n’étaient pas pris en considération, ils se sont écartés de la politique.
Dans certains états, il n’y a que très peu d’espoir dans la vie des gens. La sécurité sociale n’existe pas, les discriminations raciales importantes, les différences entre riches et pauvres de plus en plus flagrantes. La question est de savoir maintenant comment se passeront les prochaines élections et si les électeurs lui feront encore confiance. Je suis très anxieux et nerveux quant à ce probable changement.
Lambchop n’a jamais mis de politique dans sa musique car je considère la politique comme un terrain personnel et je ne veux pas influencer telle ou telle personne ou être catalogué dans un courant politique. Chacun a ses responsabilités et sa propre opinion. Je redoute quand même le résultat des prochaines élections.
Lambchop, Aw C’mon/No you C’mon (CitySlang/Labels)
-Le site du groupe