Le second album des Liars déroute : suicide commercial, oeuvre indu-punk avant-gardiste ? Franchement, il faut avoir un culot monstre pour sortir un disque pareil. Paradoxalement, les Liars vont droit dans le mur, et ça nous plait.


Il y a deux ou trois ans, l’émission sur Arte Tracks (du temps où elle passait le vendredi vers 19 h 00, c’était bien, hein ?) avait consacré un documentaire sur la scène garage rock de New York et ses environs. Parmi ces quelques nouvelles fines lames – plutôt surprises de l’engouement mondial que générait le succès des Strokes – les Liars se distinguaient comme les plus radicaux dans leur démarche (en omettant Blackdice, bien sûr).

La première chose qui crevait l’écran, c’est que ces quatre gars de Brooklyn avaient beau avoir le vent en poupe, leur quotidien se démarquait totalement du train de vie très jet set des Strokes. Angus Andrew (chanteur), Aaron Hemphill (guitare) Pat Nature (basse), Ron Albertson (batterie) vivaient ensemble dans une baraque en bois blanc délabrée et entourée de grillages : le jardin ressemblait à un champ de bataille où régnaient quelques vieux moteurs désossés et une machine à laver prenant la rouille. Ne parlons même pas de l’intérieur de la bâtisse du même goût (canapé éventré et cageot reconverti en table de salon). Ces gars semblaient ne pas se laver bien souvent et menaient une vie de bohème dans un environnement proche de Gummo, le film trash d’Harmony Korine. Seul petit rayon de soleil au bon milieu de ce bordel, leur art érigé au-dessus de tout.

Les critiques élogieuses de l’excellent premier album They Threw Us All in a Trench and Stuck a Monument on avait contribué à placer les Liars sur les rails de la reconnaissance massive, bien que leur univers sonore restait moins accessible qu’Interpol ou les Walkmen. Et puis les Yeah Yeah Yeahs ont débarqué et tout chamboulé. Le créneau garage pop du groupe de Karen O, petite amie du chanteur Angus Andrew, faisait de l’ombre aux Menteurs de Brooklyn. Du coup, beaucoup spéculaient sur un hypothétique second album plus accessible, histoire de montrer qu’eux aussi peuvent construire des riffs efficaces construits sur des refrains instantanés. Comme d’habitude, on avait tout faux.

Il faut avertir d’emblée, ce n’est pas la peine d’écouter They Were Wrong, So We Drowned sur une borne d’écoute Fnac ou chez votre disquaire préféré. Encore moins le mettre au boulot ou en lisant un bouquin en arrière-fond. Non, il faut acheter cet album et se l’accaparer. Une écoute étourdie ne laissera pas de souvenirs mémorables ou bien un vague souvenir de bruit de fond digne de « L.A Blues ».

Ce disque ne fait aucune concession. Inutile de s’accrocher à de quelconques repaires mélodiques, ils n’existent pas, ou du moins, ne font que de brefs passages pour mieux nous narguer. Une moiteur noire règne de bout en bout, qui nous évoque un Suicide troquant ses synthés cheap pour des guitares désaccordées. On nage en pleine ère post-punk : le groove épileptique de Gang of Four, la face théâtrale de Wire et la folie The Fall se télescopent sans cesse, mais la matière finale aboutie à du New-York post 11 septembre enfermé dans sa paranoïa.

Chaque morceau reste très cinématique et entraîne indéniablement l’auditeur dans un trou noir psychotique, que ce soit la transe malsaine de « Steam Rose from the Lifeless Cloak » ou le riff dépressif de « Hold Hands and It Will Happen Anyway ». Lorsque « If your wizard… » semble se rapprocher de structures plus en vigueur, seul son tempo dance est une concession. Vient ensuite le titre le plus énigmatique du lot : « We Fenced Other Houses With the Bones of our own » (littéralement, nous avons clôturé les autres maisons avec nos os »), un blues industriel dont les incantations crépusculaires rappellent Can.

Assez éprouvant, on ressort aspiré d’un tel disque : tout ici n’est que cris stridents. Le disque se termine sur « Flow My Tears the Spider Said », unique morceau apaisé qui se conclut sur des gazouillements d’oiseaux, histoire peut-être de récupérer de ce choc frontal ultra-violent.

Tout le monde se plait à dire que la puissance que dégage le groupe sur scène est amoindrie pour l’instant sur disque et They Were Wrong, So We Drowned contribuera certainement à renforcer le trouble. Les Liars n’ont pas choisi la voie la plus facile et son radicalisme ne laissera personne indifférent (en bien ou en mal). Un futur classique des bacs à solde, mais dans le sens du Berlin de Lou Reed.

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