Si on ne peut pas vraiment parler de Flux sur ce deuxième album de l’iconoclaste Yann Encre, on évoquerait plutôt une sève qui avance lentement sur l’écorce et se durcit irrémédiablement avec le temps. Une progression qui marque des points.
Remarqué en 2001 sur la foi d’un premier album éponyme mêlant savamment chanson française, electronica torturée et minimalisme Hoodien, Encre s’imposait d’emblée comme un joli nuage au-dessus de l’écosystème sonore hexagonal. Plus porté sur les arrangements que Bed et moins cru que Programme, Yann Tambour aka Encre semblait ne pas vouloir se cantonner à un seul style. Mais le bonhomme avait assez de caractère pour imposer une empreinte singulière.
Sorti en décembre dernier, le Marbre EP était censé apporter une petite idée sur la direction de Flux, second album après deux ans et demi de silence discographique. Outre la très belle pièce acoustique « Toumani Diabate » et deux extraits live, on était un peu frustré par la chanson titre « Marbres », qui se retrouvait amputée de moitié et manquait un peu d’intérêt. Après écoute dudit album, on peut maintenant affirmer que celle-ci ne représente pas vraiment l’esprit du nouvel album.
Enregistré en grande partie entre juin 2001 et juin 2002, ce second album démontre que Yann Tambour a encore progressé en terme de maturité musical et surtout dans son art d’arranger ses atmosphères baroques et aigres. Les triturages synthétiques de Domotic évaporés, les cordes sont dorénavant un élément important de la musique d’Encre qui rappelle d’ailleurs, par moment, le dernier album de Bashung (le majestueux « Hassan »).
Toujours seul maître à bord, il est assez impressionnant de constater, vu l’ampleur du travail effectué, que le jeune homme contrôle tout de A à Z. Le jeune parisien manipule avec une certaine dextérité son séquenceur et parvient à ériger des arrangements de corde synthétique de toute beauté, mis en relief par une contrebasse et un violoncelle « naturel ». Les parties instrumentales plus penchées sur l’electro n’ont rien à envier aussi à des références comme Hood.
« Flux », premier titre de l’album, commence lentement sur un arpège acoustique, puis vient se greffer progressivement deux sections de cordes : la première section accompagne le motif acoustique de la guitare tandis que la seconde semble perdre le contrôle au fil du morceau. Ce contraste entre ses deux motifs est un thème récurrent dans la musique d’Encre, une lutte permanente des éléments qui s’entrecroisent. On ne peut pas dire par exemple que les morceaux sont lents car il y a toujours en parallèle une ligne mélodique torturée et assez rapide.
Le raisonnement se prolonge jusqu’à la pochette de l’album ou encore une fois intervient cette lutte des corps qui s’entremêle et laisse entendre peut-être un certain « mal dans sa peau », ou que sais-je.
Si le phrasé vocal rappelle Diabologum, les textes très imagés sont par contre portés vers Dominique A, influence qui était d’ailleurs un peu trop évidente sur le premier album. Cette fois, la manière de chanter semble s’écarter des mimiques du Nantais pour mieux servir dorénavant la musique. Yann Encre ne rappe pas vraiment, il parle d’une voix lente sur une trame mélodique toujours censée accentuer la dramaturge du texte. Il sait aussi ne pas abuser non plus de son verbe, comme sur le sublime « Us », pièce de résistance qui s’étire sur huit minutes trente et transporte l’auditeur vers un romantisme noir, entre textes évasifs et relations sentimentales épiées.
Enfin, on sait que les chansons d’Encre prennent une seconde vie sur scène et deviennent plus organiques et rock. Il nous tarde de voir en chair et en os ce musicien attachant, histoire de prolonger un peu ce très beau voyage que nous offre Flux.
-Le site d’Encre
-Le site de Clapping Music
–Encre en concert :
03.13.04 Dictapop, Festival Bruxelles (B)
03.14.04 GrandMix, Tourcoing, JL Murat support (F)
04.18.04 Toon Festival, Haarlem (NL)