Désormais pleinement décomplexé de son statut de ténor de l’indie pop, Neil Hannon peut enfin recomposer ses chansons les plus personnelles et touchantes. Et le jour du septième album, Neil Hannon créa Absent Friends.


L’économie de moyens reste, chez les songwriters, une valeur non négligeable. Bien que le musicien de base ait toujours fantasmé sur le moyen d’offrir une vision spectorienne – voire orchestrale – à sa musique, l’histoire nous a prouvé qu’il se frottait irrémédiablement avec le diable. Dans le rock, le mot « orchestre » se lie souvent avec la folie des grandeurs : offrez simplement à n’importe quel songwriter ou rock star en devenir, un budget confortable voire illimité pour enregistrer son disque, celui-ci aboutira généralement à une soupe sans saveur, totalement dénuée d’âme. Bien sûr, il existe des exceptions (Berlin, Five leaves Left, Smile, Loveless…) et l’on se souvient même d’un certain revival au milieu des années 90 via Oasis et The Verve, mais ces perles là sont rares et furent réalisées dans des circonstances bien sombres.

A contrario, c’est souvent confiné dans un cadre restreint avec des moyens parfois ridicules que la grâce jaillit : Grandaddy, Sparklehorse, Red House Painters, pour ne citer que les plus fameux, n’ont jamais été aussi grands que lorsqu’ils érigeaient leurs compositions avec les moyens du bord. Reclus dans son garage de Modesto, Jason Lytle a écrit quelques-unes des plus belles symphonies de poche depuis Brian Wilson et personne n’a jamais vraiment voulu entendre tout cela accompagné d’une cinquantaine de musiciens.

Neil Hannon lui est une exception. Dès ses premiers albums, élaborés avec des petits bout de chandelles, l’aristocrate de la pop rêvait déjà de mini-symphonies dantesques. Ironie du sort, Liberation et Promenade, sont toujours considérés comme les sommets de sa discographie. Le dandy précieux gagna ensuite en production égocentrique ce qu’il perdait en chaleur avec des albums comme Casanova et Fin de Siècle. Trop embourbé dans des arrangements outranciers, les compositions n’égalaient pas la fraîcheur des deux premiers albums. Et même si Neil Hannon avait atteint ses ambitions, la prophétie rock se confirmait à nouveau.

Et puis voilà trois ans, The Divine Comedy a surpris tout le monde en opérant un virage à 180 ° avec Regeneration. Mis de côté les flûtes traversières, tubas, trompettes et autres costards ¾, la musique était revenue à des bases plus brutes, un retour aux sources en quelque sorte. Mais comble de toutes ses bonnes intentions, la production aseptisée de Nigel Godrich avait produit l’effet inverse escompté et Regeneration était devenu, des propres mots de l’intéressé -, « son album le plus professionnel à ce jour ». De ce lourd constat, il n’est pas étonnant que Mr Hannon se soit retrouvé un peu paumé, perdu dans ses repères qu’il s’était lui même construit au fil du temps.

Après une sérieuse remise en question qui le poussera à congédier son groupe, puis émigrer à Dublin, le troubadour romantique se retrouve seul et décide de composer l’album qu’il na finalement jamais écrit : son album introspectif. Entièrement produit de ses mains, le chanteur cockney a préféré museler Godrich et ne lui laisser que la dernière étape du processus, le mixage de l’album. C’est bien mieux ainsi.

Moins direct que ses trois derniers albums, Absent Friends est indéniablement le plus personnel (l’ironie du titre est d’ailleurs bien placée), le plus mature aussi, et certainement le plus envoûtant. Hormis « Come Home Billy Bird », aucun refrain évident ne se détache de ce septième disque.

Neil Hannon ne rigole plus, il donne ici l’impression de livrer son dernier combat. Du coup, ses violons aussi se font plus martiaux et ne déploient plus leur plumes tel un fier paon. « Absent Friends », une cavalcade épique servie par des arrangements nobles, met tout de suite au parfum sur la nouvelle direction. « Stick & Stones », avec l’accordéon de Yann Tiersen apporte une touche humaine à cette barricade de violons et remporte les suffrages haut la main. « Leaving Today » donne l’impression d’assister au silence morbide d’un champ de bataille après l’hécatombe. Un autre soldat fatigué apparaît alors, hors de la brume : Scott Walker, dont l’influence n’a jamais été aussi marquée sur ce disque.

Etonnamment silencieux par moments (« Freedom Road », « Laika’s Theme »), la lumière semble réapparaître en bout de course (« Charmed Life »), comme pour signifier que Neil Hannon reste un inconsolable mais optimiste, malgré ce trop plein de mélancolie qu’il nous délivre ici. Son album le plus touchant, assurément.

-Le site de Divine Comedy