A l’occasion de la sortie de leur album éponyme, Dan Black et Chris Burrows de The Servant nous reçoivent dans les locaux de leur maison de disque française où pour assurer la promotion de leur disque, ils n’hésitent pas à faire l’aller-retour depuis Londres.

Ayant grandi dans un milieu arty, Dan Black se plongea rapidement dans la musique et aujourd’hui ne jure que par son art. Vivre dans l’ombre de groupes à géométrie variable où son ego était à canaliser, la naissance de The Servant fut comme un déclic pour cette âme de meneur.

Enfin à la tête d’une formation dont il est fier, Dan Black peut assouvir tous ses rêves en emmenant son groupe vers des contrées où la pop, l’électro et le hip hop se télescopent.


Dan Black (Chanteur): A l’école, j’étudiais l’art. Mais je n’arrivais pas à consigner l’art et la musique surtout lorsque j’étais en tournée. Alors vers 19 ans, j’ai décidé de me lancer dans la musique. Pour l’instant, je n’en vis pas vraiment mais je ne regrette pas ce choix.

Pinkushion: La musique était-elle présente chez vous?

Chris Burrows (Guitariste): Mon père et mon grand-père faisaient de la musique. Mon grand-père et son frère ont sorti quelques disques. Mon père jouait du trombone mais il a arrêté pour se consacrer à son travail alors que j’étais adolescent.

Dan Black: Mon père est un collectionneur de disques. Il a une quantité de disques assez impressionnante. Il écoute de tout : du classique à Bob Dylan, les Beatles, tous les classiques pop. J’ai grandi en étant baigné dans la musique.

Pinkushion: Comment avez-vous défini les bases de votre album?

Dan Black: En fait, certaines chansons ont été écrites il y a plusieurs années, d’ailleurs l’une d’entre elles date d’il y a cinq ans. L’idée de composer un album dans sa globalité et sa cohésion vient après l’écriture de chaque chanson. Une fois qu’on a trouvé une atmosphère commune, une direction où les chansons forment un tout, on fait un choix, celles qu’on retient et celles qu’on jette pour créer une unité.

J’ai des tonnes de chansons écrites sur papier ou dans mon ordinateur et d’autres idées dans ma tête, donc l’angoisse de la composition ne m’affecte pas. Par contre, au moment de les choisir, les finaliser pour qu’elles aboutissent à un album concept, là les problèmes commencent. Le travail d’arrangement et de production est important dans le processus de réalisation du disque, pour qu’il soit le plus cohérent possible.

Pinkushion: La page blanche n’a jamais été pour toi une appréhension?

Dan Black: Je pourrais me définir comme un observateur. Tout ce qui m’entoure, la façon de travailler des gens, leur façon de marcher, la vie dans le groupe, tout ce qui m’arrive est une source d’inspiration très fertile. Les films, les livres qui sont mon quotidien m’influencent énormément et je retranscris cette vision personnelle dans les chansons.

Pinkushion: Tiens-tu compte de l’avis du groupe pour les compositions?

Dan Black: Au niveau des paroles, non puisqu’elles sont personnelles, elles parlent de ce que je ressens, de ce que je vis. Il me serait difficile d’envisager une vision collective car j’aurais l’impression d’être faux dans mes textes. Pour se retrouver dans des paroles, je pense qu’il faut être sincère et donc parler de ce qu’on connaît le mieux, soi.

Pour ce qui est de la musique, je viens avec des idées puis le groupe les adapte à leur sauce pour les faire sonner suivant leur vision et se les approprier. Mais en général, je suis assez égoïste. Si j’écris à travers la vue d’une autre personne, il n’y a rien d’altruiste dans ce processus mais c’est parce que j’ai envie d’aborder cette façon de voir les choses.

Chris Burrows: Dans un groupe, il y a toujours des problèmes d’ego. Nous, nous les laissons au placard. Dan amène les chansons et le groupe les travaille. Si on pense par exemple qu’une partie de guitare manque à un endroit, on en discute.

Dan Black: Si j’apprécie une chanson mais que le groupe ne s’y retrouve pas alors on la met de côté.

Chris Burrows: Lorsque Dan nous apporte une chanson, il va la défendre mais si tout le groupe s’aperçoit que l’alchimie ne fonctionne pas sur celle-là, on passe à une autre. A moins qu’il l’apprécie particulièrement et là il va tout faire pour que se crée une magie et que ça nous convienne.

Dan Black: Sur le disque, il y a deux chansons que je n’aurais pas gardé pour un album solo mais avec le groupe c’est différent, tu composes avec plusieurs membres et non toi-même.

Pinkushion: Aviez-vous envisagé de travailler avec des producteurs pour l’album?

Chris Burrows: Ce qui nous intéressait, c’était de découvrir le processus de production. Avec les années et les sorties de nos disques, on apprend au fur et à mesure. La production est un travail qui nécessite de l’apprentissage et on voulait s’y atteler.

Dan Black: Je peux comprendre que certains groupes demandent à des producteurs de s’occuper du son de leur disque mais pour moi c’est quelque chose de trop douloureux. Je n’arrive pas à confier mes compositions à d’autres, du moins pour le moment de peur qu’elles soient dénaturées. Ecrire les paroles d’une chanson ou trouver la manière de faire sonner la batterie est pour moi une notion personnelle. Si tu veux, c’est comme si une personne dessinait un tableau et une autre le peignait, c’est aberrant.

J’aime beaucoup le style de production qu’on trouve sur les disques des 60’s et 70’s. Le son est très organique. J’apprécie le travail que fait Timbaland avec les Neptunes. C’est très inventif, expérimental mais accessible, sans prétention. Ce n’est pas du Aphex Twin.

Pour la production, je me suis inspiré de ce que fait Timbaland et George Martin. C’est peut être pour cette raison que notre disque ne sonne pas comme de la pop ou de l’électro.

Pinkushion: Quel regard portes-tu sur les eps Mathematics et With the invisible?

Dan Black: Comme le disait Chris, il nous a fallu une période d’apprentissage pour arriver à un résultat satisfaisant. Ces eps ont leurs personnalités. On serait trop critique pour être vraiment objectif.

Chris Burrows: Personnellement, je n’écoute pas les disques une fois finis. Je me polarise sur le jeu de concert, sur la façon de faire sonner les chansons sur scène.

Dan Black: Il y a une continuité dans nos chansons. On construit nos disques comme une histoire.

Pinkushion: Doit-on s’attendre à un rebondissement pour vos prochaines sorties?

Dan Black: Absolument. Le reste sera différent du premier album.

Je préfère écouter des artistes comme Prince ou même Blur ou quelqu’un comme Bowie. Bowie est une personne qui sait s’entourer et chaque album crée une surprise. Même si je déteste certains de ses albums, j’adhère complètement à sa façon de concevoir ses disques.

Notre prochain album sonnera différemment de celui-là.

Pinkushion: Vos pochettes de disques sont très soignées. D’où vous viennent les idées d’illustration?

Chris Burrows: Pour l’album, c’est Matt Fisher le bassiste qui a eu l’idée d’utiliser une caméra spéciale puis de modifier la photographie de la course finale. Au départ, nous avions pensé utiliser une photo d’un cimetière mais malheureusement nous n’avons pas eu l’autorisation pour y entrer.

Dan Black: Il suffit qu’on se promène quelque part et qu’il se passe un événement pour qu’on le saisisse à la caméra. Pour le mini album (Ndlr Album regroupant les deux eps Mathematics et With the invisible), on s’amusait à sauter dans des flaques d’eau et l’idée est partie de là. Sur notre site web, tu peux découvrir les ficelles du montage.

Pour l’album, on a utilisé une caméra qui était reliée à un ordinateur. A chaque séquence prise, plus on ralentissait l’image plus elle devenait grosse, plus on l’accélérait plus elle rendait les personnages minces.

Pinkushion: Peut-on voir dans cette image une représentation de The Servant?

Dan Black: Dans un sens oui, elle représente la manière dont nous concevons la musique. On prend à droite, à gauche, on s’inspire de pas mal de choses et on les incorpore à notre sauce. On peut aussi voir dans cette photo, le fait que réaliser un disque peut être une lutte, une course pour finir l’album à temps, s’enlever les doutes de la tête et être capable de mettre un point final tout en étant exigeant.

Pinkushion: Qu’est-ce qui t’a poussé à créer The Servant alors que tu aurais pu envisager une carrière solo?

Dan Black: J’ai commencé à jouer de mon côté, à écrire des chansons sur mon ordinateur pour moi-même car à chaque fois que j’étais dans un groupe, je me sentais mal à l’aise, souvent contrarié car je voulais que mes idées soient retenues. Je n’avais pas ma place dans un groupe, je suis trop meneur dans l’âme pour être suiveur.

A l’origine, The Servant n’était composé que de Dan Black. Puis, j’ai demandé au bassiste et au batteur avec qui j’étais au sein du groupe Minty de m’accompagner sur scène. Peu à peu, nous avons formé un nouveau groupe. Chris nous a rejoint parce que je ne voulais pas jouer de la guitare en concert et donc pour me focaliser sur le chant j’avais besoin d’un guitariste. Depuis, il est devenu la partie technique des Servant.

Pinkushion: Chris, comment arriver à trouver sa place dans un groupe dont le leader est très directif?

Chris Burrows: (Ndlr Un peu embarrassé) Oui oui au début, il faut trouver sa place tout en étant admis par les autres. Si tu arrives avec des idées bien précises et que les autres n’en veulent pas, tu peux te sentir vexé. Tout doucement tu t’insères dans le groupe. C’est comme si on était des employés mais avec plus de liberté.

Pinkushion: Quel est ton apport dans le groupe?

Chris Burrows: Lorsque j’ai écouté les maquettes, je me disais mais où on peut mettre de la guitare là-dedans? (Rires) Je pensais plus jouer des claviers que de la guitare.

Dan Black: Chris a changé le son de The Servant car on évoluait vers des directions nouvelles.

Pinkushion: En matière d’écriture, as-tu des personnes en qui tu te reconnais?

Dan Black: J’aime beaucoup la façon d’écrire de Martin Scorsese, Bob Dylan, le Velvet Underground, Brian Wilson. Je m’intéresse beaucoup au cinéma. Je suis admirateur de films de Kurosawa, Todd Solondz, Fellini, Truffaut, Godard, tous les classiques. Des gens comme Charles Bukowski, Samuel Beckett, James Joyce qui n’avaient pas d’autres choix que de vivre de leur art me touchent énormément. Qu’ils soient entendus, reconnus ou pas, ils continuaient d’écrire. Ils sont pour moi une sorte d’exemple.

Par moments, je me plains de n’avoir pas d’argent mais je pourrais trouver un boulot de banquier et tout irait mieux. Mais c’est de ma musique que je veux vivre et je continuerai dans cette voie. Se battre pour son art n’a rien de plus beau à mes yeux.

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The Servant, The Servant (Recall / Sony)