Il est assez rare que l’on ait affaire à des groupes japonais pour que la seule écoute de l’artiste en question constitue un événement en soi. On se prépare à la chose, l’eau à la bouche, certain que l’on va entendre quelque chose qui sort des sentiers battus. On n’est pas déçu !
Ghost est un sextet japonais qui ne date pas d’hier. Vieux d’une quinzaine d’années, et présentant ici son septième album, il est connu pour affectionner particulièrement la musique des années 70, à savoir une sorte de rock progressif mélangé à la vague tellement fourre-tout qu’on appelle new age. Ce collectif est particulièrement connu pour aimer donner des spectacles dans des vieux temples bouddhistes ou autres lieux saints, de préférence abandonnés. Vous me direz, en choisissant un tel nom, on a intérêt à faire dans l’abstrait, dans l’imaginaire, dans le fantastique. C’est le cas. La pochette vaut le détour à elle toute seule : il s’agit de la reproduction d’une très belle estampe de Kuniyoshi. Mais ça ne s’arrête pas là, puisqu’un petit feuillet en plastique, avec la mention Ghost inscrite dessus est glissée sur la pochette et lui donne une coloration orangée du plus bel effet
Bon, et la musique me demanderez-vous ? Spéciale, très spéciale ? N’entendez pas par là ce que ce terme pourrait comporter de péjoratif. Non, spécial dans le sens de singulier. Le premier titre, éponyme, long de 13 minutes, est une entrée en matière plutôt déconvenue : on pense à Fantômas -dans ses élans les plus calmes- mais aussi à Yes pour ce concept de titre long que l’on décompose en quatre sous-titres. Le premier mouvement, très contemplatif, s’intitule « God took a picture of his illness on this ground », le deuxième, « Escaped and lost down in Medina », porte bien son nom car on se croirait dans un pays arabe, le troisième, « Aramaic barbarous dawn », comporte un passage qui rappelle Fantômas et se poursuit jusqu’au dernier mouvement, « Leave this world ! », qui brille par sa longueur, 22 secondes.
Mais ce n’est qu’un appetizer, un amuse-gueule en somme, car dès « Hazy Paradise », on quitte le calme atmosphérique et dichotomique (apocalyptique ?) pour des ambiances bigarrées, empruntées à l’univers de Genesis première période, avec de belles incursions de flûtes et autres instruments « barbares » comme la harpe celtique, le luth ou le bouzouki. Des instruments plus classiques comme le piano et le violoncelle n’ont pas été oubliés, et le tout est souvent ponctué d’un jeu de percussions percutant, notamment le final de « Ganagmanag ». Le tout suivant la trame du rock : guitares, basse, batterie, synthé. On pense assez souvent à Pink Floyd aussi, dans ces changements d’ambiances planantes. « Holy High » est un très bon titre rappelant la période Meddle par exemple, avec des bouquets garnis d’instruments qui montrent une grande cohésion dans le jeu collectif du groupe. La référence à Pink Floyd n’est d’ailleurs pas fortuite, puisque « Dominoes – Celebration for the Gray days » est en fait une reprise de Syd Barrett. L’influence de Magic Hour, avec qui ils ont abondamment tourné y est bien palpable.
Une coloration celtique vient ici et là pointer le bout de son nez, et l’on se croirait à l’écoute de la musique d’un film mettant en scène la vie au moyen-âge. Ça pourrait paraître ringard sur le papier mais c’est très réussi.
Masaki Batoh chante principalement dans un anglais plutôt exotique, mais aussi en japonais, comme sur « Kiseichukan Nite ». Sa voix fait souvent penser à celle de David Sylvian, charismatique leader de Japan. Ça c’est la meilleure non ?
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