Certainement pas son meilleur album, la septième livraison solo de Morrissey n’en est pas moins un retour en forme, où l’on prend plaisir à reprendre des nouvelles du plus grand pleurnicheur que la pop n’est jamais connu.
Morrissey savoure sa victoire, 2004 est son année. Consacré grand MC du festival Meltdown et alors que les ventes de You are The Quarry explosent en Grande-Bretagne, le dandy de Manchester est ovationné aussi bien par la critique que la jeune garde artistique, une couverture pour Mojo et une autre pour le NME aux côtés de Franz Ferdinand, sans oublier celle des Inrocks (comme au bon vieux temps !)… l’ancien leader des Smiths est omniprésent ces jours-ci. Une sacralisation qui n’est que pure justice.
Il faut dire que le lynchage en règle de Maladjusted (1997) n’était pas passé inaperçu et avait de quoi traumatiser l’ancienne figure charismatique des Smiths : dans un papier fleuve, notre cher critique des Inrocks, J.D Beauvallet, avait pris chirurgicalement le soin de comparer les vieilles rengaines tristounettes de l’icône 80’s à Alice Cooper et ses serpents, délicieusement pernicieux.
Certes, Maladjusted était un album irrégulier, mais avait au moins le mérite de relever un peu la barre, surtout après un Southpaw Grammar catastrophique. Il s’ensuit donc un silence de sept ans où le chanteur déchu a entre-temps immigré à Los Angeles, là où il est toujours adulé par une portion de mexicains Bikers paraît-il…
2004. Il semble que l’ennemi N°1 de la reine d’Angleterre et de Thatcher ait encore beaucoup de choses à dire, à en croire les interviews données à la presse spécialisée. Qui plus est, Morrissey a toujours été un personnage fascinant, l’un des rares dont on se délectait de chaque interview, une sorte de passeur d’influences qui réagit aussi bien à l’art qu’aux moeurs de notre société. Comme en son absence personne ne semble avoir pris le relais d’éditorialiste de la pop, sa majesté reprend son trône
Curieusement, cette nouvelle livraison rappelle le EP Lost, mini-compilation de faces B issues de Maladjusted, passé complètement inaperçu et pourtant digne d’intérêt. Il ne faut pas oublier que les Smiths avaient le chic pour sortir des faces B hallucinantes. Outre leurs magnifiques artworks, si leurs vinyles sont toujours aussi convoités par les maniacophiles des conventions de disques, c’est bien pour cette raison.
Morrissey en solo a tenté de prolonger cette tradition d’excellence avec plus ou moins de succès (la superbe compilation Bona Drag et les deux ou trois suivantes bien bâclées). D’ailleurs, lors de son médiatique retour scénique à l’Olympia, la set-list du végétarien de l’indie-pop était presque essentiellement constituée de faces B qui en disent long sur l’intérêt que porte le monsieur sur ses titres de l’ombre (« Jack The Ripper », « Sister I’m a poet », « November Spawned a Monster », « Little man what now »…).
A ce titre, You are The Quarry ressemble à une excellente compilation de faces B du maître. Aucun single évident ne se détache de l’album, en tout cas, rien n’est du calibre de « Every Day is Like Sunday », « The Last Famous International Playboy » ou « We Hate It When Our Friends Become Successful ».
« Irish Blood, English Heart », nerveux premier single tiré de l’album, ne donne pas vraiment la température de ce disque moins brut et rock qu’il n’y parait. Hormis trois ou quatre titres enlevés, le reste est plutôt calme, mélodiquement parlant. Produit par Jerry Finn (Green Day, Sum 41, Blink 182, ses trois noms là se passent de commentaires…), l’album balance entre une production un peu trop propre et des guitares certes saturées, mais passées à la machine OMO Micro pour un résultat plus blanc que blanc. On aurait aimé que le monsieur prenne un peu plus de risques dans cette direction. Peut-être pour la prochaine fois.
L’album commence sur un titre lent, mais vengeur, le bien nommé « America Is Not The World » où l’immigrant raconte sa relation amour/haine avec le pays de l’oncle Sam, un peu décevant. Sur « Come Back To Camden », il s’égosille et se veut nostalgique en dansant la valse sur des nappes synthétiques de violons. Les regrets semblent pointer le bout de leur nez, toujours basé sur des relations conflictuelles et impossibles.
Cependant, le plus célèbre végétarien d’Angleterre ne s’excuse pas, comme en témoigne « I’m not Sorry », superbe plaidoyer où il règle ses comptes sur sept années de bagne, reclus dans sa prison dorée californienne. Puis vient « The World is full of Crashing Bones », déjà interprété sur scène, qui pêche un peu par son manque de dynamique, mais au demeurant plaisant.
Le doublé « How Could Anybody Possibly Know How I Feel » et « First Of The Gang To Die » relancent ensuite la machine : deux titres très pop aux refrains immédiats et où les guitares des fidèles Boz Boorer et Alain Whyte se taillent la part du lion. Le premier possède une dynamique et des arpèges irrésistibles qui n’auraient pas dépareillé sur Your Arsenal. Sur le second, on retrouve cette pointe de cynisme si caractéristique du personnage, doté d’un refrain à double tranchant et doté d’un second degré. Peut-être bien l’unique single vraiment évident de l’album.
Ses thèmes de prédilection sont toujours d’actualité : Moz a bobo, quelqu’un lui fait du mal, mais c’est aussi sa faute parce qu’il est incapable de communiquer. Bla bla bla bla… on connaît la formule par coeur depuis longtemps et aurait tendance à agacer ou charmer, selon les humeurs. La verve est cependant toujours là, un peu trop facile parfois, comme sur « America Is Not The World » ou « I Like You », mais elle atteint également des sommets. « The Boxer » se lâche enfin et balance quelques missives bien senties sur « Let Me Kiss You » et « All The Lazy Dykes », de loin ses deux textes les plus aboutis, avec en prime ce passage qui devrait devenir mythique :
« So, close your eyes
And think of someone you physically admire
And let me kiss you. »
Il faut redonner ses lauriers à César, ce génie de la prose a toujours eu le sens de la formule. Malheureusement, le disque se finit un peu en queue de poisson, avec un titre faiblard (« You Know I Couldn’t Last »), chose plutôt rare dans la discographie de Morrissey (on se souvient des mémorables « Margaret on the Guillotine », « Tomorrow » et « Speedway »).
Malgré quelques baisses de régime, ce nouveau Morrissey est un bon cru, qui ne surpasse certes pas le renversant Vauxhall and I, ni même Your Arsenal mais a le mérite de remettre en selle le parolier le plus emblématique de la pop depuis Bowie. Une chose est sûre, Morrissey irrite, Morrissey exaspère mais Morrissey fascine et émeut aussi.
On finira sur ce couplet de « The World Is Full Of Crashing Bores », si symbolique de ce caractère singulier :
« Take me in your arms and love me, Love me, love me,
Take me in your arms and love me, Take me in your arms and love me
Would you do, Would you do, What you should do, Oh oh oh, Oh oh »
-Le site officiel de Moz
-Le site anglais officiel
-Le site non officiel le plus complet sur Morrissey