L’annonce fit l’effet d’un tremblement dans le p’tit milieu du rock : Le gang de boston s’est reformé et enregistre un album ! 21 ans après sa séparation et un unique album mythique en guise de testament, l’un des fers de lance de la scène hardcore 80’s américaine est de retour. Devenu aussi culte que Minor Threat, Black Flag et Hüsker Dü, peu de gens auraient misé un Kopeck sur ce retour en 2004. Pourtant, ces gars-là vivent dans la même ville depuis vingt ans, mais ne se sont finalement décidés à rejouer ensemble qu’en 2001. Résultat: OnoffON, un second album vengeur qui compte bien rattraper le temps perdu.


Peter Prescott, batteur historique de Mission Of Burma, attend patiemment assis sur le canapé. L’homme semble avoir la quarantaine bien avancée. Franchement on serait bien embêté d’affirmer que si on le croisait dans la rue, cet homme qui n’a plus de cheveux sur le caillou joue dans un groupe rock hardcore. Les stéréotypes ont la vie dureÂ… Le bonhomme sert une poignée de main chaleureuse et scrute d’un oeil la photo de Vincent Gallo dans le Libération du jour. L’homme commence à encenser le cinéaste, puis semble horrifié lorsque je lui apprends que Mr Gallo a fait don de quelques dizaines milliers de dollars en guise de soutien à Georges Bush. C’est donc dans une ambiance « moral au plus bas » que je décide d’enclencher tout de même mon dictaphone.

Pinkushion : Avant que Mission Of Burma ne se reforme, lorsque tu lisais un magazine où un musicien vous citait comme influence, que ressentais-tu ?

Peter Prescott : Je trouvais cela incroyable ! Honnêtement, nous sommes déjà étonnés que quelqu’un se souvienne de nous. Il y a tellement de bons groupes qui n’ont jamais eu de reconnaissance, alors le fait que quelqu’un mentionne notre nom dans une revue, c’est vraiment super.

Avez-vous été surpris lorsque REM a repris une de vos chansons en tournée à la fin des années 80 ?

Oui. Je connais un peu Peter Buck. Nous sommes toujours surpris quand quelqu’un reprend une de nos chansons. C’est très flatteur.

Vous avez récemment tourné avec Wire et je vois beaucoup de similitudes entre vos univers respectifsÂ…

Je pense que ce serait honnête de le direÂ… Pink Flag a toujours été un de mes albums favoris de tous les temps. Je n’ai jamais vu Wire sur scène à nos débuts, mais même lorsque nous avons ouvert pour eux il y a trois/quatre ans, nous regardions ces gars – qui ne sont plus tous jeunes – monter sur scène et faire un show tout bonnement intense et génial. Nous pensions alors, peut-être que c’est possible d’avoir cet âge là et faire ce genre de musique sans sembler ridicule. Alors oui, cela aide. Ils le faisaient avec tellement de grâce. J’ai vu beaucoup de groupes qui se reformaient et qui auraient mieux fait de rester chez eux, mais Wire, c’est incroyable !

Send, leur dernier album est très bon. Ils essaient vraiment de faire autre chose, sur scène également.

Incroyable ! Oui, je pense qu’ils ne veulent pas mimer ce qu’ils faisaient auparavant. Nous jouons de vieilles chansons, eux ne le font pas. Notre devoir à nous, c’est de sonner vrai, correct.

C’est une sorte de challenge en sommeÂ…

Oui. C’est aussi une autre raison qui nous a poussé à retourner en studios, car nous n’avions aucune nouvelle chanson. D’une certaine manière, c’était égoïste de revenir après tant d’années d’absence en rajoutant de nouvelles chansons, mais nous voulions sonner frais.

Je sais que Roger Miller souffre toujours de Tinnitus (maladie qui provoque la surdité). Comment fait-il sur scène ?

Il utilise des protections aux oreilles. Il peut entendre la musique, mais il doit garder le volume à un certain minimum pour sa santé. En même temps, notre musique est forte, cela dépend de la distorsion, des connotations et des harmonies. (silence) Nous avions une décision à prendre, parce que nous ne pouvons pas jouer et le faire de manière « soft ». Alors il utilise ses protecteurs de cette manière, et moi j’ai une sorte de plexiglas autour de ma batterie afin de le protéger des vibrations. Obligatoirement, nous devons utiliser ce matériel chaque fois que nous jouons, c’est la seule manière pour que ce soit possible. Mais ça marche plutôt bien.

Le groupe s’est séparé en 1983 à cause de ce problème. Mais y avait-il d’autres raisons ?

La maladie de Roger fut la raison principale. Nous avions fait du bon travail, ce n’était pas la peine de trop s’y accrocher ! (rires)

C’était aussi simple que ça ?

D’une certaine manière, oui. Je veux dire, c’est peut-être pour ça aussi que c’est aussi facile pour nous aujourd’hui de recommencer. Parce que nous ne sommes pas restés ensemble par la suite où bien avons continué à enregistrer ensemble des albums médiocres voire se bagarrer comme c’est souvent le cas. La plupart des groupes connaissent une période riche puis ensuite chutent pendant quelques années.
Nous étions presque heureux lorsque Mission of Burma s’est arrêté, car nous n’avons pas vraiment connu l’autre versant de la colline. Mais la raison principale, c’est bien sûr Roger. S’il voulait continuer à faire de la musique, il ne voulait pas perdre ses oreilles à trente ans.

La décision fut-elle brutale ?

Roger commençait déjà alors à perdre l’usage de ses oreilles depuis quelques temps, alors ce ne fut pas une surprise. Mais comme je te le disais, il vaut mieux arrêter de cette manière plutôt que de se corrompre.

Après la séparation, la carrière de chacun fut assez expérimentale et assez éloignée de votre musique initiale. Comment expliques-tu cette direction radicale ?

Aussi longtemps que nous jouons du rock, nous avons grandi avec des idoles comme Bowie, Hendrix, Stooges, Roxy Music. Le côté expérimental a toujours été dans notre musique. Nous avons toujours ressenti de l’insatisfaction par rapport à la musique qui passait à la radio. Nous sommes assez égoïstes de ce côté là, nous faisons de la musique qui nous plait et qui tend vers de l’expérimental.

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Quand j’écoute le nouvel album, je ne trouve pas de grosses différences entre le second et le premier album. La musique est toujours la même, c’est comme si vous vous étiez quittés la vieille !

Lorsque nous nous sommes retrouvés, nous n’avions pas de plan. Nous avons fait entre 16 et 20 concerts en deux ans, on prenait cela comme un hobby. Puis, on a commencé à composer des chansons en répète que nous avons ensuite joué pendant les concerts et soudainement, nous avions assez de quoi faire un album entier. On s’est dit : « ok, faisons un album » ! (rires). C’était presque inconscient. Le fait que cela sonne comme avant après tant d’annéesÂ… c’est presque anormal ! C’est tellement confortable pour nous de jouer ensemble. Nous n’avons pas de sorte d’alchimie qui est programmée, cela sort de cette manière.

L’énergies est toujours là en tout cas, c’est assez bluffant.

Merci ! Un peu de cette énergie vient certainement du fait que quand nous avons recommencé à jouer, beaucoup de nos chansons avec lequel nous répétions étaient vieilles. Ces chansons ont un certain feeling. Il doit y avoir un pont, une connexion entre les vieux et nouveaux morceaux. C’était vraiment naturel d’apporter des chansons, nous étions dans un état d’esprit où nous voulions faire quelque chose de nouveau. Maintenant nous en rigolons, parce que nous rencontrons des musiciens de 25 ans qui font des trucs anodins, sans risque avec de jolies mélodies. J’ai toujours eu besoin de faire quelque chose de primal, pas nécessairement métal ni bourrin. Tu peux prendre de l’énergie n’importe où.

Je pense qu’il y aussi quelque chose de pervers que de définir un certain âge pour faire les choses. J’ai 46 ans, le guitariste en a 52Â… mais qui s’en soucie ? Nous jouons une musique qui compte pour nous, c’est tout.

En 2004, il ne reste plus grand chose de la scène des années 80 dont vous apparteniez.
J’espère tout de même qu’il reste quelque chose. Regarde Fugazi, ils font toujours des choses sensationnelles.

Oui, mais c’est assez rare. Même Bob Mould a laissé tombé un temps la musique et fait plutôt de l’electro maintenant.

C’est sûr, les gens avancent et font des choses différentes et s’essaient à la musique électronique – que j’aime beaucoup d’ailleurs, comme Le tigre. J’aime beaucoup de musique qui ne sonne pas comme la notre. J’aime l’énergie, le sens de l’humourÂ… je pense aussi à Sonic Youth. C’est un groupe de rock qui apporte quelque chose d’expérimental dans le rock. Il y a beaucoup de jeunes groupes qui font la même musique que la notre. Nous faisons des popsongs à notre manière. Il y a tellement de manière différente de le faire, il n’y a pas de rêgle.

Est-ce que ce fut une évidence que de réquisitionner le même producteur (Richard Harte) qu’à vos débuts pour enregistrer ce nouvel album?

Il a assisté à l’enregistrement, mais je pense que ce fut plus nous qui avons produit l’album cette fois.

Il est tout de même mentionné dans les crédits !

Il était là, sans aucun doute. Bob Weston, qui fait les boucles et les samples, joue avec Shellac (le groupe de Steve Albini). Il nous a donné des conseils, c’était notre ingénieur en fait. Mais nous donnons tous des conseils et notre opinion. C’était sympa d’avoir les membres originels impliqués dans cette nouvelle aventure. Tout le monde est probablement impliqué d’une manière différente, mais cela ressemble à un gang, une famille.

Comment avez-vous contacté Robert Weston ?

J’ai joué dans quelques groupes dans les années 90 qui ont ouvert pour Shellac. Avant tout, nous avons essayé de contacter le membre originel, Martin Swope, qui faisait les tape loops sur notre premier album. Il vit maintenant à Hawaii où il a une famille, et préfère rester hors de tout ça.

Il a complètement arrêté depuis 1983 ?

Je pense qu’il est resté sur Boston quelques années, puis il a ensuite bougé à Hawaii au début des années 90. Il a décidé de se retirer complètement, alors nous avions le choix : soit ne plus utiliser de loops et jouer à trois, ce que nous ne voulions pas. Le premier à qui nous avons pensé fut Bob. C’est un excellent ingénieur, il a produit beaucoup de groupes de rock indépendant. Ce fut assez facile.

Avec le recul, pensiez-vous à l’époque que le fait d’utiliser des loops dans un groupe punk rock allait autant influencer les générations à venir ?

Nous ne pensions pas vraiment à l’époque que c’était quelque chose de nouveau ou que personne ne faisait. Martin Swope était un musicien qui jouait de la guitare et un peu de claviers. Il regardait dans la même direction que Roger. Martin était très influencé à cette époque par la musique de Brian Eno et Robert Fripp. Ce qu’il voulait faire, c’est surtout de casser le moule du groupe de rock conformiste. Il utilisait différentes approches : Il aimait voir ce qui allait se passer. il prenait une guitare, l’échantillonnait puis accélérait ou ralentissait la bandeÂ… C’était une variation de ce que faisait Eno et Fripp en quelque sorte, mais je pense que personne d’autre ne le faisait auparavant.

Ce qui s’est passé avec Weston, c’est qu’il nous a dit : « si vous voulez utiliser un système digital ou quelque chose de plus sophistiqué, on fonce ». Il a alors commencé à travailler avec du matériel, mais il ne parvenait pas à obtenir les sons qu’il cherchait, alors il est revenu à son bon vieil enregistreur à bande.
Maintenant, beaucoup de gens utilisent beaucoup de moyens électroniques, mais nos enregistreurs avait un certain type de son qu’on ne trouve plus maintenant. Bob aime la vieille méthode.

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Il y a tout de même de nouveaux éléments dans votre musique, comme du violon sur « Prepared ». Comme ça c’est passé.

Il y a un groupe à Chicago qui s’appelle les Rituals avec deux cellos violons. Nous avons joué avec eux il y a deux ou trois ans pour un programme radio. Ils étaient sur le point de partir pour un autre concert le lendemain et Roger leur a dit : « Si j’écris cet arrangement de violon, vous aurez à le jouer sur scène avec nous ». Ils ont répondu « certainement ! ». Lorsque est venu le moment d’enregistrer en studios, nous les avons rappelé. Encore une fois, c’était organique : nous avons essayé, cela sonnait cool, on l’a conservé.

« Wounded World », qui use aussi de cordes est une très belle composition.

Oui, j’adore cette chanson. Roger l’a écrite en 1999, je pense qu’il préparait un album solo à l’époque. Finalement, l’album n’a jamais vu le jour et ce fut l’occasion de donner au titre une seconde chance.

L’expérience en studios semble avoir été mémorable, Est-ce que vous envisagez déjà de retourner en studios pour un nouvel album ?

(rires) Non ! Je ne sais pas ce que nous voulons, mais nous n’avons pas de projet d’avenir.

Est-ce que vous pensez venir jouer en Europe ?
Oui. Nous adorions venir ici. Nous n’avons plus joué à Londres depuis deux ans, c’était la première fois que Mission Of Burma jouait là-bas à l’époque. Nous y avons rejoué il y a une semaine (début avril), mais nous ne sommes jamais venu à Paris ou en Allemagne.
Au début de Mission of Burma, nous avons fait deux tournées aux Etats Unis. En 1982, c’était quelque chose de nouveau pour un groupe de notre ampleur. Maintenant, c’est devenu commun, les groupes tournent tout le temps, n’importe où.

Quel est la prochaine étape alors ?

Je crois qu’il sera temps de retourner travailler à nos jobs respectifs ! (rires) Je pense que nous continuerons de jouer aussi longtemps que nous prendrons du plaisir à le faire. Un peu comme avant. Nous avons des shows prévus pour les prochains mois, mais nous ne pensons pas plus loin. Et cela semble marcher plutôt bien comme ça. Tu comprends, nous avons un travail à côté et des enfants.

Quel est ton travail ?

Je travaille dans un magasin de disque à Boston (il embraie tout de suite). Nous avons toujours baigné dans la musique, mais notre musique n’a jamais été plus importante que nos vies personnelles. Dans mon groupe précédent, je jouais de la guitare. Lorsque Mission a décidé de se reformer, je n’avais pas touché une batterie depuis des années. Je me suis dit alors : « et ben on verra bien ce que ça donne ! ». Ce fut une véritable surprise, un peu comme si tu retrouvais une vieille veste confortable. Et je suis content de pouvoir jouer de la batterie à nouveau.

Pour terminer, est-ce que tu vois une différence entre le music business des années 80 et maintenant ?

Oh Oui. C’est radicalement différent. Une chose vraiment marquante, c’est que nous aimerions trouver un groupe avec qui nous aimerions tourner et avec qui nous nous sentirions proche, mais il y a tellement de musique et de groupes maintenant ! L’apparition d’Internet, le téléchargement, le cable, tout cela change vraiment très vite, et c’est cool, j’aime ça. Il n’y avait pas de supports pareils à l’époque, nous avons été chanceux d’enregistrer un disque. Vraiment très chanceux.

D’un autre côté, cela semble trop facile maintenant d’enregistrer un disque. Parfois, lorsque les choses sont durs, cela peut affecter d’une bonne manière ta musique. Je pense que le fait d’avoir connu toutes ses galères a été bon pour notre musique. Nous n’avons jamais dépendu de qui que ce soit. Peut-être que c’est plus compliqué d’être unique maintenant.

MISSION OF BURMA, ONoffON (Matador)

-Le site de Mission of Burma