Avec une fidèle constance, les frères Kadane continuent de déverser un spleen fédérateur argumenté de Telecasters lumineuses et de larsens brumeux. Et encore une fois, la fin justifie les moyens.


Malgré leur modeste reconnaissance et le statut ultra-culte qui leur convient depuis plus de 10 ans, Matt et Bubba Kadane, sont ce qu’on appelle des valeurs sûres. Aussi imperturbables que des colonnes de marbre greques, les illustres ex-Bedhead résistent sans sourciller à l’épreuve du temps. On se souvient de la relative difficulté à se procurer leurs premiers albums, qui les avaient naturellement confinés à ce statut d’artiste underground, pour ne pas dire « maudit » , pour rester poli. Récemment grâce aux rééditions 2002 sur le label Touch and Go, l’heure de la réhabilitation avait sonné et permis à une nouvelle génération de découvrir ce groupe un peu trop en avance sur son temps. Malheureusement il était déjà trop tard, les « têtes de lit » ont déjà rendu les armes quatre ans auparavant et s’en sont allés former The New Year en compagnie de Chris Brokaw (ex-Come/Codeine).

Trois ans après le formidable The Newness Ends (2001), qui confirmait que la paire de Telecaster avait toujours de belles choses à nous offrir, voilà donc cette très attendue seconde galette. Usant toujours de dérision macabre, le second album s’intitule « la fin est proche », sorte de clin d’oeil à l’esprit fataliste du disque précédent… Vous comprendrez donc qu’ici on ne parle pas de l’arrivée du printemps, ni de l’éclosion des coquelicots. Dans l’ordre des choses, on suggèrera donc pour les prochains albums les titres suivants : Happy new year, This is the end, The neverending Story, The end that should not be…
Blague mise à part, il est agréable de voir malgré des textes à la noirceur évidente, les frères Kadane savent se tourner en dérision et ne se complaignent pas dans cette image un peu trop caricaturale d’artiste écorché jusqu’à la moelle.

Depuis le The Newness Ends, les frères Texans ont émigré à Boston, plus près du fidèle Steve Albini d’ailleurs comme toujours crédité en tant qu’ingénieur – Matt et Bubba se réservant l’attribution de producteurs. La première chose notable, c’est que le disque demeure plus coloré que son prédécesseur. The New year semble pour la première fois faire des concessions – non pas en terme commercial, loin de là, mais évidemment dans le sens artistique. Plusieurs instruments étrangers (violons, pianos, et même des choeurs) font leur apparition, non pas de manière fortuite, mais plutôt justifiée, histoire de donner quelques variations à leurs compositions guitaristiques usuelles. La matière se veut ainsi plus profonde. En ce sens, on se retrouve tout de même un peu déboussolé lorsque « The End’s Not Near », la première plage du CD commence : des notes de piano sont nettement discernables et tendent vers ses harmonies répétitives si chères à Pinback.

Autre détail, troublant : la voix. Jusqu’à présent, la ligne de conduite chez les frères Kadane était la suivante : ce n’est pas le chant qui est roi, ce sont les guitares qui se font nobles. Le chant ici s’écoute mais ne se fredonne pas, ce sont les guitares qui s’en chargent. Hors, sur la table de mixage, le curseur « chant » semble avoir été pour la première fois monté d’un cran. Les compositions ont pris une tournure légèrement plus pop, comme sur « Disease », ou « Age of Conceit » , qui poussent le bouchon jusqu’à se fendre de choeurs. Pas de quoi se faire du mourron non plus, ces petites notes sont utilisées à bon escient.

Il reste enfin ce pourquoi on écoute leurs disques : cet intriguant et fascinant travail sur les guitares qui a fait la renommé du groupe, tour à tour menaçant et rêveur.
« Plan B » est sans conteste le tour de force du disque. Une sorte de phénomène boule de neige qui atteint un paroxysme d’intensité et fait l’effet d’une bourrasque menaçante qui s’accable sur nos malheureuses oreilles. »18″ , seule pièce montée du disque, culmine sur près de 8 minutes de larsen, mais n’apporte pas grand chose à l’entreprise, les frères s’étant montrés plus inspirés par le passé. Ils se rattrapent sur « Stranger To Kindness », ballade crépusculaire à laquelle se greffent des violons jamais putassiers.

Ils nous le prouvent encore sur ce disque, The New Year reste toujours une meilleures formations rock alternative dans l’art de distiller une tension fiévreuse, basée sur l’économie de moyen (vagues de larsen et Telecaster sont ici aussi pure que du cristal). Plus que tout autre groupe de rock ils ont su transcender cette formule empruntée aux modèles New Yorkais (Television, Sonic Youth), et en faire leur marque de fabrique. Mais comme on dit, « il y a l’art et la manière de la faire », et à ce jeu là, les frères Kadane n’ont plus rien à prouver depuis longtemps.

-Le site de Touch and GO

-Le site de The New Year

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