C’est dans les loges de l’Ancienne Belgique, une salle de 2000 places bien connue de Bruxelles, que nous avons rencontré Buzz Osborne (Melvins) et Trevor Dunn (Mr Bungle), peu avant le concert apocalyptique de Fantômas. Essayez d’imaginer un chevelu imposant (Buzz) et un punk à crinière (Trevor), avec en filigrane une véritable machine à prouts , sans oublier Mike Patton faisant des incursions sous forme de cri et, enfin, le collectif belge Flat Earth Society (plus de 15 musiciens de fanfare) accordant ses instruments à côté, vous aurez un petite idée de l’ambiance surréaliste qui se trame backstage. Finalement, tout cela ressemble beaucoup à Delirium Cordia!


Pinkushion : Comment réagissez-vous si je vous dis que votre musique est, au niveau du concept, comme une combinaison entre la musique classique contemporaine (Ligetti) et le free Jazz?

Trevor: Je réagirais probablement comme ceci : ahhhh!

Buzz : Je ne sais pas.

T : Il n’y a pas vraiment d’improvisation dans notre musique, je ne crois donc pas que ça ait grand chose à voir avec du free jazz. Par contre, pour ce qui est de Ligetti, peut-être plus, car tout est composé, pensé…Je dirais plutôt que c’est une combinaison entre Ligetti et Slayer.

B : Oui, le heavy metal est très présent.

Tout à fait. Pourrait-on définir cette combinaison comme de l’expérimétal?

B: Oui, on peut dire ça…

Dans ma chronique sur Delirum Cordia, j’écrivais que vous aviez inventé un nouveau style, mais que l’on ne savait pas encore lequel… Pourriez-vous le définir?

B: J’en suis incapable!

T : Probablement pas.

B: Un nouveau style?

Oui, comme l’art abstrait en peinture.

T: En tout cas, ce n’était nullement pensé. Nous essayons juste de faire quelque chose de nouveau pour nous tous. Nous n’écrivons pas la musique de Fantômas…

C’est Mike qui le fait n’est-ce pas? Y a-t-il cependant de l’improvisation dans votre musique?

B & T : Non.

Et lors de vos concerts?

B : Non plus. Ça sonne improvisé?

Votre musique laisse pas mal de portes ouvertes à l’improvisation sur scène…

B : Non, ça me semble plutôt tiré par les cheveux. Je n’ai jamais trouvé que l’on sonnait improvisé. Mais j’ai entendu ça beaucoup de fois et par beaucoup de gens… Alors je me demande, qu’est-ce qui peut bien donner cette impression aux gens? C’est quoi?

T : Il y a de la musique qui veut sonner improvisé mais qui ne l’est pas du tout. Dans notre cas, c’est plus comme un quartette de cordes qui lit ses partitions sauf que l’on a tout mémorisé. Chaque titre donne l’impression de «Â What’s next », tout est pensé.

B : Repensé.(rires)

Delirium Cordia donne l’impression d’un achèvement.

T: J’imagine que l’énergie déployée donne cette impression. Nous ne nous sommes pas vraiment impliqués dans ce processus.

Mais le fait que ce soit un titre, comme en musique classique ,n’a-t-il pas plus de sens?

B: Nous ne l’avons pas enregistré comme un morceau, et je crois savoir que Mike ne l’a pas écrit comme un seul morceau. Ce sont plein de morceaux différents, c’est ainsi que nous le percevons et Mike aussi. Il n’a jamais dit qu’il voulait jouer le tout comme un seul morceau. Il y a une idée, oui, qui peut donner l’impression qu’il s’agit d’un seul titre.

T : On aurait pu enregistrer le disque comme trente morceaux différents…

J’ai trouvé que c’était une bonne idée d’en faire un seul morceau.

B : Je pense que c’est plus irritant pour les gens qu’autre chose. (rires)

Je ne trouve pas.

B : Croyez-moi sur parole! (rires) Ce que je n’aime pas dans les cd c’est la possibilité de les jouer au hasard. Je trouve ça ridicule. En mélangeant les titres à l’écoute, c’est comme si vous extirpiez les morceaux de leur contexte. Je passe beaucoup de temps à choisir la track list d’un Cd. Et ce pour une bonne raison : sinon, c’est comme si vous mélangiez les chapitres d’un DVD.

T : Ou comme d’écouter un disque de musique classique dans le désordre.

B : Par esprit de contradiction, ça permet aux gens de ne rien faire. Je ne crois pas que ce soit «Â artistique », mais les gens doivent écouter tout d’une traite ou avancer en mode forward. A la limite, vous pouvez le graver en créant vos plages…Mais je n’en vois pas l’intérêt.

T : C’est comme si vous achetiez un tableau de Picasso et l’accrochiez à l’envers. Vous pouvez le faire mais ce n’est pas ce qui était voulu par l’artiste.

B : Les gens devraient laisser les artistes faire leur boulot. Il faut prendre le disque d’un artiste tel qu’il est et l’écouter tel qu’il a été créé. Je veux la pochette qui a été prévue à cet effet etc… Je veux « The Real deal ». C’est ainsi que lui a fait son œuvre. En même temps, c’est une question intéressante de savoir jusqu’à quel point on peut «Â dicter » à l’autre -l’auditeur- ce qu’il doit faire ou pas faire avec son œuvre. C’est très délicat. C’est comme si je vous disais voici la question que vous devriez me poser maintenant…

Quelle question devrais-je poser maintenant? (rires)

B : C’est à toi de décider. C’est ton boulot je ne vais pas le faire à ta place.

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Quand on écoute Delirium Cordia on a l’impression d’écouter la musique d’un film d’horreur. Etait-ce voulu ou est-ce un hasard?

T : C’est naturel en quelque sorte. Nous aimons ce genre de films donc… Tout le monde devrait aimer ce genre…

B : Ne faites jamais confiance à quelqu’un qui vous dit qu’il aime les comédies romantiques… (rires)

Aimeriez-vous participez à la réalisation de la musique d’un film d’horreur?

B : Absolument. Mais personne ne nous demande de le faire… C’est ça le problème. Nous aimerions tous vraiment être impliqués dans cette sorte de projet, mais personne ne veut qu’on le fasse… Pourquoi? Parce que le monde n’est pas l’endroit où il faut être! (rires de Trevor) Les choses ne sont pas comme elles devraient l’être. Jamais! C’est comme ça. Il faut garder son sang froid. Si les gens de l’industrie du cinéma sont trop stupides pour réaliser que la musique que nous faisons pourrait leur servir ce n’est pas notre faute. Ils ne sont pas assez visionnaires pour voir ce genre de choses.

Dans tous ces films d’horreur, ce sont toujours des copier-coller. Un bon exemple, ce sont les films pour lesquels compose Danny Elfman. C’est toujours exactement la même bande sonore à chacun de ses films. Est-ce qu’il regarde ces films? J’ai du mal à imaginer qu’il pense que toujours utiliser la même saloperie est la bande sonore parfaite pour chacun de ces films… ça ce n’est pas composer la bande sonore des films, c’est se foutre de la gueule du monde! Ils ne sont intéressés ni par la qualité de la musique ni par l’àpropos de la musique des films. En fin de compte, je n’ai aucun respect pour l’industrie du cinéma. Tout comme je n’ai aucun respect pour l’industrie du disque. Nous faisons ce que nous faisons et basta. Si les gens ne s’intéressent pas à ce que nous faisons ce n’est pas parce qu’on est pas bons mais parce que ça ne les intéresse pas.

(NDLR : Mike patton ouvre la porte de la loge à cet instant précis et crie comme un furibard, puis referme la porte)

Que pensez-vous des protections que l’industrie du disque semble mettre en place, comme le copy control?

B :Je n’ai rien contre. Je pense que les gens devraient acheter le CD tel que nous le voulions. Les cd ne sont pas chers.

Aux Etats-Unis c’est plus vrai qu’en Europe.

B : Combien coûte un Cd ici?

20 euros.

B : 20 euros? Combien d’argent dépense l’européen en bière par semaine? C’est du loisir qui est bon marché! Nous avons, en tant qu’artistes, investi bien plus d’argent, des milliers et des milliers de dollars pour faire en sorte que ce CD existe que les malheureux 20 euros que le consommateur dépense pour l’acheter. Ils ont un bénéfice jusqu’à la fin de leur existence pour cette petite dépense. Lorsqu’ils achètent une bière et la pissent ensuite aux toilettes, ils veulent me faire croire que ça a plus de valeur? Je suis en désaccord total. Combien dépense-t-il en télé? Le Cd a bien plus de valeur que tout ça. C’est de l’or! Au lieu de se plaindre du prix du Cd, ils feraient bien d’arrêter de faire tout ce qu’ils font. Ils ne sont peut-être pas vraiment intéressés par la musique, ils aiment juste se plaindre. Peut-être que ça leur donne plus de pouvoir aussi! (trevor rit)

Une suite de Delirium Cordia, présenté au départ comme le premier volume d’une double sortie, était annoncée pour cet été . Qu’en est-il et à quoi ressemble ce deuxième volet ?

T: C’est déjà enregistré. Ils ne sont pas combinés. C’est comme deux concepts différents. C’est prêt et ça sortira l’année prochaine. Ça ressemble plus à notre premier album : des chansons plus courtes, plus proches de la musique de dessins animés, on a utilisé pas mal de sampling dans ce domaine-là.

Allez-vous en jouer des morceaux ce soir, en concert?

T : Oui. Un ou deux.

Voyez-vous une différence entre le public européen et le public américain?

B : Oui, nous pouvons comprendre « fuck you » dans presque tous les pays où nous jouons.

Trevor : Oui (rires). En treize langues différentes. Pour le public, c’est la même chose à dire vrai. Il y a des publics plus concentrés, d’autre plus confus, ou, comme à Hambourg, un public étrangement silencieux. Je ne sais pas . On a eu de très mauvais ou de très bons publics des deux côtés de l’atlantique.

Les deux dates en Islande de votre tournée européenne, est-ce dû au fait que Bjork est une de vos grandes fans?

B : (rires). Oui! M’en parle pas! On va se promener avec elle.

T : Non, on ouvre pour Korn là-bas.

Pour finir, question rituelle chez Pinkushion, pourriez-vous me citer vos films et disques préférés?

T : Ah, mon dieu! On a regardé beaucoup de films ces derniers temps… J’ai beaucoup aimé Splendor in the grass (Elia Kazan). Lawrence d’Arabie (David Lean). Days of wine and roses (Blake Edwards).
En disques, j’ai beaucoup écouté les quartettes de cordes de Bela Bartog, un compositeur hongrois. Le dernier disque de Britney Spears aussi.

Pour quelle raison?

B : Pourquoi croyez-vous? Parce qu’elle croit qu’elle est une grande chanteuse (rires).
Treasure …(rien compris) est mon film préféré, de tous temps!
Pour la musique, j’aime bien Melt Banana, c’est très vibrant, militaire même, on peut presque les imaginer jouer pour Pearl Harbor! On ne peut arriver à dominer le monde sans avoir une certaine discipline.