Les organisateurs jubilent, et on les comprend. Un temps radieux – c’est assez rare pour le signaler – anime cet après-midi la seconde édition du festival Rock en Seine, le plus grand rassemblement rock de la capitale après Solidays. La première édition du festival s’était distinguée par trois têtes d’affiche pratiquement incontournables du circuit, PJ Harvey, Beck et Massive Attack.
Vendredi 27 août
Rien que ces trois noms sur l’affiche avaient suffi d’installer le dernier né des grands festivals estivaux en tant que rendez-vous incontournable de cette fin d’été. Logiquement, ce second rendez-vous se devait de faire encore plus fort, histoire d’enfoncer le clou et de s’installer définitivement dans le paysage rock d’Ile de France.
14 h 00, une horde de tee-shirts noirs (la plupart) s’agglutinent devant l’entrée, bravant les habituelles distributions de prospectus. Près d’une heure avant le coup d’envoi, on profite pour faire le tour des installations. Les deux scènes sont placées chacune aux antipodes du site et il faut bien six bonnes minutes pour aller d’un point à l’autre, un peu éreintant à la longue.
Heureusement, il y a de quoi faire en chemin. Première surprise, le nombre de stands a carrément doublé depuis l’année dernière. Outre les habituels points de restauration, buvettes et autres stands de merchandising, on distingue déjà quelques tentes inhabituelles et plutôt éclectiques qui se détachent : celle de dégustation de spécialités créoles connaît un franc succès, tout comme le point Internet qui permet gratuitement de vérifier nos e-mails, voire de chatter en direct, histoire de crâner un peu avec les potes restés à la maison. L’intrusion des Inrockuptibles est aussi un peu étrange, proposant un stand plus proche de celui d’un fanzine qu’un magazine de leur renommée. Juste à côté, une étrange estrade où s’animent quelques lauréats d’un concours de poètes, rock en strophes, tentent d’appâter quelques passants, en vain.
15 h 00, le quintet de Detroit Blanche investit la scène de la cascade. Vêtus de costards élégants et délicieusement décalés, cette vision nous propulse un siècle en arrière du temps de la grande ruée vers l’or. Musicalement, le groupe en impose aussi, d’autant plus que leur rock, étrange mixture de Sixteen Horsepower et des Tindersticks, possède une aura indéniable et envoûte par ses ambiances subtiles égrenées par une pédale lap-steel. Un étrange cocktail de garage rock, country et d’ambiance à la Lee Hazlewood. La belle Tracee Miller, à la chevelure rousse abondante contrebalance de sa voix fluette avec le timbre rugueux de son époux Dan. Une entrée en la matière parfaite donc.
16 h 00, Avant de rejoindre Blanche pour une interview, on passe devant la grande scène où s’activent les punk rocker de Flogging Molly, qui, si leur origine californienne n’avait pas été mentionnée sur le prospectus, on jurerait les voir débarquer d’un pub irlandais tant leur musique emprunte le même sillage que les Pogues. Leur formule ne révolutionne pas le genre, mais apporte une ambiance festive qui prépare le terrain.
Entre deux va-et-vient, on en profite pour jeter un œil sur les sublimes clichés photos de Claude Gassian, vétéran du circuit rock, qui a posé son objectif devant les plus grands : Keith Richards, Joe Strummer, PJ Harvey, Lou Reed, Tricky… excellente initiative de l’organisation, et un réel moment de détente que d’admirer ces quelques moments privilégiés de la vie d’une rock star, pris sur le vif. Un instant apaisant, histoire de s’oxygéner un peu avant de replonger dans la foule festivalière.
17 h 15, The Roots, premier réel poids lourd de la journée, monte sur la grande scène. Les six musiciens et leur rap hybride mettent le feu au parc de Saint-Cloud. En croisant aussi bien le rock avec le jazz ou la soul, le sextet de Philadelphie emmène loin le hip hop, qui depuis quelques temps a trop tendance à se mordre la queue. Enfin une bouffée d’air.
De l’autre côté du site, le charmant ouragan d’Electrelane se fait entendre. Une heure avant Sonic Youth, les riot grrrls jouent très fort, instaurant un climat à la fois rêche et tendu, mélange de synthé kitch et de guitares dissonantes. A noter, une reprise du boss, « I’m on fire » qui défigure l’original.
18 h 45, épaulés par Jim O’Rourke Sonic Youth enflamme la grande scène de leur rock énergique, viscéral et sans retenu à l’image d’un Thurston Moore, très en verve, maltraitant sa guitare à coups de feedback. Une leçon de maturité rock dont nombre de jeunes groupes à guitare devraient s’inspirer.
20 h 00, dur dilemme que de choisir entre le charmant Daniel Darc et le duo inspiré des White Stripes. Pour satisfaire toutes les bouches, on goûtera à tout et sans ou presque aucun gâchis. Avant sa prestation on aura eu le temps de s’entretenir avec notre Burrough national, émérite critique musical et distingué amateur de jazz et de rock au chaos punk. Sur scène, Darc est comme dans la vie, attachant, franc et entier, laissant volontiers aux suiveurs les paillettes et l’hypocrisie. Epaulé par des musiciens dont un Frédéric Lo se révélant vrai salvateur du poète céleste, l’ex Taxi Girl se jette corps et âme dans les chansons de son album Crève Cœur qui à chaque mot chanté prennent de l’ampleur et emmènent la foule présente vers des auras puissantes.
Vingt minutes après le début du set de Daniel Darc, les White Stripes envahissent la grande scène, bondée de tous côtés par la presse dégustant chaque miette de la prestation du duo. Sur la pelouse du domaine national de Saint-Cloud, les spectateurs les plus excités se lancent dans des danses vaudouistes au rythme de la batterie que martèle Meg White dans un coin de la scène.
Les riffs bluesy de Jack White font l’unanimité parmi les festivaliers qui pour les plus jeunes découvrent devant leurs yeux ébahis le garage rock.
Après la prestation du duo de Detroit, il est difficile d’ apprécier à sa juste valeur la soul de la toute jeune Joss Stone qui reste un peu fade et ne nous emballe guère.
22 h 15, la techno aux influences rock des Chemical Brother pénètre les corps de l’assistance et transforme le parc de Saint-Cloud en club à ciel ouvert. Un set à la fois percutant, sensuel et hédoniste qui clôture la première journée du festival Rock en Seine tout en couleur.
Samedi 28 août
14 h 00. Arrivée du week-end oblige, l’affluence de ce samedi semble plus importante qu’hier devant le parc de St-Cloud. On peut constater ce phénomène dès l’ouverture des portes, puis devant la scène de la cascade où les frenchies de Kaolin ouvrent le bal. Croisement français entre Radiohead période premier album et Muse, la musique manque un peu de personnalité et laisse un goût de déjà vu, ce qui ne doit pas vraiment déplaire de toute façon à la majorité du jeune public, vu le nombre pléthorique de tee-shirts « Muse » occupant le M2 (pas extraordinaire en plus, les plus cool sont indéniablement ceux de Sonic Youth), une vraie secte.
La pluie, cruellement absente hier (ce qui m’amène à la réflexion suivante : « un festival sans pluie, c’est comme une guitare sans cordes »), a voulu prendre sa revanche juste après la prestation de Kaolin (y voir un lien de cause à effet ?). L’herbe se transforme rapidement en patinoire boueuse et les Converse paient l’adition. Autre conséquence de cette courte mais intense averse, le retard s’accumule d’une bonne demi-heure sur la petite scène.
Toujours dans la série des mauvaises nouvelles, Mike Patton et BRMC avaient décidé de nous faire faux bond la veille et avaient du coup chamboulé le programme de cette seconde journée de rock « St-Clouté ». Dommage. Heureusement, la courageuse organisation s’est tirée in-extremis de ce mauvais pas en recrutant la rouquine ténébreuse Melissa Auf Der Maur (compte-rendu un peu plus loin).
Derrière ce démarrage en demi-teinte, la première réelle bonne surprise vient de l’inconnu – mais plus pour très longtemps- Nosfell. Grâce au forfait de Mike Patton, ce jeune musicien s’est vu proposer une promotion inespérée en se produisant sur la scène principale.
Il est alors 16 h 00 lorsque le guitariste à l’allure de troubadour tibétain monte seul avec sa guitare sur l’immense scène principale, mais son charisme emplit sans problème l’espace vacant. Le jeune homme semble débarquer d’une autre planète : crane rasé, le torse nu flanqué d’un étrange tatouage sur le bras droit, sa corpulence svelte et androgyne rappellent un autre caméléon, Prince.
L’approche musicale est aussi totalement singulière : à la manière d’un Joseph Arthur en solo, il échantillonne les sons de sa guitare acoustique, y sortant des sons parfois tribaux, voire effrayants. Et que dire de sa voix passant sans difficulté apparente d’un oisillon à celle d’un ogre? Son jeu de scène est tout aussi déroutant, se déplaçant à la manière d’une « danse de lézard », le gentil schizophrène s’adresse au public en français, chante parfois en anglais, mais la plupart du temps avec un langage connu que de lui, le « kloklobetz ». A la fois Envoûtant et intrigant, Nosfell a gagné la partie et reste sans conteste la grande révélation de ce samedi. Un univers atypique que l’on ne demande qu’à vérifier sur disque, prévu pour la rentrée.
17 h 30, vient ensuite le tour d’un autre soliste de grimper devant les 20 000 spectacteurs, le rappeur champêtre Buck 65. Considéré comme l’une des avant-gardes les plus pointus et visionnaires du hip-hop, cet ermite véhicule sur scène l’image d’un entertainer attachant, jonglant entre sa platine et son micro. Habillé d’un costard négligé de circonstance, ses ambiances limite bluesy et sophistiquées ainsi que son flow petit blanc redneck tranchent définitivement avec ce que l’on a l’habitude d’entendre dans ce créneau et surtout avec son voisin de palier, le trop consensuel Mr Vegas. Le jeune blanc-bec s’amuse même à rapper sur le célèbre riff des Queens of the Stone Age, « No one Knows », effet garanti !
19 h 00, Les BRMC aux abonnés absents, les festivaliers comptaient beaucoup sur Radio 4 pour leur offrir une bonne dose de rock US urbain et tendu. L’une des plus formidables machines à danser de la Big Apple enchaîne ses brûlots sur un rythmé effréné, entre basse ronflante et guitares épileptiques rappelant l’urgence de The Clash et Gang of Four. Force est d’admettre que les nouveaux titres de leur troisième passent mieux l’épreuve live, plus rugueux et dénué d’effets boursouflés qui handicapent leur troisième album, Stealing of a Nation. Ces cinq lascars connaissent indéniablement les bonnes ficelles pour faire taper du pied la foule, voire plus si affinités… et lorsque le riff de « Dance To the Underground » se fait entendre sur les enceintes du parc, se sont des milliers de têtes qui suivent le rythme de cette antenne universelle.
19 h 00, le couple Zero 7 qui s’est fait connaître en travaillant dans l’ombre de Nigel Godrich sur la production de Ok Computer de Radiohead installe sur la scène de la cascade une ambiance vaporeuse à la croisée de Morcheeba et Röyksopp. Au chant, les voix féminines se succèdent et rendent la pop teintée d’électronique des anglais mélodique voire mélancolique. Tiens le soleil refait son apparition.
20 h 00, après un petit break le temps de recharger les batteries et de rédiger quelques articles, le son énorme de Melissa Auf Der Maur, pas surprenant pour une amateur de hard rock, nous replonge dans l’arène de Rock en Seine. Alors qu’on attendait avec impatience Black Rebel Motorcycle Club, pour cause de batteur malade, c’est l’ex bassiste de Hole qui retiendra l’attention. Une heure de concert pour asséner un rock blafard, psychotrope et incandescent toutefois en s’autorisant par moments quelques légèretés comme son single « Taste you » chanté en français.
20 h 30, les personnes venues voir Archive ne s’y sont pas trompées, le set est intense à l’image de Craig Walker chanteur portant les stigmates d’un rock écorché et primal. Depuis leur premier album Londinium, Archive a toujours bénéficié d’un accueil chaleureux en France et ce n’est pas ce soir que les festivaliers les laisseront tomber. Malgré que le fait que Muse vient d’entrer sur scène, le public reste en masse pour applaudir à tout va les anglais qui se détachent un peu de leur étiquette. Cerise sur le gâteau, même sans chanteuse Archive sait rester sensuel.
21 h 45, la foule est en délire. Ceux qui vendent presque autant de tee-shirt que d’albums, du moins au vu des tenues, n’ont pas besoin de forcer leurs talents pour séduire les esprits tant le public leur est tout acquis. Repris en chœur Muse enchaînent ses tubes les uns après les autres dignes d’une machine bien rodée. C’est efficace mais pour nous ça manque un peu d’âme et de spontanéité.
22 h 30, les pauvres Hoggboy, qui s’ils n’avaient pas ratés leur avion auraient dû jouer à 16h15, se retrouvent sur la scène de la cascade au moment où la tête d’affiche tant attendue par la majorité des festivaliers fait pleurer de bonheur les jeunes filles émotives ou amoureuses. Ce n’est pas ce contre-temps qui déstabilise les quatre teignes de Sheffield. Même devant une assemblée réduite Hoggboy lâche en pâture ses guitares saturées pour côtoyer par moments les cimes du punk rock.
23 h 30, alors que le parc de Saint-Cloud se libère de l’emprise de Rock en Seine, les organisateurs tout comme les bénévoles commencent à nettoyer le site. Encore un petit verre pour repousser le départ et prolonger la magie de ces deux jours entre amis, des étoiles plein la tête la nuit s’annonce belle sur Paris. On nous promet que l’année prochaine le rock s’insinuera encore à Saint-Cloud et nous, nous y serons avec grand plaisir.
-Le site officiel de Rock en Seine