Partant un peu dans toutes les directions, Damage n’en demeure pas moins un disque ultra-efficace, boosté par une pléiade d’invités venus prêter main forte au trio le plus explosif de la Big Apple.


Jon Spencer is back ! Désormais amputé de sa moitié nominative, le (Jon Spencer) Blues Explosion, décision forcément motivée par une volonté de démocratisation au sein du groupe, le gentleman Spencer compte remettre les compteurs à zéro – Où du moins le faire entendre haut et fort. Mais bon, on ne nous la fait pas, le Boss ici, c’est toujours cette sympathique boule de nerfs, toujours prêt à vous crever les tympans en hurlant son slogan : « Bluuuuuuuues exPLOsieuuuuuuuun Babyyyyy ! ». Il faut dire aussi que les New-yorkais en avaient peut-être un peu marre de se faire squatter leur territoire par des p’tits branleurs (qui a dit les Strokes ?), surtout après un mauvais timing de sortie coïncidant avec le médiocre Plastic Fang, et ce en pleine furia Rock n’ roll.

Conscient donc de leur dérapage précédent sur Plastic Flang, album produit avec l’incongru Steve Jordan (Jon Spencer défendait alors son choix artistique en prétextant que Jordan avait produit un album des Rolling Stones, ben oui peut-être, mais période 80’s), le power trio a donc retroussé les manches de ses perfectos et repris les bonnes choses là où ils les avaient laissées, en l’occurrence après Acme, son opus le plus abouti à ce jour.

Pour cela, Jon Spencer, Judah Bauer et Russel Simins ont ressorti du grenier leur carnet d’adresse VIP, à faire pâlir de jalousie David Guetta et Jean Roch : David Holmes, Martina Topley Bird, Dan The Automator, DJ Shadow, mais aussi l’ennemi public Chuck D, et James Chance, figure underground New Yorkaise. Citons également au rayon producteur/remixeur la brève apparition mais toujours appréciée d’Alan Moulder (MBV, Depeche Mode…), le p’tit nouveau Danny Madorsky (un pote de Russel Simins, qui affiche également sur son tableau de chasse Ween, mais aussi Zebda et Iam !) sans oublier les revenants Chris Shaw, Steve Jordan (présent sur 5 titres, il s’accroche le bougre) et Don Smith (Tom Petty , Eurythmics, Bob Dylan, U2). Malgré une guest-list irréprochable, le choix de requins de studios derrière les manettes nous laisse tout de même consternés – connaissant en sus la rigueur musicale de l ‘ex-leader (comme c’est mesquin) du Blues Explosion.

Cette liste dressée vous donne une p’tite idée à quel point le sixième album du Blues Explosion dévoile une surpopulation au M2 digne de Tokyo. Peu importe, le problème avec ce genre de disque fourre-tout, c’est que l’on est toujours tenté de comparer tel morceau avec celui du voisin, la cohérence d’ensemble étant reléguée en dernière position dans notre échelle de jugement. Mais le cul coincé entre deux chaises (brulôts rock sur-vitaminés et trip-rock limite psyché), Damage recèle pourtant pas mal de bons moments, pour finalement rafler la mise.

Damage, effectivement, fait pas mal de dégâts. La chanson éponyme tout d’abord, véritable implosion martelée par Russel Simins, batteur à la frappe phénoménale (il faut le voir sur scène pour y croire), qui fait ici une irruption derrière les manettes de producteur très remarqué. Petite surprise, les titres les plus novateurs voire barrés (“Rivals”, “Help These Blues”) sont co-signés par Danny Madorsky, faisant d’ailleurs mieux que les poids lourds officiels présents ici. D’ailleurs, la collaboration attendue avec DJ Shadow (“Fed Up and Low Down”) se révèle moins aventureuse qu’on pouvait s’y attendre, même si accrocheuse et augmentée du saxo régressif de James Chance.

“Burn It off”, est le premier titre rock et entraînant ultra efficace à émerger, de facture plutôt classique (CQFD : comprendre produit par Steve Jordan), rappelant malheureusement un “Wail” passé au détecteur de métal. Sans danger donc. On lui préfèrera dans le même registre l’incontrôlable “Mars, Arizona”, où le groove du Blues Explosion devient limite cosmique.

Fait plutôt rare, le troisième titre est une «“ croonerie” », façon « Blue Moon » de Presley, propulsé en orbite par le savoir-faire du grand David Holmes et la voix chaleureuse de Martina Topley Bird. “You Been My Baby”, autre titre bénéficiant des vocalises de l’ex de Tricky est un blues/Gospel maltraité par des samples marécageux. Autre bonne tranche, l’enjoué “Crunchy”, épaulé par Dan Automator nous rappelle au bon souvenir des expérimentations cartoonesques passées. Enfin, “Hot Gossip” s’adjoint les services d’un vieil idole de la bande, le dangereux Chuck D, cité à longueur d’interview par les intéressés comme une de leurs influences cruciales.

Disque décousu, véritable télescopage des deux dernières productions du groupe, Damage sonne bien le glas de l’omniprésence de Jon Spencer vers une démocratie de groupe bénéfique qui pourrait bien relancer la machine. Ce groove là reste toujours diablement efficace et largement plus inventif que la moyenne.

– Le site officiel du Blues Explosion