Virus pervers, les arpèges de Pinback s’encrent dans votre système nerveux pour ne s’y déloger qu’après y avoir bien fait le ménage. Toujours très loin devant le peloton.
En l’espace de deux albums et une poignée de EPs, Pinback est parvenu à créer un univers à part dans le carcan pourtant segmenté du rock à guitare. Devenus l’un des secrets les mieux gardés du rock alternatif US, mais aussi l’un de ses représentants les plus dignes d’intérêt, Rob Crow et Armistead B. Smith IV (Zach pour les intimes) ont su capter l’attention avec une formule pour le moins archi-ressassée : basse, guitare, batterie.
Pourtant Pinback parvient à tirer son épingle du jeu : l’originalité du duo résidant à travers l’usage de boucles d’arpèges sémantiques. Tout comme Death Cab for Cutie et Built to Spill, Pinback, entretient le goût pour les progressions d’accords axés essentiellement sur les quatre cordes graves de la guitare. Autre bon point : là où la plupart des groupes dit de rock à guitare électrique usent d’une distorsion plus que de raison, le parti pris d’utiliser un son clair et sans artifice fut sans doute la meilleure option optée par les Californiens.
Les deux Eps parus l’année dernière démontraient une réelle volonté d’utiliser des sonorités nouvelles – notamment avec des claviers plus présents qu’à l’accoutumée – tout en gardant leur style si spécifique. Malgré cela, les compositions péchaient par un manque de profondeur, et se révélaient au final moins percutantes que par le passé.
A l’écoute de Summer in Abaddon (troisième album et premier pour Touch & Go), on comprend vite que le duo de San Diego a choisi de revenir vers la quintessence de son art : des progressions solides qui s’imbriquent les unes aux autres avec un soupçon de mélancolie désincarnée. Nos amis pourraient bien évidemment virer electro ou s’encombrer d’un orchestre symphonique, ils ont préféré sculpter la matière déjà en place, peaufinée sur les épisodes précédents. Et le résultat parle, Zach et Rob Crow créent une musique assez originale pour se suffire à elle-même, du moins pour le moment.
Enregistré dans leur propre local courant 2003, la paire égrène dans ses compositions une mélancolie aussi froide et tranchante qu’une arme blanche. Cette façon de gratter les cordes de guitares, guidé par une rythmique rampante, rappelle les mouvements d’un insecte terrien, une bestiole imprévisible (“Sender”).
Pinback a peut-être perdu de son radicalisme des débuts, ils ont par contre gagné en concision. L’ensemble, plus lent, est moins désespéré mais reste définitivement poignant. “Syracuse”, ballade dominée par des claviers, démontre toujours un sens inédit de la mise en scène dramatique, prenant souvent à contre-pied l’auditeur sur des thèmes mélodiques qui semblent continuellement se reconstruire. On hésite même à parler de rock tant ses chansons à l’essence pop, privilégient l’intensité mélodique à l’urgence rock. On a pourtant bien affaire à un groupe électrique. C’est peut-être cette confusion qui fait tout l’intérêt de Pinback.
Toujours porté par des textes à l’humour morbide comme l’indique le titre, (Summer in Abaddon, traduire : « un été en Abaddon »), Abaddon est le nom de l’un des anges exterminateurs de l’apocalypse. Pas de quoi se la dorer au soleil, plutôt en enfer même. Délicieux brasier.
-Le site officiel de Pinback