Cet oiseau-là nous assène un folk aérien de haute volée, transcendé par des ballades pop à la beauté qui n’a d’égale que sa liberté d’espace. Grandiose.
Premier choc, cette sublime couverture fantomatique, rappelant d’autres amis (Kozelek, Silver Mt Zion… ) trop longtemps fréquentés pour avoir longuement épluché le visuel de leur pochette sur le bord du lit, le casque de la sono posé sur la tête. Et là toujours des oiseaux crépusculaires – la plupart du temps des corbeaux – viennent illustrer cette musique solitaire. Winged Life, troisième livraison de Shearwater, ne fait pas exception à la règle : une nuée d’oiseaux s’envole d’une ligne électrique, comme effrayée par un mauvais présage qui se dessine dans le ciel. Contre vents et marées, on s’y accrocherait tellement la musique de Shearwater est d’une grâce divine. Alors on vous dira, comme pour tout disque de cette tremp(é)e, que cette musique s’écoute les jours de pluie, la joue collée à la fenêtre, ou bien en s’amusant à dessiner du doigt sur la buée des cœurs (brisés).
Ce qui frappe à l’écoute de Shearwater, c’est que cet environnement semble définitivement plus hospitalier que le folk ébréché d’Okkervil River, pourtant priorité de Will Robinson Shelf et Jonathan Meiburg. Avec déjà deux albums derrière lui, le duo considère Shearwater comme un échappatoire. Personnellement, ce disque surclasse d’une bonne tête les travaux parfois un peu trop brouillons de leur premier amour.
Jonathan Meiburg, claviériste occasionnel du groupe de Will Shelf, a un jour pris son courage à deux mains pour présenter ses démos à son patron. Emballés par le matériel, Shelf et Meiburg bricolent ensemble sur un quatre-pistes puis accumulent assez de matériel pour finalement passer à l’étape suivante : ils accouchent de deux disques en l’espace de deux ans (2001 et 2002) à l’écho critique confiné.
Enregistré à Denton (Texas) par Matt Pence (Centro-Matic), et accompagné du batteur Thor Harris (Devendra Banhart) et du bassiste Kim Burke, ce troisième opus semble avoir été conçu dans l’euphorie artistique : des vingt-deux titres qui ont émergé de ces sessions, douze ont été retenus ici. Si les chutes sont de cet acabit, et bien il faudra passer un coup de fil à la S.P.A.D (société protectrice des albums disparus), pour leur réclamer d’aller chercher les bandes.
Après deux disques plus tordus, le tandem semble désormais décidé à explorer les arrangements pimpants de la pop musique, gonflant désormais ses belles progressions de violons, orgue Hammond, glockenspiel et Wurlitzer toujours bien pesés. Sans trop de sucre donc. Un peu comme si Neil Young s’était mis dans la tête d’enregistrer son Spirit Of Eden de Talk Talk. La source americana n’a donc pas trop disparu, mais le disque sonne résolument mélodieux.
Cela commence sereinement, sur quelques notes de guitares claires répétitives, décollage impeccable, puis l’émotion nous prend, autour de cette voix et de ses arrangements à la fois pastoraux et élégants. On tourne autour de ballades en cinémascope (“The Kind”, “Wedding Bells…”) assez proche d’After The Gold Rush : une voix fragile, des mélodies poignantes et sublimes. Puis quelques chansons plus flamboyantes, “Makeover” ou “(I’ve Got A ) Right to Cry”, où un orgue Hammond du plus bel effet mène la danse.
Ensuite le disque recèle quelques passages plus flous : un banjo sur “Whipping Boy” nous entraîne vers un no man’s land, où la solitude de la voix de Will Shelf coiffe l’espace de son omniprésence. Cette voix toujours sur la brêche rappelle d’ailleurs l’immense Paul Buchanan (Blue Nile). On ressort complètement trempé de ces effluves de sentiments, délivrés avec autant de finesse.
Tout comme son nom – emprunté à un oiseau migrateur – la migration de Shearwater vers des horizons plus chaleureux vaut de toute façon définitivement le détour.
-Le site officiel de Shearwater