La Canada peut se vanter d’avoir une lignée de songwriters exceptionnels dont Neil Young, Leonard Cohen, Joni Mitchell… et puis récemment le timide Ron Sexsmith, auteur cette année d’un énième magnifique album, Retriever, plus pop que ses prédécesseurs. Quelques heures avant de passer dans une salle parisienne dans le quartier d’Oberkampf., nous rencontrons le personnage dans un bar.


Très affable, le bonhomme maintenant quarantenaire à l’allure toujours d’étudiant, veut bien se prêter au jeu du Blind Test, qui consiste à lui faire écouter et deviner une chanson. Sexsmith s’y prête avec plaisir, répondant toujours avec une modestie confondante, et surtout avec un souci du détail et l’envie de faire partager une passion pour la musique qui malgré plus de quinze années sur la route n’en démord toujours pas.


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Tim Hardin – Byrds on a Wire

Ron Sexsmith : C’est “Byrds on a Wire”… est-ce que c’est Aaron Neville ? Oh Tim Hardin ! C’est une superbe version, je l’ai entendu une fois il y a bien longtemps.

Pinkushion : Tu mentionnes régulièrement Tim Hardin et Léonard Cohen en tant qu’influences prépondérantes… est-ce que c’est pour la même raison ?


Non, c’est différent. Leonard Cohen a eu une plus grosse influence sur moi, je l’adore depuis très longtemps. Il a été l’un des premiers à m’avoir motivé à devenir un songwriter. Tim Hardin, n’a jamais été une influence parce que je l’ai découvert assez tard. La première fois que je l’ai écouté, je n’avais pas encore signé de contrat avec ma maison de disque.
Mon éditeur pensait que je sonnais un peu comme lui et m’avait offert un Best of de Tim Hardin, c’est comme ça que je suis devenu fan par la suite. Mais c’est tout ce que je connaissais de Tim Hardin, ce best of. Sur ce point, je tiens à dire que je sonnais déjà de cette manière avant de le connaître. Peut-être que par la suite sa musique m’a inspiré, mais c’est dur à dire. J’aime beaucoup la manière dont il chante, il joue aussi de la guitare avec un style très beau.

Habituellement, les critiques évoquent Tim Hardin comme la voix qui se rapproche le plus de la tienne…


Ron Sexsmith :Oui, je peux le comprendre. La première fois que je l’ai entendue, mon père m’avait fait écouter la chanson “Misty Roses”, et je pouvais clairement comprendre ce dont il parlait, cela sonnait tellement bien. J’aimais tellement cet album que – avant que je n’enregistre mon premier album – j’ai voulu rencontrer, Erik Jacobsen, le gars qui le produisait à l’époque. Il produit maintenant des gens comme Chris Isaak…
Je pense que les deux premiers albums de Tim Hardin sont ses meilleurs. Je suis étonné qu’il n’ait pas vendu davantage, ils étaient tellement parfaits. Et puis quand mon premier album est sorti, j’ai entendu tellement de fois ce nom… Tim Hardin. Certains évoquaient aussi bien Jackson Browne, un autre artiste que je n’avais jamais vraiment écouté. Alors que mes influences de base sont les Kinks de Ray Davies, beaucoup d’Anglais et aussi bien des artistes canadiens comme Leonard Cohen et Joni Mitchell.

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Paul Mc Cartney – Ram on

(ndlr :Il écoute religieusement le morceau)

Ron Sexsmith : Paul Mc Cartney… est-ce que c’est son sur premier album ?

Non, le second.

Ron Sexsmith : Ok. Oui, j’ai aussi déjà entendu avant. C’est superbe, j’adore cette période de Mc Cartney et je suis un grand fan des Wings. Il a même fait quelques bons albums ensuite, comme Tugs of War (1981), une période où il ne vendait plus trop d’albums. Il a eu ensuite quelques baisses d’inspiration… Flowers in the Dirt contient tout de même quelques bonnes chansons, même Flaming Pie contient de bonnes chansons. Il est tellement talentueux… Je me rappelle avoir voulu aller le voir en concert en 1981, et je ne trouvais personne avec qui y aller ! C’est un grand musicien, un grand chanteur et il sonne toujours pareil, sa voix est intacte, ce qui est plutôt rare.

Quand je l’ai rencontré en 1996, nous n’arrêtions pas de parler des Wings, parce que j’aime beaucoup ses albums : Speed of Sound, Band on the Run, Venus and Mars… Je pense que ça lui a fait chaud au cœur, le fait que je sois fan et que je lui pose plein de question sur cette période. Au sein des Beatles, les chansons de Mc Cartney parlaient simplement, c’est ce que j’aimais chez lui, “Here, There, Everywhere”, “Fixing a Hole”, j’adore ses chansons.

A ton avis, est-ce que c’est plus facile d’écrire des chansons tristes ou des chansons heureuses ?

Ron Sexsmith : Je suppose que cela dépend juste de… (réflexion) Pour moi, beaucoup de chansons de mon premier album ont été écrites durant la fin d’une relation, les chansons qui en découlaient étaient assez tristes. A cette période, c’était assez facile pour moi d’écrire des chansons tristes, c’était ce que ma tête me dictait. Depuis Cobblestone Runaway (2002), j’essaie d’écrire des chansons pleines d’espoir, certainement les plus heureuses que j’ai écrite. Et là encore, ça me vient plutôt facilement.

Personnellement, je trouve que tu deviens de plus en plus romantique avec le temps.

Ron Sexsmith : Peut-être. Pour mon premier album, j’avais des chansons comme “Wastin’Time” et “Secret Heart”, une poignée de chansons romantiques. Puis, au second album, il y a avait beaucoup de morceaux tristes comme “While you were waiting”, “Thinkin out Loud”. Le troisième disque fut encore une fois très mélancolique dans l’ensemble. Ma vie n’était pas très romantique en ce moment, mais – et spécialement dans Retriever – je recommence une nouvelle vie sentimentale et c’est pourquoi j’écris ces chansons d’amour heureuses pour la première fois.

La plupart de mes chansons préférées sont généralement très romantiques, comme celles de Smokey Robinson, des trucs dans le genre. Sur mon prochain album, il n’y aura que des chansons d’amour, basées sur des histoires. Cela dépend vraiment de ce qu’il se passe dans ma vie.

Tu as déjà terminé le prochain album ?

Ron Sexsmith : Je travaille actuellement sur deux albums, dont un qui est déjà écrit. J’ai en stock une quinzaine de titres terminés. Il y a aussi un autre disque que j’ai presque terminé et que j’enregistre avec mon batteur. Nous chantons ensemble sur toutes mes chansons, un peu comme faisait les Everly Brothers. C’est un peu plus country que d’habitude. Le disque est presque terminé, mais je ne sais pas qui va le sortir. Quand je fais un disque pop, c’est facile de trouver un label, mais lorsque c’est le cas d’un petit album de country, c’est très dur pour moi de trouver quelqu’un d’intéressé pour le sortir. Mais il sera probablement terminé autour du mois de février.

Pour mon nouvel album solo, je vais retourner en studio autour du mois de Mars. Nous ne savons pas vraiment avec qui travailler, mais j’aimerai bien retravailler avec Mitchell Froom (ndlr : producteur sur ses deux premiers albums), j’ai aussi pensé à Jack White des White Stripes.

(ndlr : visage ahuri de votre serviteur)
Tu es en contact avec Jack White ?

Ron Sexsmith : Non, je ne pense même pas qu’il me connaît, mais j’adore le disque de Loretta Lynn qu’il a produit. Il ne sera probablement pas intéressé mais bon… J’aime aussi beaucoup les derniers disques de Johnny Cash, Rick Rubin serait un bon choix.

A t’entendre, tu sembles très intéressé par une direction country…

Ron Sexsmith : Pas vraiment, le disque que j’enregistre en ce moment est country, mais les nouvelles chansons ne le sont pas. La chose que j’aime dans la production de Jack White, c’est que les chansons de Loretta Lynn sont évidemment dans le style country, mais la production ne l’est pas. Le son est, comment dire… très spacieux. Je ne sais pas, c’est juste une pensée, je pense que je vais probablement retravailler avec Mitchell Froom. Cela fait quelques mois que je traîne quelques nouvelles compos et je réfléchis avec qui collaborer. Travailler avec Tom Waits aussi serait super…
(ndlr : si l’on ne connaissait pas le naturel modeste et timide du musicien, on se dirait que le loustic canadien semble prendre un malin plaisir à nous embrouiller).

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Elliot Smith – Speed Trials (Either/or)


Ron Sexsmith : Oh… Elliott Smith. J’adore. La première fois que je l’ai écouté, c’était du temps de mon second album, j’avais été invité chez une fille à Chicago. Nous sommes allés chez elle, et il y avait ce disque d’Elliott Smith qui tournait sur la platine. Cela m’a rendu très nerveux, parce ue je me suis vraiment senti mal à l’aise. Je me souviens m’être dit ; « waow, c’est très bon ». Cela m’a donné envie de travailler dur, et il a certainement influencé un bon nombre de songwriters. Après ça, je suis allé le voir jouer à New York, je l’ai rencontré aussi. Tu sais, je suis assez timide, mais lui l’était vraiment ! Très, très timide.

Je ne sais toujours pas ce qu’il s’est passé, mais j’ai été très choqué d’apprendre sa disparition. Quelle perte immense… Je suis sûr qu’il n’était qu’au début de sa carrière, d’une certaine manière.

Enfin, peut-être qu’il était destiné à cela, ses paroles étaient très sombres. J’ai voulu dédicacer Retriever pour lui rendre hommage. C’est tout de même impressionnant de voir le nombre de fantastiques artistes qui ont disparu ces derniers temps : Johnny Cash, Joe Strummer, Warren Zevon… C’est un peu comme une famille.

Est-ce que tu écoutes de nouveaux talents ?


Ron Sexsmith : Oui, j’aime Rufus Wainwright, les Super Fury Animals, Wilco. En ce moment, j’écoute beaucoup Feist, qui est une amie, son album est très bon (ndlr : Ron reprendra d’ailleurs ce soir là une reprise de “Secret Heart”, pas le sien celui de Feist!). Tahiti 80 est pas mal. Il y a beaucoup de songwriters… Jonathan Rice, Beth Orton.

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Gene Clarck – I Knew I’d Want you (Echoes)

Ron Sexsmith : Ça sonne comme les Byrds… Roger Mc Guinn ? Gene Clark ! Je devrais le savoir, mon guitariste sur cette tournée est un fan absolu. Je ne connais pas très bien la musique des Byrds… à part les premiers singles comme “Turn ! Turn ! Turn !”. Graham Parsons, Mc Guinn… C’est une scène, la country rock fin 60’s/ début 70’s, que je n’ai jamais vraiment écouté.

Tu sembles pourtant de plus en plus inspiré par la country music…


Ron Sexsmith : Depuis que je suis gosse, en vérité. Mais je suis davantage orienté par les vieux comme Charlie Rich (NDLR : Ron rependra également un titre de Charlie Rich sur scène se soir-là, qu’il dédicacera à un fan internaute), Johnny Cash… Le premier album de country rock a été enregistré par Bob Dylan, je pense à John Wesley Harding. Un disque très courageux, car à l’époque tout le monde virait psychédélique. C’était assez original d’enregistrer un disque pareil. Dylan n’a jamais vraiment appartenu à un genre, il a touché un peu au blues, country, folk, mais possède son propre style. Mais tu sais, la country musique avait déjà été approchée par Chuck Berry, Buddy Holly. Ça a toujours été là.

Comment as-tu rencontré Steve Earle, (producteur de Blue Boy), un album un peu à part dans ta discographie.

Ron Sexsmith : C’est un vieil ami, nous nous étions rencontrés en 1988, je jouais dans un bar. Il y avait probablement dix personnes à l’intérieur. Steve Earle était là, il s’est assis au bar, je ne le connaissais pas, il ressemblait à un Biker : veste en cuir, cheveux longs… Il a assisté au concert et a proposé de m’aider, de me trouver un contrat. A cette époque, il baignait dans la drogue et semblait avoir du mal à s’en sortir déjà lui-même.
Quelques années plus tard en 1995, lorsque mon premier album est sorti, nous nous sommes revus à la fin d’un concert -il venait juste de sortir de prison. Il semblait très différent, plutôt costaud, je ne l’ai pas reconnu au départ à vrai dire. Nous nous sommes en quelque sorte reconnectés, il était content pour moi. Plus tard, lorsque le label m’a proposé de produire mon quatrième album, j’étais très étonné car mes albums précédents ne s’étaient pas beaucoup vendu, je ne pensais pas pouvoir enregistrer un nouvel album. J’ai fait alors une liste de producteurs que j’aime et le label en a fait une aussi de son côté. Steve Earle était sur les deux listes. Cela tombait bien donc. L’idée d’aller à Nashville aussi m’excitait, tous mes autres albums ont été faits à New York et LA. Nous avons fait tout l’album avec Steve en quatre ou cinq semaines.

Tu cites Blue Boy comme ton quatrième album, cela veut dire que tu ne considères pas Grand Opera Lane (1991) comme ton premier album ?

Ron Sexsmith : Je ne l’ai jamais considéré en tant que tel car peu de personnes l’ont écouté. Je l’ai fait lorsque j’étais un artiste indépendant aussi.

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The Modern Lovers – Roadrunner


Ron Sexsmith : C’est Jonathan Richman ? ok. Je ne connais pas bien sa musique, mais j’ai déjà entendu cet air. C’est assez impressionnant de voir qu’il a su continuer une si longue carrière sans jamais toucher une audience mainstream. Parfois, je vois un lien avec mon parcours, je sors mes disques, j’ai mon public, et le reste du monde continue de tourner… Je suis très respectueux de son travail, et je sens une sorte de lien de sang entre moi et ce qu’il fait.

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Harry Nilsson – Over The Rainbow


Ron Sexsmith : Harry Nilsson, c’est très beau… l’un des meilleurs chanteurs de tous les temps. J’adore Nilsson, je lui ai d’ailleurs dédicacé mon premier album. Lorsque j’étais un kid, j’écoutais en boucle la chanson “Without You”. J’aime tout ses périodes discographiques, comme Aerial Ballet un de ses premiers disques. Mais mon disque préféré demeure Knnilssonn, qu’il a fait en 1977, son dernier pour RCA. C’est un très beau disque, mais personne ne l’a acheté. A l’inverse des la plupart des artistes, il n’a jamais tourné. Il était un peu paresseux à ce niveau là, mais en même temps il a enregistré beaucoup d’albums, travaillé sur des films, il a fait beaucoup de choses…

“Over The Rainbow” figure sur A Touch More Schmilsson in the Night en 1978. C’était un des premiers artistes rock à cette période à revenir vers des chansons orchestrées. C’est une très belle chanson, tout le monde a chanté ce classique : Rod Stewart, Linda Ronstadt… cela devient même ennuyeux maintenant. Nilsson était vraiment au sommet à ce moment là, il pouvait vraiment faire n’importe quoi avec sa voix. C’était juste avant qu’il enregistre Pussycats avec John Lennon. Il ne sera d’ailleurs plus jamais le même après ce disque, car il va endommager sérieusement sa voix. Lennon et Nilsson sortaient tout le temps, buvaient et fumait beaucoup… C’était un personnage incontrôlable.

A ce moment-là, on nous fait signe qu’il est temps de nous quitter. D’une gentillesse confondante, Ron nous demande si nous aimerions entendre ce soir une chanson en particulier. Impressionné par la requête, on n’ose lui suggérer une reprise de Mc Cartney. En réponse, le folksinger canadien promet qu’il y pensera. Le soir même, il dédicacera trois chansons sur scène à ses fans, dont un Listen What The Man Said en rappel, qui restera longtemps gravé dans notre mémoire.

Ron Sexsmith, Retriever (V2)

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