Earthling démontre après une décade(nte) d’exil qu’il est toujours l’un des dignes fleurons du dark-hop. Un heureux retour, malgré une musique lourde de sens.
Il semble toujours faire aussi froid du côté de Bristol et les disques qui en résultent respirent toujours autant le chaos post-industriel. Capitale déchue de l’avant-garde musicale dans les années 90 appuyée par des vassaux fidèles (Massive Attack, Tricky, Portishead…), Bristol est un peu retombée dans l’anonymat ces temps-ci. La paire Tim Saul et Mau, plus connus sous l’entité Earthling faisait la fierté de cette cité sidérurgique, avec le spleen verdâtre de Radar, premier album laissé orphelin jusqu’ici.
Radar, l’un des disques de trip hop les plus poisseux et lugubres qui nous ait été donné d’entendre, avant-gardiste bien avant le virage post-industriel entamé par Massive Attack et son chef-d’oeuvre crépusculaire, Mezzanine. Bien avant cela donc, Earthling malaxait déjà le brouillard de Bristol avec des beats glaciaux.
Pourtant, malgré un démarrage en trombe, Earthling s’est sabordé suite à ce coup de génie pour on ne sait quelle raison (pression de label, panne d’inspiration ou de motivation, un peu de tout ça sûrement), et alors qu’on les avait oublié depuis déjà un bon quinquennat et que la vague trip Hop s’était échouée sur le rivage depuis aussi longtemps, voici donc cet hypothétique second album. Le duo est donc rentré en hibernation pendant près de sept ans, chacun ayant vaqué à ses projets solo : Télépopmusik et des parutions de nouvelles pour Mau (un texte est d’ailleurs inclus dans le livret du disque) et quelques commandes de mix pour Tim Saul.
Aux dires du label, Humandust ne doit son salut qu’à l’obstination d’un fan. En effet, les bandes de ce second disque prenaient la poussière depuis 1997 ! Dommage, car si Humandust était sorti dans les temps, on pourrait aisément prédire que l’opus aurait fait de l’ombre au Mezzanine de l’autre gang de Bristol. Mais il en fut autrement.
Conçu entre Bristol et Paris, Humandust reprend les choses où Radar les avaient laissées, où plus précisément s’enfonce encore davantage dans le trou creusé auparavant. En ce sens, Humandust parvient à être encore plus sombre que son aîné, d’où un sentiment de masse compact dès la première écoute. Oeuvre abyssale, aucun single évident ne semble émerger aux premiers abords, mais une fois entré dans son jeu et que l’on a compris ses rouages, le piège se retourne contre vous et prend possession de votre corps.
En témoigne l’inaugural, “Me & My Sister” qui semble jouer avec des cables à « haute-tension » sur un tempo crépusculaire où la voix de Mau, toujours intacte, déverse un flow malsain qui ne connaît d’autre rival que Tricky. “Black Thunderbird”, sommet du disque, une merveille oppressante, bat d’ailleurs encore sur son propre terrain le kid de Bristol, on n’ avait pas entendu pareille marche funèbre depuis Pre-Millenium Tension.
Les ambiances noires défilent, toujours exécutées avec un sens de la mise en scène qui reste définitivement la chasse gardée de cette secte de Bristol. “Coburn” (hommage à James ?), est une perle noire soul, où Mau provoque un dialogue asexué avec Claudia Fontaine (une vétéran, qui a collaboré entre autres avec Pink Floyd, Robbie Williams, Costello, Paul Weller).
Seul incongruité du disque, l’invité de marque, Ray Manzareck, illustre clavier des Doors, qui tente de réitérer le mimique dorée de “1st Transmission” avec son orgue Hammond légendaire sur deux titres, en vain évidemment. Bref, du bruit pour rien. Mais tout cela ne perturbe en rien l’écoute du disque.
Malgré sa date de péremption, Humandust peu s’apparenter à de la poussière de diamant : intemporelle et mystérieuse.
-Le site de Discograph