Alors que les référendums de fin d’année battent leur plein, un dernier regard dans le rétroviseur pour une sélection subjective des albums français qui méritent une ovation particulière.


Avec la pléthore de sorties de disques annuelles, certains de nos coups de coeur ne sont pas traités avec les honneurs qu’on leur doit. Les rétrospectives et bilans de fin d’année arrivant, on en profite pour revenir sur les albums de 2004 d’artistes français qui nous ont le plus marqué. Quoiqu’on en dise, choix éditorial ou pas, le rock français se porte bien et mérite une couverture médiatique digne de sa qualité musicale et non parce que sujet à des quotas culturels.

Entre chansons et pop rock, textes inspirés et compositions éclairées, certains artistes se sont révélés au grand jour posant les structures d’une carrière prometteuse, d’autres ont confirmé l’essai se faisant une place aux côtés de nos protégés ou de revenants qui n’ont pas dit leur dernier mot. Tous ont sauvé nos journées de la grisaille musicale.

Ci suit une sélection non exhaustive et personnelle de nos coups de coeur de l’année.

Cotés dans notre marché discographique comme des valeurs sûres ou en devenir, la palme revient à Miossec, qui avec 1964 montre qu’on peut faire du rock en France sans se fâcher avec la chanson française. Alors qu’on le voyait plus proche du radiateur se reposant sur ses lauriers et surveillant les débats de loin, le nettoyage de saison (nouveaux musiciens, nouveaux arrangements, textes plus aérés) a été bénéfique au breton. 1964 rivalise enfin avecBoire, avec une structure musicale lumineuse aussi posée qu’énergique à l’image des concerts du groupe. Invité à la cour des grands, Cali impressionne par son assurance. Poursuivant son escalade vertigineuse, de plateaux télés en scènes de plus en plus grandes, le perpignanais séduit par son enthousiasme toujours aussi intact depuis plus d’un an. Petit bémol, à trop vouloir en faire, attention à la surchauffe.

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Même si leur dernier album studio nous avait déçu, on sera toujours en bonne compagnie avec Les Têtes Raides. Leur live 28.05.04 met tout le monde d’accord et on mesure aujourd’hui un peu plus l’influence profonde qu’ils ont exercé sur le rock alternatif français. Des groupes comme La Rue Ketanou, Les Ogres de Barback, Les Hurlements d’Léo ou Debout sur le Zinc sont le parfait exemple d’une scène indépendante foisonnante qui a su se développer par le biais de concerts et ainsi toucher un large public sans grands relais médiatiques.

Dans la famille des tirailleurs du non-conformisme, je voudrais Thomas Fersen. Pour finir l’année en apothéose, les concerts donnés à Paris en novembre 2003 se retrouvent compilés sur La cigale des grands jours. Entre intimité prévenante et déchirements toniques, les compositions de Fersen font flotter un air de poésie doux amer dans la chanson française. fersen.jpgUn des meilleurs représentants d’une génération post trentenaire en pleine ascension. Dans les grosses pointures, on se tourne vers Dominique A qui depuis Le disque sourd a fait du chemin semant quelques perles pop par ci par là. Moins accessible que Auguri, Tout sera comme avant renvoie les bons élèves au rang de suiveurs. Bricoleur de génie, le nantais explore les univers jazz, rock, blues et compose une oeuvre, année après année, entre rigueur et improvisation libre, profondément originale.

Authentique, Noir Desir l’était. Nourris aux meilleures sources du rock, les bordelais laissent derrière eux une discographie impeccable, que beaucoup commencent à piller pour des raisons marketing –(on ne compte plus les chansons plagiant « les écorchés »)– et un disque sous forme de recueil de poésie Nous n’avons fait que fuir. Issu d’un concert donné pour France Culture, ce morceau d’une heure témoigne du souci continu du groupe de redéfinir sa musique et son écriture, taillée dans la poésie la plus libre possible. A l’image de leur carrière, ce live est une mise en scène à la fois intimiste et fragile, tout en tensions et pauses inquiétantes, à la puissance libératrice et la beauté fugitive.

En attendant le retour de Louise Attaque prévu pour l’année prochaine, Tarmac nous fait patienter avec un concert – (entre dvd et cd, décidemment les lives ont une vie prometteuse) – donné au Réservoir de Paris en décembre 2003 intitulé sobrement Concert au réservoir paris 23/12/2003 21:00. En à peine deux albums, Tarmac a gagné tous les paris sur l’avenir et marque encore cette année de son indélébile empreinte. B00019EYLQ.08.LZZZZZZZ.jpg
De renaissance, il en est question avec Daniel Darc et Jean François Coen qui reviennent sur le devant de la scène avec des albums chargé d’émotion et de danger, respectivement les bien nommés Crève-coeur et Vive l’amour. On retrouve avec joie JF Coen avec un disque tout en passion et mélancolie. Alors qu’on le croyait perdu dans les limbes de la vie défaite, voici que le poète céleste Darc nous livre un des plus beaux albums de l’année. Pour l’avoir rencontré, on peut vous dire que plus attachant que l’ex Taxi Girl il est difficile de trouver.

On ne rasera plus les murs avec dans nos oreilles les chansons de Tue Loup. Sorte de best of acoustique, Tout nu brille par sa sobriété et ses mélodies épurées. De la Sarthe on passe au Berri avec Florent Marchet. Des grands espaces aux ambiances intimistes, son premier album Gargilesse joue les trouble-fêtes à la remise des prix de fin d’année et bouscule le train-train de la chanson française. On lui promet un bel avenir.
bondu.jpg Dans la foulée, on sort le tapis rouge pour un compositeur remarquable : Pierre Bondu. Son album Quelqu’un quelque part atteste de son talent de songwriter. Sans prétention mais spontané et chaleureux, ce premier opus ressemble à un nid douillet. Bien confortable, on passera l’hiver au chaud avec Julien Baer qui publiera dès janvier Notre dame des limites. En explosant les barrières de son monde intérieur, ce troisième album sera l’occasion de pénétrer dans un univers auquel son auteur ne nous avait pas habitué, la soul et le jazz groovy.

Du jazz au rock, il n’y a qu’un pas à franchir. La résistance à la musique formatée se développe à grande échelle. Aujourd’hui, encore boudés par les grosses radios, se jouant des ficelles du métier, ils creusent des tunnels pour demain s’y engouffrer en tant que premier de la classe. Laetitia Sheriff, Deportivo, Experience, Luke ou Prohom avancent à grand pas.

Sur les cendres de Diabologum, avec déjà à son actif deux albums, Michel Cloup et son groupe Experience s’est construit une toile hermétique à l’hypocrisie de la société. Hemisphère gauche comme son précédent est taillé dans le vif. Basées sur une rythmique martiale, les compositions du groupe passent à tabac le rock le plus sauvage à coup de fouets claquants faisant rugir les guitares, hurlant des mots acides et revanchards.

Comme son aîné d’Experience, Laetitia Sheriff ne pourra pas être taxée d’immobilisme et de paresse tant les compositions de son premier album dessine une oeuvre composite et audacieuse. Codification trouve son souffle dans la pop anglo-saxonne et accouche d’une écriture dense et fiévreuse. Bel équilibre que ce premier opus de Deportivo, Parmi eux, tout en énergie perpétuant la tradition de la noisy pop et dynamitant les accès de mollesse du rock un peu trop blafard.

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Des textes incisifs d’un réalisme savoureusement soigné pour évoquer les affres du quotidien, une musique intense et acérée, Peu Importe n’est que le deuxième album du lyonnais Philippe Prohom et déjà impose le respect en ouvrant des voies nouvelles pour le rock. La plus haute marche du podium lui est prédit. Avec une fin d’année fructueuse, Luke est passé d’outsider à premier de la classe. Après une remise en question et un limogeage de tous les musiciens présents sur l’entrée en matière La vie presque, Thomas Boulard a gagné une place de choix dans le gotha rock français avec un deuxième album La tête en arrière écrit comme pour devenir un classique.

Aspirant à une musique bouleversante et apaisante, Bertrand Betsch avec Pas de bras pas de chocolat soigne son orchestration, desserre le noeud de cravate, ouvre en grand les fenêtres et invite l’humanité entière à lui tenir compagnie. Sa musique se fait moins raide et plus câline pour notre plus grand bonheur. JP Nataf lui aussi a mis de l’oxygène dans ses chansons et s’est surtout débarrassé des démons de son ancien groupe Les Innocents. Avec Plus de sucre, il renoue avec les splendeurs d’une jeunesse envolée. Sa carrière solo entamée, il nous dévoile sa nouvelle peau aussitôt adoptée.
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En parlant de bonne compagnie, Piers Faccini et son premier album solo Leave no trace squatte notre lecteur cd depuis des mois. Figure de proue d’un renouveau du delta blues, ses envolées mélodiques et ses arrangements d’une subtilité rare nous ont conquis dès la première écoute. Un de nos favoris à la course à la postérité.

On referme notre sélection personnelle par des trublions qui ne sont pas prêts de déposer les armes. Dans sa marche d’affranchissement des contraintes marketing, Jean Louis Murat se détache du lot en publiant un à deux albums par an d’une remarquable tenue. A bird on a poire, dernier en date invite après la talentueuse mais sous-estimée Camille une autre chanteuse à la voix voluptueuse et sensuelle, Jennifer Charles, sur la plupart des titres en duo avec l’auvergnat. Du coup sa musique gagne en densité et devient le farouche ennemi des colleurs d’étiquettes. Autre musicien obstiné, Brigitte Fontaine est cette irréductible artisan atypique de la chanson française qui année après année continue de distiller des alchimies musicales aussi débridées qu’inattendues. Rue Saint-Louis-en-l’Ile illumine par sa poésie singulière et son ambiance feutrée à la mélancolie frappante.

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Multi instrumentiste talentueux et artiste discret, Yann Tiersen s’est adjoint pour son retour discographique les services de la harpie Shannon Wright. Tissé par ses fins couseurs, l’album Yann Tiersen & Shannon Wright risque de déstabiliser les fans du breton période Amélie, mais capter l’attention de ceux qui ont toujours préféré les têtes chercheuses aux têtes à claques. Conjuguant droiture morale et succès populaire, Manu Chao revient par la porte édition en publiant un recueil de chansons textes écrit à deux mains avec le dessinateur Wozniak. On y retrouve la mélancolie, les interrogations sur la vie qui passe, les ritournelles musicales qui ont fait la gloire du chanteur, une musique qui se laisse envahir par les états d’âmes de son auteur. Pour se réchauffer du froid saisonnier Sibérie m’était contée est garantie pur miel.

Entre valeurs sûres et relèves prometteuses, l’année 2004 nous a assuré de belles sensations fortes. A 2005 de nous surprendre!