On n’avait pas assisté à pareille suprématie suédoise depuis Bjorn Borg. Jens Lekman rafle tout les « Crooner Price » de la terre, le bagout indé-pop en plus. De quoi devenir chien.
Foncièrement, quiconque reprend du Television Personnalities ne peut être mauvais. De Jens Lekman, on garde surtout le souvenir de cette traumatisante reprise du “Someone to Share My Life”, gravée sur son remarquable premier Ep Maple Leaves. Ce que Dan Treacy avait tenté d’approcher il y a plus de vingt ans sur le crucial The Painted World, Jens Lekman l’a magnifié. Ce jeune suédois de 23 ans sorti de nulle part (Göteborg en l’occurrence) était parvenu à transporter cette popsong déglinguée en un standard fanstamé digne de Phil Spector.
C’est de l’autre côté de l’Atlantique grâce au label Secretly Canadian qu’on a mis la main dessus, réédité au fil de l’année 2004 ses trois merveilleux Eps sortis depuis quatre ans – Ce qui veut dire que rétrospectivement le morveux chantait déjà comme Scott Walker à 19 ans ! On ne sait pas trop comment ont atterri les démos du prodige sur le bureau de Secretly Canadian, mais ce hold-up révèle le manque de pertinence de certains directeurs artistiques sur le vieux continent. Car toute oreille aiguisée ne peut pas passer à côté d’une présence aussi écrasante.
When I Wanted To Be your Dog n’est pas vraiment un album à proprement parler. Le disque compile principalement ses chansons datant entre 2000 et 2004, réenregistrées dans des conditions plus appropriés. L’ensemble est peut-être un peu décousu comparé aux eps écoulés, mais n’en demeure pas moins magnifique. La densité étant au rendez-vous, l’écoute s’apprivoise d’abird et dévoile peu à peu ses trésors.
Dès “Tram#7 to Heaven”, la voix du jeune crooner occupe un espace monstrueux, de la même manière que le faisait jadis les Righteous Brothers, chantant le bonheur teinté de sanglots profonds. Autant dire que le prodige pourrait nous chanter les potins de Voici qu’on en pleurerait d’extase. La musique n’est pas en reste : arrangé de samples et cordes voluptueuses, harpes et xylophones, vous invitent donc vers le nirvana. Lekman vogue ensuite vers l’exotique “Happy Birthday, Dear Friend Lisa”, toujours aussi léger mais porté par cette voix de Barr(y)ton (White). Décomplexé, il s’essaie à un titre à capella (“Do You Remember The Riots”), voire à une croonerie mièvre (pas de jeu de mots mal placé) et irrésistible digne du classique “The Loveboat” (“You Are The Light”).
En l’espace de quatre titres, le jeune homme démontre la richesse de sa palette, limite écœurante. L’excuse de la jeunesse et le panache pardonnent le reste.
Et pourtant, c’est à partir de la cinquième plage que la galette suédoise joue ses meilleures cartes et rafle la mise. On a alors affaire à une succession de ballades sublimes, souvent poignantes. Il nous parle beaucoup de regards croisés et d’amour raté (les bourreaux se nomment Julie, Silvia, Maria), Lekman se transposant avec élégance en éternel esclave des sentiments. Il se sublime en prétendant déchu sur “Psychogirl”, crève-coeur aux vertus thérapeutiques qui balance entre une cascade de cordes mélancoliques et le souvenir d’un amour traumatisant digne des plus belles lignes de “There is a Light That Never Goes Out”. Certaines paroles nous reviennent en écho, toujours à travers des mots simples et touchants, mais qui font mouche comme jadis Morrissey savait si bien le faire : « She send me an SMS, but it was more like an SOS », « And If I’ll be your psychologist, who would be the psychologist’s psychologist ? ».
Dernière délicatesse, le disque est dédicacé à son premier amour, Julia. Le premier amour, éternel fantasme crève-cœur et moteur créatif de tout musicien digne de ce nom. Avec Jens Lekman, le monde de la pop indé vient d’accueillir un grand romantique et lui donne ses lettres de noblesse.
Lire également notre chroniques de MAPLE LEAVES/ ROCKY DENNIS EP
– Le site de Jens Lekman
– Le site de Secretly Canadian