Amis de la déconstruction sonore, de la métaphore industrielle, de l’expérience laborantine bruitiste, voici venue l’oeuvre catégorique et allégorique : Alms.


On ne peut que se réjouir que des groupes comme Re: existent, car ils introduisent une certaine conception du temps et de l’espace. On souffle enfin, toute l’écoute est basée sur la respiration d’ailleurs. Tantôt saccadée, titillée par des sons angoissants, tantôt calmée, relaxée par des sons in vivo (je n’ai d’ailleurs jamais compris pourquoi ça nous détend d’entendre des voitures qui roulent via la chaîne hifi, et pourquoi ça nous énerve ‘en vrai’…). L’auditeur vit avec cet album une véritable expérience sonore, pour se voir projeté dans un univers bizarre, angoissant parfois, mais faisant toujours appel aux sens les plus divers. En ce sens (…), la musique de re: n’a jamais été aussi physique, tout en étant psychologique car secouant les neurones. Le duo canadien n’en est pourtant pas à son premier projectile, à sa première arme de destruction massive.

mnant.jpg En effet, Mnant est sorti en 2001. Et il faut croire, avec le label Constellation, qu’un nouveau genre est né, et qu’il est canadien. Est-ce les grandes plaines enneigées, les bois à perte de vue, les espaces sordides de par une beauté froide (sic) qui brûle l’esprit qui ont ordonné ce genre ? Non, à en croire le credo du label, c’est le monde tel qu’il est aujourd’hui qui a accouché de cette nouvelle tendance qui se veut rebelle, contre la machine d’état, contre l’autorité… On ne sait trop, mais on comprend que les démarches osées des artistes hébergés par le label soient promues comme ça.

En tout cas, on est ravi. Ce genre de disques sort du lot, et offre une expérience autre que la simple écoute. Comme un livre, cette musique demande une certaine concentration (ou, en tout cas, de ne rien faire en même temps qui puisse accaparer votre esprit, sinon cela n’a plus grand intérêt). Par contre, pour visionner des images prises au hasard de la télécommande, ou, mieux, en feuilletant un bon bouquin de photographie ou d’art abstrait (à l’instar des illustrations de cette pochette, signées David Lafrance ), il n’y a pas mieux. Le fait que ce duo s’appelle re: ne pouvait mieux décrire ce qu’il englobe : une réponse, une réaction, un feedback de celui qui écoute.

Dès le titre d’ouverture, des bruits d’usine ou de fin du monde, c’est selon, voire les deux, introduisent d’emblée de jeu un univers particulier qu’il sera difficile d’oublier de sitôt. Si en plus, comme le conseille le disque, vous écoutez la chose à fond la caisse, les sensations seront au rendez-vous. On se croirait dans les couloirs du vaisseau d’Alien, scrutant la bête, suant toute sa peur, saisi par chacun des bruits environnants, tout en étant bercé par cette rotative répétitive qui se rapproche encore et encore. « On golden pond » distille des sons dérangeants, comme des gens bottés qui descendent des escaliers (à moins que ce ne soit des rails de train) et ouvrent des portes, puis des voix, des assiettes : vous l’aurez compris, leur musique est très cinématique, gavant d’images de toutes sortes (principalement de films fantastiques et d’horreur ceci dit, voire de guerre). Ceci est probablement dû à l’utilisation ad nauseum de la technique dite de field recording, qui privilégie l’enregistrent de terrain, à savoir ces bruits qui nous entourent. Toutes les possibilités sont ouvertes, comme les animaux du zoo sur « Pawk ». Le tout est ensuite mixé et intégré avec du piano, des synthés, des programmateurs, de la batterie… Le résultat est à la hauteur des laborieuses mixtures. Mais qui se cache derrière « a tiny sonic treatise on the poverty of our times » (c’est comme ça qu’ils présentent leur galette)? Vous allez voir, j’ai rarement vu de bio aussi instructive, aussi cause à effet.

Ian Ilavsky et Aden Evens se sont rencontrés à l’université de Montréal, section philosophie. Le premier a fondé avec Don Wilkie le label Constellation, dont la réputation n’est plus à faire (Godspeed You Black Emperor!…) , spécialisé dans la musique « autre », instrumentale, de déconstruction ou d’ambiance, qui tente de décrire le monde contemporain. Membre de Sofa, de Sackville, et plus récemment de Diebold, il a aussi participé à A Silver Mt. Zion ou joué les ingénieurs de Fly Pan Am. Enfin, il a écrit des articles polémiques sur les médias, l’industrie musicale ou l’art alternatif. Aden Evens, lui, est prof de philo, de littérature et de théorie du son. ça ne s’invente pas. Son premier bouquin, Sound ideas, détaille sa théorie du son… Spécialisé dans des domaines aussi pointilleux que le son analogique et numérique, l’ontologie du bruit et les médias numériques, le bonhomme est ce qu’on peut appeler un « expert en son » (ou en bruit). Pour plus de détails, vous pouvez jeter un coup d’oeil sur son très sérieux site. On comprend – du coup – mieux comment ils en sont arrivés à ce pamphlet expérimental. « Radio free ramadi » est à ce titre un des titres les plus illustrateurs des domaines de prédilection d’Aden Evens : ça scintille, ça vibre, ça fusionne, ça foisonne. C’est organique, métallique, industriel, humain aussi. Un vrai régal.

Le dernier morceau, « Home security », distille des sonorités d’ambiance plus optimistes que sur le reste de l’album. Il cloture ce voyage sonore de manière parfaite. Sur ce, chauffé par cet album, je m’en vais acheter leur précédent!

Le site de Constellation