Plein de bonnes choses sur ce solide premier album qui parvient à mixer brûlots post-punk et incartades mélancoliques. Pas vraiment une surprise, mais un bon moment à passer, sans nul doute.


Ce qui est saisissant dans la musique de Bloc Party, c’est ce jeu constant sur les contrastes. Déjà, il y a ce parti pris d’une pochette blanche, un décor naturel recouvert d’une neige mystérieuse, avec le nom du groupe inscrit en gris. Chose plutôt inhabituelle dans un style musical plutôt porté par l’éloge du noir profond. Et puis il y a Kele Orekele, chanteur/frontman noir, dont la voix rappelle l’un des personnages les plus pales du rock, j’ai nommé sa majesté Robert Smith. Tout porte donc à croire que Bloc Party – tout comme ses prédécesseurs Franz Ferdinand – veut se réaccaparer cette atmosphère cold-wave/post punk réputée lugubre pour y alléger les contours, saupoudrer quelques ingrédients pop jusque-là plutôt écartés par ses illustres prédécesseurs de l’ère 78/81. Disons-le, à l’époque, cette orientation « pop » aurait été franchement mal perçue, tout comme on parle toujours vingt ans plus tard d’un avant et après la trilogie Pornography des Cure. Mais voilà, nous sommes en 2005, “Another Time, Another planet”, comme l’aurait si bien dit les Only Ones.

Depuis Blanquet (premier EP sorti l’année dernière distribué correctement par Wichita) ce quatuor londonien sorti de nulle part suscite l’intérêt de la presse qui s’est emparé de la chose et y a ajouté beaucoup de levure… jusqu’à en ériger une montgolfière. Généralement, ce genre de hype génère autant d’articles que de nombre d’albums vendus…. Donc on reste prudent et on attend la sortie de la galette pour en parler avec un semblant de matière.

Surfant sur l’engouement d’un Franz Ferdinand – l’un des rares groupes de rock anglais (écossais pour les pointilleux) à savoir vraiment insuffler un beat dansant à des compositions rock – le charme de ce premier EP un peu maladroit mais touchant, alliait l’urgence funky d’un Gang Of Four avec quelques emballements déglingués empruntés à The Fall.

Trois singles et quelques prestations scéniques remarquées plus tard, nos londoniens se devaient de réussir leur baptême du feu « long format », quitte à ne pas tomber aussi vite dans les immenses oubliettes du rock, et ce n’est pas peu dire qu’elles sont profondes… Et là, excellente surprise, l’album est plus pop que ne le laissaient entendre les travaux précédents. Autour d’une entité de groupe visiblement de plus en plus soudée, aucune composition de ce premier album n’est bâclée, ce qui est un bon point. Sans doute que la collaboration avec le producteur Paul Epwoth (Babyshambles, le nouveau groupe de Peter Doherty et Futureheads, excellent groupe pas distribué chez nous) reclus ensemble dans un studio au Danemark, leur ont permis de se concentrer sereinement, et d’éviter cette hype londonienne assassine qui a déjà fait tant de mal à d’autres auparavant…

C’est tout d’abord à poings fermés que nous entrons dans la danse, avec un titre aux allures d’hymne, “Eating Glass”, porté par une rythmique à la fois emballée/indécise et le chant volontaire d’Orekele. La production est sans faute de goût, dans la tendance « briton » actuelle qui veut un son crunch sans vraiment basculer dans la distorsion. On se rend vite compte que les chansons les plus rageuses sont celles que l’on connaissait déjà via les trois singles déjà écoulés, avec en tête leur petit classique “Blanquet”. “Helicopter”, single vengeur déjà connu fait toujours son effet.

Cette mise en sourdine n’est pas vraiment un handicap, car la musique de Bloc Party demeure intrinsèquement mélancolique. On retrouve d’ailleurs beaucoup de cette ferveur qui caractérisait les premiers singles pop de Cure à travers ces délicates petites charpentes pop. Exemple parfait du style Bloc Party, “Positive tension”, instaure une balance parfaite entre rythmique tendue et mélodies désincarnée, qui leur permettra certainement de toucher un public large, sans pour autant faire de concessions.

Le groupe ne tente pas seulement d’écrire des bonnes pop-songs nerveuses, et se prête aussi à d’autres exercices plus délicats, comme sur le déconstruit “She’s Hearing Voices”, ou le planant “So Here We Are”. Ces variations de climats, (“The Modern Love”, “Plans”), où les échos de guitare claire tissent une avancée ambient, baignée par le chant lancinant de Kere Orekele, constituent in fine le meilleur de l’album. Le disque se termine sur une touche sentimentale, “Compliments”, avec ses choeurs lointains et ses guitares fugaces qui entretiennent un spleen entêtant.

Si tout comme à l’instar de Cure, Bloc Party maintient son cap et parvient à faire la part des choses entre équilibre pop et sens de l’exploration, et bien nous aurons la promesse de bien belles choses à l’avenir.

-Le site officiel de Bloc Party