Les adeptes des premiers disques de Guided By Voices et de Babybird vont sauter au plafond à l’écoute de ce bourgeonnement lo-fi. Amateurs de symphonies de poche, soyez les bienvenus.
Tout comme Babybird, Ariel Pink a longtemps confectionné dans l’ombre de son cagibi les chansons qu’il puisait de sa matière grise. Ce jeune homme de 27 ans, natif de Los Angeles, a empilé des centaines de démos et autant de refus de labels, ce qui ne l’a pas empêché de continuer, imperturbable, d’enregistrer sur son modeste huit-pistes.
Dix ans après ses cassettes méga-underground, Ariel Pink trouva finalement son messie en 2003. C’est lors d’un concert du collectif hybride Animal Collective qu’il parvient à leur remettre en main propre une démo. Emballé, le groupe décide de sortir tel quel cette compile lo-fi sur son propre label Paw Track.
Disque au contenu foisonnant, les 15 titres réunis ici constituent en réalité deux albums : le premier, The Doldrum, a été enregistré au Canada entre septembre 1999 et avril 2000. Le second, plus récent, Vital Pink, compile ses maquettes enregistrées à Los Angeles entre 2001 et 2003.
Pas vraiment évident à aborder d’une traite, ces chansons confectionnées avec des bouts de ficelle – parfois à la limite de l’inaudible – ouvrent un spectre pop assez large. A la fois psychédélique, crooner, expérimental, New Wave ou noisy, Ariel Pink télescope toutes ses influences dans une mélasse sans forme. Le bonhomme est adepte de jolies harmonies vocales piquées à d’autres amoureux de la côte Ouest (Love ou le bancal mais touchant Love You des Beach Boys), l’humeur peut aussi soudainement se transformer en un Bowie germanique : certaines disgressions lorgnent vers cette alliance si paradoxale entre chaleur soul et frigidité à la Eno que l’on retrouve sur Low.
Le disque regorge de trouvailles, tel les vocaux ambigus de “Strange Fire”, où la voix se module subversivement de l’état de Drag Queen à celle d’un bûcheron. Mais notre californien demeure avant tout un grand fignoleur de mélodies, n’hésitant pas à franchir le pas vers des pop-songs jetables 80’s à la Cindy Lauper («Let’s Build a Campfire There”) voire des formats plus tarabiscotées (“Among dreams”). On ne peut s’empêcher de penser – qualité lo-fi aidant – au Propeller de Guided By voices, lorsque les guitares tordues de “Theme from Unreleased « Claris Gardens »” commencent à dicter de quel bois elles se chauffent.
Les oreilles coincés dans son casque, on imagine Ariel Pink enregistrer en sourdine, le doigt toujours à proximité du potard de volume, de peur que le voisin rapplique avec une batte de base-ball… maudit consensus du génie incompris. On ne l’imagine pas vraiment non plus expert en matière de prise de son, tatônnant avec les boutons, presque désespéré et espérant sortir quelque chose de cette matière si cruciale à ses yeux. Et tout comme les premiers chefs-d’oeuvre d’un Guided By Voices, probablement que ces chansons enregistrées correctement dans un studio digne de ce nom n’auraient pas eu le même cachet. C’est ce sentiment de jubilation innocente et de premier jet qui rend ce disque si attachant et hors-norme.
Dernier détail, notre bidouilleur du dimanche prétend déjà avoir accumulé dix albums du même tonneau. Une sacré longueur d’avance, mais on voit mal ce jeune ambitieux se tourner les pouces en attendant d’écouler son stock. Notre petit doigt nous dit que ce jeune homme va passer à la vitesse supérieur (comprendre par là enregistrer dans un vrai studio) d’ici peu.
-Le site officiel d’Ariel Pink
-Un extrait MP3 gratos