Les revers de médaille ont parfois du bon : en témoigne cet inespéré troisième album du folksinger Jude, dont les capacités de fin mélodiste restent intactes.
La vie de songwriter est toujours un parcours du combattant à l’instar d’un Ron Sexsmith, Warren Zevon ou Alex Chilton et tant d’autres… Voyez Michael Jude Christodal, dit « Jude »… encore un qui n’a pas réchappé à cette malédiction. Comme toujours, tout démarre sur les chapeaux de roue. Signé pratiquement d’entrée sur un label puissant, Maverick (celui de la Madonna), son premier album No one’s Really Beautiful (1999) est encensé et connaît un sympathique petit succès. La vie est belle, encensé par la critique, le nouvel espoir tourne à travers le monde accompagné de son groupe, écrit en chemin une chanson pour 1000 Clowns, et surtout s’attelle à son second album.
Mais les choses se compliquent dès King Of Yesterday (2001), disque étrange, plus ambitieux, qui malheureusement se perd dans des concessions commerciales. Notre nouvel espoir semble lui-même déchiré par cet entre-deux et se prend en dérision sur la pochette, affichant un look de winner dépassé. Bien évidemment, les critiques et le public restent perplexes, les ventes ne suivent pas. Les profits de Maverick battant de l’aile également, notre « roi d’hier » se fait virer illico par la Ciccone. Jude mettra deux ans à émerger de ce cauchemar.
Comme dit souvent le vieil oncle Joe : « Quand on s’est perdu en chemin, mieux vaut revenir à la case départ. » et c’est ce que Jude a fait. Sorti l’année dernière via Internet, son petit dernier Sarah est un disque auto-produit, confectionné avec le strict minimum. Et puis excellente nouvelle, le disque est bon, s’inscrit parmi les meilleures ventes du site cdbaby, ce qui finalement convaincu le label Naive de lui offrir l’opportunité d’une distribution décente en France.
Très court (neuf titres), ce troisième opus s’apparente à un retour aux sources, évoquant les débuts discographiques du musicien, en l’occurrence l’acoustique 430 N. Harper Ave, sorti en 1997 en catimini, mais aussi par moments l’enchanteur No one’s Really Beautiful. Moins direct qu’auparavant – ceci est certainement dû à la production en sourdine -, Sarah peut sembler au départ moins consistant, mais ce serait sans compter sur notre fin fignoleur de mélodies, qui nous ferait presque passer pour des étourdis, car plus on sonde ce disque, plus quelques pop-songs redoutables s’en dégagent et viennent un peu troubler ce tableau serein. A tel point qu’on se demande comme on a pu passer à côté de certains titres les écoutes précédentes.
Sarah est donc un disque intimiste rythmé de folksongs délicates. On y entend beaucoup de guitare acoustique décomplexée, appuyée par des arrangements variés mais discrets (piano, quelques nappes ou quelques cordes). La section rythmique y est quasiment absente à l’exception du très Beach Boys “Isn’t It Over” ou du beatnick “Crescent Heights”. Sur ce dernier, Jude s’amuse à jongler avec aisance avec les mots, vaquant vers un exercice folk-jazz inédit dans son répertoire.
“Madonna” (faux rêglement de compte avec son ancien boss, ouh la frayeur !), est une folk song baroque accompagnée de jolis violons où l’enfant prodigue du Massachusetts démontre que ces capacités de fin mélodiste n’ont pas été entachées par les passages à vide. Son falsetto particulièr reste prodigieux, grimpant avec une facilité déconcertante vers les aigus, ou se faisant aussi doux qu’un agneau. Pour varier les plaisirs, l’ami n’a pas peur d’expérimenter ses pop-songs, comme en témoigne le subtil, “Your Love is Everything”, jonglant de refrain réverbéré vers un couplet plus modeste. Rayon popsong, “Black Superman” est de facture plus classique, mais réveille l’étincelle d’un Crowded House.
Sans toutefois atteindre l’excellence de No one’s Really Beautiful, ce retour salutaire dévoile un Jude en pleine forme, livrant ses mystères au fil des écoutes. Finalement, les états d’âme de ce brillant songwriter se lisent à livre ouvert au gré des ses périples discographiques, ce qui ne fait que renforcer l’attachement que l’on porte pour lui.
-Le site officiel de Jude