Songwriter précieux, chanteur habité, ce dandy norvégien habille ses compositions pop/folk d’arrangements chatoyants. Lumineux.
Thomas Dybdhal possède une voix phénoménale, de la puissance d’un Antony ou Rufus Wainwright. Et tout comme nos androgynes pop, le contraste entre ce que l’on entend et ce que l’on voit est trompeur : on a bien du mal à croire que derrière ce timbre bouleversant et tiraillé se cache un dandy norvégien de 25 ans. Il y aurait-il un phénomène Mili Vanilli dans le milieu gospel/folk indé ? Mystère et boule de gomme… Histoire de bien se pincer pour y croire, on se demande si on ne s’est pas trompé de site web, et l’on re-vérifie l’URL. Non. Pas de doute, c’est bien le bonhomme : multi-instrumentiste complet (chant, guitare, basse, orgue…) et belle gueule au look digne de Marvin Gaye.
C’était l’année dernière, à la fin du mois d’Août, que l’on entendait parler pour la première fois de ce prodige nordique. Son premier album a été reçu à bras le corps chez nous, et, cerise sur le gâteau, décoré du sticker Telerama sur la pochette. Cet excellent accueil ne fut certainement pas vraiment une surprise providentielle pour lui, puisque sa patrie l’a déjà porté à bout de bras (50 000 exemplaires vendus, et une victoire de la musique norvégienne, le Spelemannsprisen. Au fait, ça ressemble à quoi un trophée norvégien ? Une pastille pour la gorge ? ouarf ouarf !).
Comme un grand, il avait enregistré et produit seul son coup d’essai…That Great October Sound. Des chansons magnifiques, taillées pour la route, mais en aucun cas le goudron fatigué de cette bonne vieille route 66. Plutôt celle qui mène à Rome, bardée d’ambition et d’émotion. On attendait donc le second chapitre de cette aventure avec beaucoup de curiosité. Subissant de plein fouet le décalage horaire norvégien (le disque est sorti voilà deux ans), nous n’avons pas mis beaucoup de temps à recevoir des nouvelles du prodige : neuf mois plus tard il nous revient avec Stray Dogs (trad : chiens errants) et pousse la barre encore plus haut.
L’homme a de plus en plus de goût et profite de son expérience passée au profit d’une production et d’arrangements délicats, d’un raffinement absolu. Moins grandiloquent qu’un Rufus Wainwrigt, la musique de Thomas Dybdhal ne s’en veut pas moins classieuse, portant un goût précautionneux à habiller de dentelles ses chansons. Si l’esprit du disque baigne dans les années 70 (on pense à quelques brasseurs folk magnifiques tel que le père Buckey, John Martyn voire même Robert Wyattpour les ambiances cotonneuses), Dybdhal y insuffle également sa fougue juvénile, empruntant souvent au gré de ses compositions élégantes et calmes quelques contre-pieds et autres instruments inattendus (vibraphone, haut-bois, clarinette, bruitages étranges), brisant brillamment cette mécanique bien huilée pour nous embarquer vers des accélérations fulgurantes.
Stray Dogs joue souvent avec notre santé : le tremblant “Pale Green Eyes” vous apportera sa dose de chamboulements émotifs, alternant solitude et flamboyance avec une finesse inouïe. C’est tout un art que de savoir surprendre l’auditeur au bon moment, et Thomas Dybdhal en use avec une aisance affolante. “Cecilia”, cavalcade folk emprunt d’une mélancolie puissante. On y entend dans ce falsetto une sensibilité gospel/soul, bien que son songwriting s’inspire d’un folk/rock exigeant. Il joue encore avec nos nerfs sur “The Willow”, s’amusant d’un thème au piano qui ne décroche pas de notre tête et qui promet déjà d’être un classique sur scène.
A seulement vingt-cinq ans, Thomas Dybdhal chante comme s’il en avait le double, semblant transporter avec lui tous les fardeaux de la terre. Paradoxalement, son avenir s’avère radieux.
-Le site officiel de Thomas Dybdahl