Pour fêter dignement ses 45 ans, la plus importante figure de la pop alternative nous a convié à un copieux festin où se côtoient flamboyance, classiques 80’s, standards en solo et nouveaux tubes. La fête est réussie.
Que vaut un concert de Morrissey ? La question a toujours été tendancieuse avec d’une part ceux qui voient en l’ex-leader des Smiths un showman hors-pair et de l’autre un chanteur médiocre entouré d’un groupe balourd. La réalité se trouve probablement entre les deux : un personnage singulier et captivant qui est parvenu à faire de ses défauts l’un des fonds de commerce artistique les plus influents de la pop musique.
Revenu l’année dernière en crooner satyrique, Morrissey était certainement fatigué de traîner son image d’inconsolable « mal ajusté ». Et c’est finalement cet habile retour tout en dérision qui lui a permis de revenir au premier plan, sachant que l’icône mancunien n’a jamais autant vendu d’albums avec le rédempteur You are the Quarry.
Enregistré à Noël 2004 dans une salle mythique ce Live at Earl’s Court réunit tout les ingrédients propices à une consécration artistique : une set list piochant allègrement sur son immense carrière (Smiths comprise), une voix qui semble « chanter » de plus en plus, et – pour ceux qui ont fait l’aquisition du DVD) – un charisme intact, magnifié à l’arrière plan par des néons imitant le grand retour d’Elvis début 70’s.
En jetant un coup d’oeil sur le choix copieux des 18 morceaux retenus, on appréciera en premier lieu le fait que le « pendeur de DJs » ait pris grand soin de ne pas empiéter sur le concert officiel au Zenith paru voilà 12 ans. La messe s’ouvre sur le flanger spectaculaire d' »How Soon is Now” qui n’a toujours pas perdu de sa puissance. Visuellement, l’éternel reclu de Manchester affiche un look de dandy en pleine forme, s’amusant comme à son habitude à jouer au lasso avec le câble de son micro, tandis que son fidèle maestro guitariste et compositeur Boz Boorer reste en retrait.
Avec le temps, Morrissey est devenu un show-man hors-pair, qui semble maîtriser parfaitement son image. Une des grandes spécialités de l’ex-chanteur des Smiths est d’assainir son répertoire de titres obscurs, car il est l’un des rares artistes à pouvoir se permettre d’effectuer un concert pratiquement constitué de faces B (ceux alors présents lors du concert à l’Olympia voilà deux ans s’en souviennent). Si des perles comme “Jack the Ripper” n’ont pas été retenues, les poupards “Subway Train/Munich Air Disaster 1958” et surtout le terrassant “Don’T Make Fun Of Daddy’S Voice” valent autant que certains classiques.
Car bizarrement, ce ne sont pas les titres cultes de sa liaison avec Johnny Marr qui dégagent le plus d’intensité scénique. Malgré l’évident bonheur qu’on a à les réentendre, l’interprétation n’est parfois pas à la hauteur. Si « Shoplifters Of The World Unite » demeure un des grands moments du set, (qu’il reprend régulièrement depuis la tournée Maladjusted), le poignant “There Is A Light That Never Goes Out” et “Bigmouth Strikes Again” peinent à restituer toute leur intensité.
Ce sont donc finalement les nouvelles chansons qui sortent grandies de l’épreuve scénique. La production policée en studio de You Are The Quarry s’est évaporée et les titres deviennent plus caractériels. Son nouveau tube “First Of The Gang To Die” déploie une énergie rappelant les moments musclés de Your Arsenal. “The More You Ignore Me, The Closer I Get”, unique représentant de Vauxhall & I, son traumatisant et meilleur album à ce jour, brille comme de sa première flamme, avec ses paroles pathétiques mythiques. Une surprise, on découvre une reprise tranquille d’une autre Smith et grande parolière, Patti (“Redondo Beach” ).
Pour le dernier round, l’intro de “Last Night I dream That Somebody Loved Me”, (le seul passage mélodique jamais composé par Moz), retentit et offre le bouquet final d’une prestation généreuse, magnifiée par un Morrissey toujours empereur de la pop désincarné. Mémorable au final.