Pour leur première venue à Paris, Anita et Kevin Robinson avaient décidé de profiter de leur voyage promotionnel pour faire un rapide tour par les lieux les plus représentatifs de la capitale française. Les yeux grands ouverts comme des enfants ouvrant leurs paquets cadeaux, le couple goûte avec frénésie à chaque coin de rue abritant un quelque chose typiquement français.


Des façades haussmanniennes, au centre Pompidou, jusqu’à l’intérieur des bars avec leur café servi dans des tasses si petites (Aux Etats-Unis on sert le café dans des grands verres en plastique lancera Kevin tout étonné de l’espresso commandé).

Après quelques séances photos dans le bar, puis une longue discussion sur leur impression en tant que touristes, l’entretien commencera. Heureux de pouvoir présenter leur troisième album The heat can melt your brain aux accents shoegazing dans notre pays, les américains évoqueront leur manière de composer, l’avantage de pouvoir enregistrer à la maison, leur attrait pour la technique et la jubilation de pouvoir évoluer au milieu d’une scène locale aussi prolifique que celle de Portland.

Kevin Robinson: Nous sommes un groupe de culture orale. Nous essayons de nous découvrir en parlant le plus possible. Nous ne sommes pas du genre à rester enfermés dans notre home studio pendant des mois sans communiquer avec quiconque. Au contraire, nous aimons le dialogue et nous avons choisi le nom Viva Voce pour représenter la voix. Viva Voce vient d’une technique utilisée par les indiens qui signifie en gros le bouche à oreille pour faire passer un message. Et depuis presque huit ans que nous avons découvert ce mot nous en avons fait notre propre idiome.

Pinkushion : Comment émergent les chansons de Viva Voce?

Anita Robinson : Nous enregistrons chacun de notre côté des musiques, puis lorsque nous estimons qu’elles peuvent déboucher sur des parties intéressantes nous les travaillons ensemble. Nos chansons ne parlent pas d’histoires mais évoquent des lignes abstraites, des sentiments capturés à un certain moment de la vie. On essaie le plus possible de s’exprimer à travers l’instrumentation des émotions plutôt que par la parole.

Kevin Robinson: C’est en jouant de la guitare, de la batterie ou en bidouillant sur l’ordinateur que nous développons nos sens et que nous cherchons une certaine stimulation dans notre travail. Nos compositions proviennent souvent d’heures à répéter et à vouloir nous impressionner.

Pinkushion : Qu’est ce qui vous pousse à utiliser les machines autant que les instruments classiques ?

Anita Robinson : On cherche avant tout à reproduire une qualité organique avec des sons naturels mêmes s’ils proviennent de machines. Celles-ci apportent des possibilités étendues d’orchestration mais on veut que ce qui en ressorte ne soit pas forcément synthétique. Nous sommes des personnes très attachées aux instruments classiques et pour cette raison nous ne voulons pas dénaturer la musique. Je trouve intéressant de confronter la technologie à une composition classique tant que le résultat reste à portée humaine.

Pinkushion : Avec ce nouvel album The heat can melt your brain souhaitiez-vous vous éloignez de vos deux autres productions ?

Anita Robinson : Nous ne voulions pas forcément composer quelque chose de différent avec cet album mais plus avoir le souci de confronter nos instruments à des mélodies qui nous paraissaient plus faciles d’accès, peut-être moins complexes que dans le passé. A l’époque de Lovers, notre album précédent, j’étais moins pensive, méditative voire expressive et c’est pour cette raison que The heat can melt your brain est plus partagé entre la mélancolie et des émotions intérieures. Sur les autres albums, l’émotion est peut-être moins palpable. Du fait des durées assez longues des chansons, l’ambiance recréée n’est pas directe, il faut du temps pour se laisser imprégner des sentiments des chansons.

Kevin Robinson: Du fait que nous avons un studio dans notre maison, nous pouvons passer le temps qu’on veut sur un disque sans qu’il y ait un directeur artistique qui vienne nous demander de rendre compte. Si on veut composer des chansons de neuf dix minutes nous en avons la possibilité mais pour les dernières composées on s’est imposé une structure courte, question aussi de ne pas faire toujours la même chose. Avec les premiers disques, nous avons expérimenté sur des sons, du bruit avec du matériel électronique qui produisait des sifflements bizarres. Sur The heat can melt your brain, nous voulions revenir à des mélodies simples avec des effets électroniques mais sans une production qui dénature les chansons. Et je pense qu’on a réussi. Nous travaillons toujours de manière instinctive mais par moments on se limite dans nos folies. D’ailleurs, je pense que pour notre prochain disque, nous pousserons l’expérimentation assez loin. Nous avons déjà enregistré quatre titres et c’est assez barré !

Pinkushion : Du fait d’avoir votre propre studio n’est-ce pas tentant de vouloir travailler encore et toujours les chansons ?

Kevin Robinson: Bien sûr on a toujours tendance à vouloir changer un son, une partie de guitare ici, un coda là. On s’impose notre propre pression. Et c’est pourquoi on se donne une date limite de fin d’enregistrement. Sinon on devient fou comme Brian Wilson lorsqu’il composait Pet Sounds, et encore il a fini cet album ! Et nous ne voulons pas devenir fous comme lui ! (Ndlr- Rires).

Le fait d’avoir un studio chez soi nous permet de confectionner une musique bien structurée qui ne soit pas une simple charpente des textes mais une matière à part entière à forte évocation. C’est une des raisons pour lesquelles nous mettons en avant la musique, la voix étant placée en arrière. Dans un sens, on s’inscrit dans le mouvement shoegazing, dans le prolongement de ce qu’ont fait des groupes comme My Bloody Valentine ou Ride.

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Pinkushion : Comment se passe la composition dans un couple ? Il n’y a pas trop de disputes ?

Kevin Robinson: Quelques fois mais en général, on n’impose pas nos idées, tout se fait naturellement. Le choix des chansons est dicté par l’impression laissée par l’écoute. Il n’y a pas de rôle attribué à l’un ou à l’autre, chacun écrit des textes, des musiques dans son coin et puis on les soumet à l’autre.

Anita Robinson: Nous sommes sur la même longueur d’ondes côté musique mais je dois avouer que j’aime bien avoir le dernier mot. (Ndlr- Rires)

Kevin Robinson: On s’est rencontré dans une petite ville d’Alabama alors qu’on jouait de la guitare dans des groupes différents. Puis un jour, je suis venu chez elle pour enregistrer sur un quatre pistes quelques chansons et je suppose que le courant a dû passer puisque quelques temps plus tard nous nous sommes mariés. Et puis du fait que nous aimions la même musique cela a facilité notre relation de couple.

Pinkushion : Comment peut-on interpréter le titre de l’album The heat can melt your brain ? Sur votre site web, il y a une explication très technique, peux-tu la résumer ici ?

Kevin Robinson: En fait c’est difficile à expliquer. Les ordinateurs ont des CPUs (Control Power Unit) qui leur permettent de fonctionner. Du fait des nombreux programmes qui tournent sur les machines, les CPUs se fondent entre eux et deviennent très puissants. Les ingénieurs qui conçoivent ces logiciels sont brillants intellectuellement et c’est une partie de leur cerveau qui se trouve sur les ordinateurs. Le sens donné au titre de l’album est que notre esprit se fond parmi nos émotions comme les CPUs dans les programmes. Et la chaleur provient des émotions perçues.

Pinkushion : Aux Etats-Unis vos disques sont distribués par Minty Fresh. Est-ce que vous entretenez des liens avec des artistes du label ?

Kevin Robinson: On a des affinités d’une part avec les artistes du label, comme Ivy, Bettie Serveert, Husky Rescue, Floraline, mais aussi ceux de Portland comme les Shins, Icy Demons, Matt Ward. Par ailleurs, on aime beaucoup Grandaddy. Il y a une scène locale très active et productive, foisonnante de bons groupes qui au contact des uns et des autres se stimulent. Vivre au milieu d’une scène aussi animée que Portland devient très galvanisant et enrichissant du point de vue de l’inspiration, on cherche toujours à se surpasser.

Pinkushion : Mise à part la scène locale dans laquelle vous vivez, puisez-vous votre inspiration dans les livres, le cinéma ?

Anita Robinson: Les bandes originales de films sont pour nous un trésor d’idées. Ennio Morricone est un compositeur qui nous passionne.

Kevin Robinson: Tous les films de série Z genre Dracula. On reste tout de même très attaché à la musique. De voir des groupes en concert qui nous laissent pantois nous donne envie de les mettre au défi et de faire aussi bien voire même mieux. On aimerait collaborer avec Air, c’est un groupe avec qui on partage un même état d’esprit.

Anita Robinson: Si nous pouvions avoir la même ligne de basse, je serais comblée!

Viva Voce – The heat can melt your brain

-Le site de Viva Voce

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