Chroniquer un disque de l’imprévisible Domotic revient à utiliser le mot « son » à chaque lignes. Ce nom sans omonyme définit parfaitement son univers. Même accommodée de mélodies, la performance reste toujours vibrante.


Domotic aime tendre des pièges, troubler l’auditeur avec la perte de repères et pour cela il use de moult subterfuges… Il y a trois ans, Stéphane Laporte aka Domotic, un des éminents sorciers soniques du label Active Suspension, nous avait enchanté avec un déconcertant premier album, Bye Bye (rien que le titre déjà). Fin stratège d’electronica mélodique, le jeune-homme avait fait germer en nous les espoirs d’un trublion français capable d’offrir une alternative heureuse à un Four Tet et quelques autres « fortes têtes » du label Mego.

Bye Bye, premier album anti-formaté et revigorant, donnait l’effet d’une boule de flipper heurtant des bumpers soniques à toute vitesse et rebondissant dans des directions totalement accidentelles. Trois ans plus tard, l’écoute d’Ask for Tiger met toujours en évidence cette notion de chocs imprévisibles, mais les mélodies ont pris un tournant plus revendicateur. Le Breton sentant avoir fait le tour de ses possibilités d’expression s’en est allé explorer d’autres horizons de friture. Ses aspirations l’ont emmené vers des mélodies plus travaillées, un processus de création où tout était à réapprendre, trois longues années avant d’atteindre ses ambitions fixées.

Si Ask For Tiger démontre une sensibilité plus « pop », il met toujours à rude épreuve l’auditeur. En guise de préambule, quelques sons de jouets vidéo convoquent les Granpappys de Modesto sur “Meanwhile, In The Woods”. “I Hate You Forever” avec l’usage d’une voix cybernétique, est le premier virage important du disque où une mélodie constante conduit de bout en bout le titre. On ne peut toujours pas parler de format pop à proprement parler, mais force est d’admettre que quelques mélodies touchantes tendent à s’extirper de cette surabondance sonique. Prodige de la mise en son, Domotic est capable de tordre ses sons avec une clarté et une souplesse frappante (“Hugs & Kisses”). Dans cette optique, “Tonsil” croise encore ce chant masqué à une boite à rythme cheap et des choeurs limite grégoriens. Lors d’instants de dépassement spectaculaires, “Turquoise/ Trotzdem” percute de plein fouet le post-rock furieux et l’electronica dissipée. Un tour de force. Autre grand moment, “Animals Are Ugly And So AM I” nous plonge dans une vague de bruit blanc élégiaque, puis une voix mélancolique prend le relais sur une trame douce mais résignée.

Finalement, il en résulte que Domotic est un néo-impressionniste sonore, travaillant comme certains peintres pointillistes des codes couleurs mathématiques pour exprimer un sentiment vif. De loin, l’image est claire, mais de près, on peut constater la juxtaposition d’éléments qui ne forment qu’un tout. Cette aproche est d’autant plus marquante sur des titres à la sensibilité plus pop, tel que “Not The Movie You Expected”. On peu écouter les mélodies, mais aussi en second plan admirer l’architecture tout à fait surprenante du morceau.

Entre accident mélodieux et pointillisme sonore, les tuyaux et fils électriques de Domotic s’unissent à travers un noeud magnétique où se crée une onde originale. Grande performance.