Mariage à trois entre le chant traditionnel breton, le blues cérébral alsacien et l’oud électrique, Before Bach est un disque de rencontres qui ose emprunter les chemins de traverse avec maestria.


L’heure serait-il à la recherche de nouvelles expérimentations sonores pour nos guitaristes français les plus inclassables ? Après l’album Interzone de Serge Teyssot-Gay alliant subtilement la guitare rock et l’oud traditionnel, c’est au tour de Rodolphe Burger, ex-leader de Kat Onoma, étiqueté rocker intello, de signer un disque inattendu avec le chanteur breton Erik Marchand.

A priori, cette rencontre avait tout de l’union de la carpe et du lapin: la musique traditionnelle pour l’un, le blues-rock atmosphérique pour l’autre. Il aura fallu une rencontre improvisée sur la scène du festival des musiques actuelles de Morlaix, en 2004, pour que s’opère l’alchimie et que germe l’idée d’une collaboration d’envergure. A vrai dire, l’affaire sentait bon le mariage arrangée tant les natures des deux grizzlis, portées à l’expérimentation et aux croisements de genres, convergent sensiblement. Jugez plutôt : Marchand en chanteur breton nomade, amoureux des Balkans, à graver des disques avec Gwerz, Thierry Robin, le Taraf de Carancebes. De son côté, Burger, insatiable butineur, a travaillé avec Françoise Hardy, Bashung (Fantaisie Militaire), Jeanne Balibar (Paramour), Fred Poulet, James Blood Elmer, quand ce n’est pas pour le théâtre ou d’autres arts.

Alors, aussi improbable que cela puisse paraître, c’est entre la Bretagne et les Vosges que Before Bach a pris tournure autour de thèmes apportés par Marchand (sur des textes de son fidèle parolier Christian Duro), de la guitare aérienne de Burger et de l’oud de Mehdi Haddab (DuOud). Unis par un profond respect mutuel et une vraie démarche créative, les trois musiciens, épaulés par la section rythmique du Meteor Band (Marco De Oliveira à la basse et Hervé Loos à la batterie) ont réussi à inventer un territoire d’expression commun, entre musique modale et richesse harmonique, sonorités électrique et digitale, évitant l’écueil world ou new age dans lequel il eut été facile de tomber. A cheval entre l’esprit rock et le répertoire traditionnel, Mehdi Haddab cimente l’ensemble et se révèle être la pierre angulaire de ce disque hybride.

Le résultat ne manque pas de souffle. Before Bach dessine une grande fresque apatride de l’Oural à l’île de Batz en flirtant avec la Méditerranée. Chaque titre se déploie sur une ligne d’horizon plane où alterne fureur électrique (« Before Bach ») et ambiance méditative (« Pouallen Blues »). « Zalizome » et « Georghe Si Florea » font des incursions en répertoire grecque et balkanique, alors que « Phobic Flight » renvoie à la signature de Kat Onoma avec son chant déclamatoire en anglais, doublée d’échos en breton. Navigant à contre courant, quelque part entre la fusion et la musique contemporaine, Burger et Marchand s’ouvrent le champ des possibles à travers un répertoire unique et sans concession. N’en déplaisent aux grincheux tranquillement installés dans le confort mélodique du rock indé, ce disque, pas toujours facile d’accès il est vrai, a le mérite de décloisonner les genres et de lutter contre les idées reçues. Après un telle expérience, l’actualité musicale peut sembler bien fade ou réconfortante, c’est selon.

-Lire également la chronique de Blood&Burger – Guitar Music

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-Le site officiel de Rodolphe Burger

-Le site officiel d’Erik Marchand