Fatigué de son mammouth, Jack White saborde son bolide rock et pose les bases d’un nouveau langage personnel. Mi ange, mi démon, voilà les White Stripes exorcisés.


Back to the futur : nous sommes en juin 2005. Suite au succès colossal d’Elephant, les White Stripes sortent enfin une séquelle, le bien nommé Pachyderme. A la grande satisfaction de leurs fans, cette cinquième galette regorge une nouvelles fois de tubes en puissance : “Eight Nation Army” (Dancemix version) cartonne dans les charts, tandis que la paire se fend d’un duo country/punk avec Loretta Lynn, sans oublier une reprise suramplifiée du classique “Over The Rainbow” avec en guest-clip Kate Moss, brûlante hôtesse Car Wash (quoique… pas très appetissante finalement). La tournée qui suit est immense, le duo de Detroit remplit quatre soirées d’affilée le Wembley Stadium Arena et accepte une pub pour Coca Cola, code de couleur oblige… Les White Stripes ont atteint le firmament de leur popularité, Renee Zellweger, ex-compagne de White, s’en mort les doigts et prend 20 kilos de plus que prévu pour Bridget Jones 3. Back to reality : toute coïncidence ou ressemblance avec des évènements réels est fortuite ou involontaire.

Et pourtant, ce retour de l’enfant prodigue du rock aurait en toute logique de pronostic dû se dérouler ainsi. Si vous lisez quelque part que Get Behind Me Satan est le digne successeur d’Elephant, sachez que le chroniqueur est un sacré Pinocchio. Hormis “Blue Orchid”, cette galette est un véritable cauchemar pour programmateur radio, aucun single évident ne se dégage du lot. Et pour mieux charger la mule, aucune interview n’est accordée par le duo mixte avec la presse internationale. Derrière ce spectaculaire retournement de situation se cache un disque tout aussi à rebrousse-poil. Get Behind Me Satan révèle une profonde volonté d’envoyer valdinguer une destiné « paillette » toute tracée et irrévocablement ennuyeuse.

Evidemment, si les White Stripes avaient enregistré un Elephant bis, le succès aurait été colossal. Les prétentions des White Stripes ont toujours été claires là-dessus, la paire n’a jamais eu peur de se frotter au succès. Businessman avisé, Jack White gérait jusqu’ici sa petite entreprise rock n’roll avec une emprise et un sens du détail redoutable. Mais que faire lorsque le mammouth enfanté prend une ampleur monstrueuse, lorsque la scène où l’on joue devient tellement grande qu’on s’y perd et que tout ce cirque médiatique ne rime plus à rien ? Et bien si déclic se produit, on tend vers un minimum d’humanité. En ce sens, Get Behind Me Satan est un disque profondément humain.

Délibérément brouillon, ce cinquième opus est à considérer comme une seconde éclosion artistique. Enregistré en 10 jours à Detroit, le peaufinage opéré depuis l’imposant White Blood Cells n’a plus libre court ici. Le son « White Stripes » est bien présent, mais la musique s’abandonne à l’imprévu, on y sent une profonde envie de ne surtout rien préméditer.

Jack White, l’homme en rouge a ainsi saigné à vif sa bête. Les guitares sont rangées dans l’étui. Sur les douze titres livrés en pâture, seuls trois laissent parler la poudre des amplis Marshall, et de fort belle manière : le premier single “Blue Orchid”, l »explosif “Instinct Blues” et le très Led Zep “Red Rain”. Pour le reste, le piano est désormais l’instrument primal, servit autour de bruitages et sons déroutants. Après le riff scie sauteuse de “Blue Orchid”, nul doute que les marimbas de “Nurse” vont en premier lieu en désarçonner plus d’un. Et c’est l’effet escompté, les mélodies et explosions rythmiques se font plus sauvages (“The Denial Twist”). Désormais assis devant un clavier, le rocker Jack White révèle une profondeur et une sensibilité trop rarement ébauchées sur disques jusqu’ici (“Forever For Her”, “White Moon”, le formidablement poignant “I’m Lonely”). On peut s’en réjouir. Un titre comme “Ring My Doorbell” affiche une euphorie de l’instant complètement revigorante : le vernis mélodique a été raclé, son format exclus toute concession radio. Autre met délicat, lorsque Jack White empoigne une guitare folk sur “As Ugly As I Seem” et y déploie encore une finesse confondante. Parfaitement simple et simplement parfait.

Mr White a bien sabordé son propre joujou. D’ordinaire on aurait tendance à penser qu’un duo rock aurait tendance à s’essouffler plus rapidement qu’un combo rock. Get Behind Me Satan, cinquième album des White Stripes, tord le coup aux idées préconçues et offre même de nouvelles perspectives, certes un peu dures à digérer, mais passionnantes pour l’avenir. Le pacte avec Satan connaît désormais quelques petites modifications contractuelles.

-Lire également la chronique d’Elephant

-Le site des White Stripes