Rock en Seine a pris du sacré galon pour sa troisième édition. Cette année, l’organisation peut se pâmer d’avoir une programmation béton, tellement imposante (QOTSA, Pixies, Franz Ferdinand, Arcade Fire entre autres…) que l’édition 2004 passerait pour un festival de musique de chambre… (hormis les White Stripes…). Il faut dire que les moyens sont conséquents au vu du battage médiatique : Trois mois avant l’ouverture des portes à St Cloud, la superbe affiche du festival inondait les couloirs du métro et les ondes radios.

Jeudi 25 août

14 h 30, la grande foire peut commencer. On entre dans l’arène par la grande scène (l’accès presse) et l’on se rue déjà à l’autre bout du parc pour le premier grand rendez-vous de la journée, les p’tits nouveaux de The Subways, qui ont l’honneur d’inaugurer la nouvelle scène de la cascade. La prestation du trio est solide dans le registre Ash des débuts – et le groupe ne manque pas de charisme grâce à la très mimi bassiste, tandis que son petit copain assène à la foule une bonne dose punk attitude à travers ses riffs basiques mais inspirés. Toute cette belle énergie nous fait chaud au coeur, mais les nuages ne sont pas de cet avis, et la pluie (invitée rituel d’un festival digne de ce nom) fait une brève apparition, mais bien remplie…

16 h 00. Le temps d’aller chercher un K-Way à l’autre bout du site que le soleil est revenu et on assiste mouillé comme une éponge à la prestation de Stuck in the Sound, sur la scène de l’industrie (dédiée aux nouveaux talents). Ce jeune quatuor français délivre des chansons noisy tarabiscotées (peut-être un peu trop d’ailleurs pour leur niveau) et peine à élever ses chansons noyées dans la dissonance. Pas franchement convaincu.

Après avoir enfilé deux combos jeunes et vigoureux, on prend enfin un peu de temps pour regarder les stands, et là, oh grande tristesse, le sympathique stand de spécialités créoles présent l’année dernière n’est pas de la fête cette fois-ci, une gigantesque tente d’un opérateur téléphonique remplace les saveurs exotiques. On maudit le ciel de cette traîtrise infâme, puis se console en approchant du stand Air Band, où quelques djeuns coiffés de perruques ridicules s’énervent sur un bon riff d’AC/DC et Rage Against The Machine. Franchement poilant.

16 h 30. Retour sur la scène de la cascade où les super pro d’Athlete nous y attendent. Croisement calculé entre Radiohead (période OK Computer) et Coldplay, le son du quatuor britannique est franchement énorme. Les titres de leur excellent second album Tourist se taillent une belle part auprès de l’audience et méritent qu’on s’y penche un peu plus en France où le succès n’est pas encore de mise.

17 h 15. Les barrés Flying Pooh enquillent sur la petite scène. Adeptes des délires à la Mike Patton, ce groupe tricolore affiche une aisance sur scène assez bluffante, alternant funk transpiré, accélération de riffs hardcore et musique précieuse. Les adeptes adorent, les autres lassés, lâchent l’affaire après 15 minutes.

17 h 50. Sur la grande scène, le vétéran funk Michael Franti laisse la place à la troupe très attendue d’Arcade Fire qui effectue son soundcheck. Vu qu’on a encore quarante bonnes minutes avant que les Canadiens montent sur scène, on retourne devant la scène de la cascade où la pop ensoleillé des hispaniques Sunday Drivers tombe à point nommé. Six musiciens sur scène arborant un look et instruments vintage, leur ambiance « Califarniente » est plus convaincante devant la foule que sur disque. On se laisse séduire.

Preuve d’une audience plus abondante que l’année dernière, les mouvements de foule à la fin de chaque de concert se transforment en queue leu leu gigantesque. Des 8 bonnes minutes qui nous séparent du trajet vers la grande scène, on remarque que les étouffants tee-shirt Muse de l’année dernière se sont évaporés au profit de l’éclectisme et du bon goût : si la palme de la popularité revient aux Pixies, on aperçoit en vrac du Queens of the Stone Age, Velvet, Ramones, Nirvana, Clash, Led Zep, Von Blondies, Oasis, Arcade Fire, Deep Purple (?!) ou quelques amateurs perdus de hard rock progressif…

18 h 30. Premier grand rendez-vous de soirée, les chouchou indé d’Arcade Fire prennent possession de la grande scène devant une foule cette fois qui s’agglutine. Il faut dire que depuis leur premier passage au nouveau casino voilà près de 6 mois, leur réputation s’est répandue comme une traînée de poudre. Pour ceux qui ont déjà vu le groupe, l’épreuve d’une scène gigantesque passe plutôt bien, les huit membres (un second violon est présent sur cette date) alternent pour la plupart instruments et les chorégraphies « pétages de plombs » (casques et baguettes) sont toujours au programme. On regrette cependant l’absence de nouveautés, ne serait-ce qu’une reprise. L’énergie néanmoins est indéniable et perdure.

Dilemme de la programmation, le jonglage permanent de scène en scène… on décide de faire un détour sur le stand kebab avant de rejoindre les joyeux Hot Hot Heat. Une demi-heure de queue plus tard et nos frites à la main, les Canadiens ne nous ont pas attendu et on assiste un brin déçu à la fin de la performance, pas inoubliable d’après les dires…

DR/Rock en Seine20 h 20. C’est ensuite au tour de Josh Homme et ses nouveaux frères d’armes d’asséner une bonne dose de riff sale avec ses Queens Of The Stone Age. Exit Mark Lanegan et Nick Oliveri, les remplaçants -dont une brune pulpeuse et indomptable aux claviers – ne sont pas là pour la figuration, cela tourne au quart de tour, le son est énorme et prend de plus en plus d’ampleur. Détendu et charismatique, le grand roux se la joue coquin devant les écrans, livrant un set impeccable parsemé d’hymnes rock, gratifiant également l’audience de quelques Desert Sessions et un inédit, tout nouveau tout beau, très efficace. Grand moment du concert, le “Burn The Witch” dédié aux Pixies, qui auront la lourde tâche de faire oublier cette prestation rock n’roll spectaculaire, mais on n’en demandait pas moins de ce poids lourd rock (dans tous les sens du terme).

Le temps de s’émoustiller en effectuant quelques pas de danse sur le rap bien roots de Jurassic 5, et l’on retourne, ou plutôt tentons de rejoindre la grande scène, où une meute gigantesque tente d’occuper le moindre cm2 d’herbe disponible pour le final avec les Pixies.

22 h 15. Certainement le concert le plus massif vu jusqu’ici sur la pelouse de St Cloud, les quatre de Boston font une entrée timide sur scène, démarrant le show lentement sur un “Wave of Mutilation (surf version)”. Le concert démarre mollement, le groupe ayant opté pour quelques faces B et autres titres anecdotiques, dont un « “La la Love You” unique morceau chanté par le batteur David Lovering, qui connait des problèmes de micro, ironie du sort, le même problème était survenu lors du second concert du Zenith l’année dernière. Heureusement, le concert prend une autre tournure lorsque les vétérans commencent à jouer leur très longue liste de classiques spectaculaires, la performance se bonifie au fil de la soirée. Habillé en costard, le gros Frank Black hurle toujours à la mort, tandis que son fidèle Joey Santiago fait tourbillonner ses halo de larsen dans la nuit du parc de St Cloud. 11 h 20, après un au-revoir “Gigantic”, on regagne la station de pont de sèvres, l’impression de ne vraiment pas avoir perdu sa journée…

Compte-rendu de Paul Ramone

Vendredi 26 Août

Les quatre Parisiens de Hopper ouvrent la journée, emmenés par leurs deux frontgirls, Aurelia et Dorothée. Deux alter ego chanteuses-guitaristes équipées Fender, l’une plus rock indé et harmonies mineures, l’autre plus blues et démonstrative (on dirait PJ Harvey et Alanis Morissette, si on voulait les vexer). Ils jouent leur album, A Tea with D. Le son est moyen, ne manque pas de basse mais de force. Ca joue bien mais le public ne bouge pas. Le batteur le sait : le public regarde les filles. Qui restent humbles et sympas, jusqu’à l’au-revoir. A la prochaine !

Après cela, Goldfrapp surprend. La Boucle d’or un peu énervante est venue avec une drôle de bande, genre Misfits. Le look est bien branque années 80, version cirque de Berlin Est : l’un a un synthé en bandoulière, une veste longue fuschia satinée, l’autre une basse transparente en plexiglas, chapeau melon et treillis. Deux danseuses s’évertuent, coiffées de têtes de cheval en papier argent. Le batteur, lui, fait très bien la boîte à rythmes. Attention : le son est solide, gavé de basse, le beat binaire prend bien. On se laisse hocher de la tête avec cette pop électro à la mode allemande. La meneuse manque de coffre mais nous touche parfois, quelque part entre Madonna et Peaches. On est loin des chansons de vamp’ glaçante avec force violons des débuts. C’est déjà ça.

Sur la grande scène, on vient vérifier où en est Amp Fiddler. Il est toujours dans le gros funk moderne bien au fond du temps, plutôt côte ouest. Mais n’a pas encore trouvé la petite dose de mise en danger qui lui évitera de ronronner sans but apparent. Brancher les filles ?

Sur la petite scène de l’Industrie, on va voir la prochaine « découverte » française, recommandée par beaucoup : Herman Düne. Les deux frères ont très bien appris la leçon du folk américain comme là-bas. L’un chante très bien, avec le nez et tout. Même les accents sont chiadés. Le son low-fi un peu casserole n’est pas trop mal. Mais il y a un peu trop de désinvolture sur scène. Le batteur ne fait pas vraiment l’effort de rester dans le temps, pas plus qu’un autre ami looké « pêcheur du Montana » qui foire sa seule mission : le tambourin. Ils ratent donc leur cible. Ca doit être mieux sur album, comme on dit. Ou dans une petite salle. Next time…

L’heure sonne alors pour LA légende du jour : Baby Shambles, précédé de ce qu’il faut de rumeur (« Ils vont le ressusciter, mais à 18h30 ! »). Ca part en rock un peu années 60, avec un son pourri. Peut-être les ingénieurs du son se sont-ils vengés de l’heure de retard et du changement de scène en « oubliant » de reprendre le guitariste dans la sono. Pete Doherty est hagard mais tout sourire. Mais plus habile à smasher les pintes en plastique ou son micro qu’à tenir un chant rock. Pas de souffle. C’est bien mauvais, quoiqu’on entrevoit parfois, quand le batteur frappe plus, une possibilité que cette musique plaise, mieux exécutée. Mais la question n’est pas là bien sûr. Un ado passe à l’idole un drapeau britannique que Mr Doherty dépose sur la batterie « comme dans le clip ». Il lance SON collier-chapelet à la foule, etc., etc. On jette l’éponge à mi-parcours. D’autres restent pour voir s’il mourra sur scène. Fa-sci-nés. En prime, un mini-scandale, après le concert : quelques jeunes prennent d’assaut une des grilles sur le côté de la scène, derrière laquelle on voit la star, amusée. Pas plus bad boys que ça, ils sont vite repris par la sécurité (« Comment qu’il l’a savate ! ») mais ajoutent le gramme de soufre qui assure définitivement à Doherty la palme du rock n’ roll. Un art de la vie, dont la musique n’est qu’une composante mineure.

On rate ensuite The Departure (no comment) et on fait une tentative devant Saïan Supa Crew, sur la grande scène. Pas de chance, on tombe sur « Angela-a-a », la scie caraîbo-rap. Mauvais timing. Rebroussons chemin.

Heureusement, sur la scène de la Cascade, commence du sérieux : Feist. Du folk un peu soul mais quand même triste. Et beau. La jolie Canadienne fait bien son job : sa Gibson est lourde, l’orgue rond, la batterie droite. Le son est parfait, chaud et clair. C’est presque trop léché mais ça marche (l’anti-Herman Düne, ce jour-là). Elle chante bien et fait penser un peu à Shannon Wright, un autre bout de chou qui n’a besoin de personne. On ne lui reprochera que le côté un peu systématique des tremolos dans la voix, mais c’est culturel. Final touchant : « The saddest part of a broken heart isn’t the ending, as much so the start », messieurs.

DR/rock en seineFin des hors d’oeuvres. Entrée du premier poids lourd : Foo Fighters. L’ami Dave Grohl commence comme d’habitude : en force. « In your honor » et un autre titre, qu’il gueule à en faire craindre pour sa santé. Le ton est donné : « On joue rarement en France, on n’a qu’une heure, alors on s’arrête plus. » On voit la différence : l’Américain sait manipuler un public. Foo Fighters, sacré meilleur V12 du rock pour teenagers. Bien sûr, on se dit que leur musique a encore dérivé vers le métal un peu vulgaire, perd toujours plus sa finesse « indé » et Beatles. Mais même sur un mauvais hymne de stades comme « Best of you », on se laisse prendre à l’énergie. Ils ne lâchent rien. Mention spéciale au batteur, qui cogne en patron et semble enfin se libérer de l’ombre du maître Grohl. Grand prince, celui-ci lui laisse même un mini-solo. On déplore quand même les hurlements de Grohl, qui cherche le plébiscite en relançant avant chaque break : « Are you readyyyyy ? Here we goooooo! ». Gonflant. On oublie quand il laisse tomber ses gros bras et attaque un morceau tout seul avec sa Firebird : « My Hero ». Nue, la chanson est bonne. Lui aussi. « There goes my hero. He’s ordinary… »

Pas le temps de souffler avant le prochain rendez-vous. Avec l’Histoire, celui-là : Robert Plant. En courant vers la Scène de la Cascade, on a le ventre qui se serre pour l’ancêtre qui a essuyé cet après-midi tant de blagues sur les dinosaures et les momies. Et qu’on trouvait un peu arrogant dans les interviews, les jours précédents. Grosse gamelle en vue ? Peu de temps pour y penser. Il est là, dans la lumière violette, brandissant une percu africaine, livrant avec ses partenaires un genre de blues du désert à destination inconnue. Se méfier du vieux charmeur de serpents. Dès le deuxième morceau, la batterie rentre et on comprend qu’on va avoir mal : quand ils disaient qu’ils étaient revenus vers du rock, c’était donc vrai. On est attaqué par un Led Zep métis, nerveux et moderne, lourd mais agile. Lui a retrouvé sa voix on ne sait comment et dérive à nouveau dans les aigus, libre. Derrière, il a un vrai groupe. Deux guitaristes qui font le métier sur Gibson, très blues, très efficaces. Renards, ils évitent les solos flamboyants qui rappelleraient Page. Le batteur est très très fort. Il rocke dur mais a un fonds de rythmes étrangers qui ébouriffe et met la transe. Il y a du plaisir dans le jeu et sur le visage de Plant. Il s’aide en reprenant 5 ou 6 titres de Led Zep (dont le bonheur pachydermique « When the Levee Breaks ») mais il les modifie assez intelligemment pour qu’on ne puisse que dire merci. Le public est complètement pris. Frappe des mains à s’en faire mal. Le soleil se couche. « Whole Lotta Love » sera le final, un peu démago mais tellement bon qu’on fait des bonds. Ce jour-là, il la gamelle n’était pas là où on l’attendait.


DR/Rock en Seine
C’est un peu sonné qu’on se dirige avec les flots humains vers la Grande Scène pour la tête d’affiche : Franz Ferdinand. Ces abonnés des couvertures de magazine, qui vendent beaucoup et énervent un peu. Retranchés aux arrière-postes, on sentira qu’il n’y a pas d’équivoque : ils sont bons. Le son aussi, plus léger, claquant et anglais que celui de l’après-midi. La batterie file bien. Le public fredonne bientôt tel ou tel hit, bien envoyé. On regrette seulement que ces icônes utilisent trop le rythme « four on the floor », c’est-à-dire : boum boum boum boum. Inspiré du disco, ce beat a permis au rock de rentrer dans les discothèques avec le vicieux « Miss You » des Rolling Stones. Mais il est aujourd’hui un peu partout, comme chez les White Stripes, dont le « 7 Nation Army » passe si bien en version remix euro-house. Une facilité qui ne déplaît pas au public féminin mais peut lasser autant qu’elle fait danser. Sans rancune…

Une belle deuxième journée. On mangera encore quelques minutes de Sayag Jazz Machine, pour la fine bouche. Un final de drum n’ bass convaincante, lourde et pas bête. Le collectif français a l’air chaud sur scène mais un peu nombreux par rapport à ce qu’on entend. Surtout des machines et un peu de saxophone. Ils avaient dû tout donner avant. Nous aussi.

Compte-rendu d’Alexandre Piquard

-Lire également la chronique de l’édition 2004