Duel d’arpèges de guitares, riffs factorysés, rythmique implacable, chant hanté, Editors suit les traces d’Interpol et pourrait même profiter de l’aspiration pour les dépasser, si le vent va dans le bon sens.


«Tomorrow Remember Yesterday» s’écriait Mark Burgess sur “Nostalgia”, éternel leader guignard des Chameleons. 25 ans plus tard, ces paroles prophétiques ont une résonance particulière ces jours-ci. Comme un sentiment de rendez-vous manqué, on s’est toujours laissé dire qu’un groupe tel que les Chameleons aurait pu devenir énorme en leur temps, voire égaler l’aura d’un Joy Division. Le destin en a décidé autrement, la faute entre autres à un choix esthétique peu rigoureux : pochettes et fringues comme pièces à conviction – d’un autre côté, cela n’a pas empêché Bono de devenir une icône en portant des gilets de cow-boy et en influençant moult coupes de cheveux atroces pour footballeurs en mal de charisme… Mais surtout, et détail non négligeable, la faute à une production souvent indigne de leur formidable répertoire.

Encore aujourd’hui, on se prend à rêver en songeant à ce qu’aurait pu donner l’apport sonique du génial Steve Lillywhite sur long format si la collaboration ne s’était pas arrêtée brusquement en pleine élaboration de Script of The Bridge. En témoigne encore “Nostalgia” et “In Shreds”, deux des plus puissants morceaux rock des années 80. Le destin aurait certainement eu un tout autre visage. Parmi les autres laissés pour compte, on pourrait aussi s’attarder sur l’oeuvre du possédé Adrian Borland, maître des fantastiques The Sound, honteusement oublié et emporté par la folie au détour d’un chemin de fer à la fin des années 90. Le fossoyeur du rock creuse tous les jours des tranchées de plus en plus profondes.

C’est avec l’émergence d’un groupe comme Editors, et bien sûr Interpol, que ce « loupé de coche » se fait d’autant plus ressentir. On constate que les galères du passé permettent à la nouvelle garde de ne plus commettre les même erreurs de parcours. C’est flagrant. Quatuor anglais, Editors a visiblement bien potassé le petit manuel dit du « comment apprendre à devenir rockeur, pour les nuls ». Pochettes lugubres, musique oppressante dans la lignée post-punk (on ne va pas vous rabâcher non plus les sempiternels même noms), le label semble miser gros sur ces nouveaux prétendants. Pour preuve, le disque est sorti simultanément en série limitée, avec un packaging luxueux et un second cd truffé de faces B, histoire de montrer que le moindre de leur (maigre) répertoire tient aussi la route. L’ambiance est oppressante, la pression est grande, Editors semble guetter à chaque instant le moindre faux pas des super flics de Brooklyn.

Quelques semaines après la déception infligée par le premier album de The Departure, Editors va certainement récupérer sans aucun mal un public avide de guitares rocks tortueuses et égosillements échappés de la division de la joie. A vrai dire, on aurait pu copier-coller notre chronique précédente de The Departure, tant la musique des deux groupes est relativement symétrique (voix d’outre-tombe, guitares munies de delay et autres réverbes spectaculaires, un batteur semblant fissurer le sol à chaque frappe de caisse claire…). Mais il faut dire que là où la musique des précédents manquait d’âme, Editors au contraire privilégie la corde sensible. Pour faire court, The Back Room nous ressert la même formule post-punk 80’s… mais le sel en plus. Et quelle saveur !

Ces garnements-là possèdent bel et bien des titres hors du commun. A commencer par l’intrépide “Lights”, urgent et sans concession : les guitares pleurent une colère qui ne cesse de gagner du terrain. Second single, “Munich” est encore un sacré brûlot rock, doté d’un refrain dévastateur (car il y a des vrais refrains en plus !). La voix gutturale de Tom Smiths y fait sensation, l’un des plus beaux grains à avoir émergé ces derniers temps avec son homonyme Paul Smiths (Maximo Park).

Paul Banks semble avoir trouvé un concurrent de taille, mais également Sam Fogarino un marteleur à qui se mesurer : l’intrépide Ed Lay. Sur le brumeux “Fall”, le bougre tient à bout de baguettes la chanson et parvient à élever la tension avec une puissance crescendo. Et puis, il y a aussi “Bullets”, le single qui a déclenché l’alarme, spectaculaire. On ne vous en dira pas plus et on vous laisse la surprise, car après le passage en revue de ces 11 titres impeccables, on se dit qu’on a trouvé un hobby passionnant en attendant la prochaine livraison de ces décidément peu prolifiquess d’Interpol.

«I Got a million things to say», clame Tom Smith sur « Lights ». On y croit très fort, et on croise les doigts pour qu’Editors ait effectivement encore beaucoup de choses à nous dire.

Le site officiel d’Editors