Quatrième merveille des saints islandais de Sigur Ros, qui nous laissent de nouveau pantois. L’ovni venu du froid n’a toujours pas été identifié.
Enfilez vos Moon Boots, vos moufles et relevez votre capuche, Sigur Ros est de retour ! En taillant de main de maître deux purs joyaux coup sur coup, Agaetis byrjun et (), la meilleure sensation fraîcheur inventée depuis Mr Freeze se devait durant son absence de conserver ses secrets enfouis dans la glace, histoire de rester à bonne température.
Disparus près de trois ans suite à l’incroyable () (2002), disque quasi parfait, les craintes sur les capacités du groupe à renouveler un tel exploit étaient permises. C’est que pour atteindre un tel échelon de pureté, nos explorateurs ont certainement avancé loin, très loin vers le nord et les banquises vierges, là où l’empreinte de l’homme est moins fréquente que celle des ours blancs. Reclus pendant six mois dans leur igloo islandais toujours aux côtés du producteur Ken Thomas (Wire, Hope of The States), nos quatre esthètes se sont attelés à magnifier cette intensité si singulière qui leur appartient, alchimie improbable entre Les Choristes, Scott Walker et My Bloody Valentine (ça change un peu des sempiternels noms rabâchés).
Takk est une nouvelle fois une meirveille. Pourtant, on ne peut pas dire qu’il y ait une évolution marquante depuis () : Sigur Ros fait toujours du Sigur Ros, mais la fine broderie des débuts est devenue, l’expérience aidant, affaire de haute-couture. Sur près d’une heure, cette musique étrenne une beauté précieuse. Plus de la moitié des titres traversent la barre des six minutes, distance idéale pour atteindre les frissons de l’Everest. Car nos jeunes prennent leur temps pour gravir les marches.
L’évocation de l’enfance est récurrente dans la musique de Sigur Ros, avec des mélodies – comptines jouées au Glockenspiel : cela démarre comme une berceuse et puis tout d’un coup le vent se lève, une batterie s’emporte et des guitares majestueuses tirent des éclairs, nous sommes emportés au centre d’un cyclone de sentiments où s’immisce beauté, colère, innocence et beaucoup de bonheur (“Sé Lest”). Et puis on assiste en direct à l’apparition d’un blizzard d’une force incroyable sur “Sæglópur” : des guitares vrombissantes emportent tout sur leur passage. Un cortège de cordes se fraie un chemin dans l’emballement général, la sensation d’être transporté dans les cieux en moins de secondes qu’il n’en faut pour se retourner.
Ces envolées magistrales tempèrent le disque, et pourtant Sigur Ros sait installer des moments précieux, avec parfois un silence aussi fin que la chute de flocons de neige. Il est impossible de comprendre quelque chose aux propos du chanteur Jonsi Thor Birgisson, mais nul doute que la grâce qui s’échappe de cette voix intacte sur “Glósóli” (rythmé par un trio de grosses caisses !) n’a rien de l’insouciance d’un enfant de choeur. Tout comme Jeff Buckley ou les Cocteaux Twins, on ne sait pas trop comment tant de préciosité peut cohabiter avec une telle puissance, mais ce qui s’en dégage relève pratiquement du transcendantal.
Sigur Ros est la preuve que la musique extraordinaire naît d’accidents, de rencontres improbables entre des éléments ordinaires, des instruments basiques, quelques modestes musiciens sans bagage technique hors du commun, et d’une grandeur d’âme qui vaut tous les discours du monde. Est-ce que ces musiciens sont des saints ? En tout cas, merci, merci, merci*.
(*Takk, en islandais)
-Portfolio : Dans le flou de Sigur Ros
-Lire également notre chronique de Sigur Ros – () (2002)
-Le site officiel de Sigur Ros