Pour son quatrième album, la formation post-rock de Louisville revient avec un son lourd et obsédant. Comme un écho saisissant aux heures sombres que traverse l’Amérique…


Sur les terres arides du post-rock, la graine de Shipping News, plantée en 1996, est devenue une formation florissante dans la lignée de Shellac, Tortoise, Explosion In The Sky. Il faut dire que le groupe totalise, en 10 années d’existence et de tournées, quatre albums dont une poignée de EPs rassemblés dans le double et très remarqué « Three-Four », paru en 2003. Une performance à saluer bien bas quand on sait que les membres du groupe officient en même temps au sein de formations aussi prestigieuses que Rodan, June of 44 ou Rachel’s. Alors, une grande famille Shipping News ? Mieux la quintessence d’une petite communauté indépendante obéissant à ses propres canons esthétiques.

Pour ce quatrième album, Jason Noble a battu le rappel et a recruté au passage le bassiste Todd Cook (ex-Slint) qui imprime d’emblée sa patte sonore. Ont répondu présents les fidèles Jeff Mueller et Kyle Crabtree, ancien batteur intérimaire, fraîchement adoubé par ses pairs. Pour le quatuor, l’heure est à la simplicité d’un rock électrique lourd comme une enclume, épais comme la fumée qui sort d’un carter bouché. Les musiciens ont privilégié le dialogue entre leurs instruments et la composition collective, jouant aux chaises musicales quand l’envie leur prenait de se prêter les guitares et le micro. (Le batteur chante et joue de la guitare sur « Untitled w/Drums », le bassiste scande le titre « The Human Face »).

Résultat, Flies the Fields possède un son brut et implacable qui tranche avec les fioritures du précédent LP. Un disque au climat étouffant aussi, servi par une basse monolithique, des arpèges de guitares tissant des toiles d’araignée géantes, une batterie convulsive comme un coeur malade et un chant mutant qui s’amuse avec nos nerfs (« Morays or Demon »). Les titres, construits en lents crescendos retiennent leur souffle tant bien que mal, nous promènent sur la corde raide quant ce n’est pas pour éclater en un déluge sonore incontrôlable. Plages instrumentales et parties chantées se disputent la politesse à l’image de la superbe intro « Axons and Dendrites » ou de « Louven », titres pas si éloignés des longs développements de Migala, moins le côté planant.

Malgré la claustrophobie ambiante, Flies The Fields parvient comme par enchantement à s’échapper de son carcan pour nous offrir un bout de ciel. Mais, oh surprise, il ne s’agit que d’horizons dévastés figés dans la mélancolie et la crainte du prochain assaut. Ce mince espoir suffit à rendre la musique supportable et, oserais-je l’avouer, pleine de grâce sous sa noirceur. Pour l’apprécier, mieux vaut encore y foncer tête baissée, accepter de se cogner aux coins anguleux des riffs et de se faire malmener par les roulements de tambours. La traversé du corridor est longue et mouvementée mais elle vaut tous les sacrifices puisqu’au bout brille l’éclat de « Papers Lanterns », un Graal de 8 minutes 40 en forme d’apothéose qui n’est autre que la reprise d’un titre déjà présent sur Three-Four.

Après 43 minutes d’apnée à peine entrecoupée de petites goulées d’oxygène, certains ressortiront franchement essoufflés et d’autres, comme moi, n’auront qu’une idée en tête : plonger de nouveau dans ces abysses vertigineux à la beauté étrange. Un disque obsédant, vous disais-je.

-Shipping News sur Southern Records