En pleine « pocket revolution », le trio australien développe sur ce huitième album pas moins de 19 thèmes, dont une chanson avec Cat Power. Dirty Three ou la solution radicale à toute concession artistique.
Décidément ces temps-ci l’heure est aux pavés ! Entre les derniers chef-d’oeuvres de Sufjan Stevens (20 titres) Idaho (17 titres), Devendra Banhart (22 titres), Sigur Ros (plus d’une heure) et Chad Van Gaalen (16 titres)… : il semble que le dernier petit jeu en date dans le giron indé consiste à refourguer un maximum de morceaux sur ce pauvre vieux format compact disc laser. Notre digestion musicale en prend un sacré coup. Et Cinder, dernier opus de Dirty Three n’est pas la pièce la plus mince…
Aussi bien vénéré qu’ignoré, ce trio instrumental australien – composé de Warren Ellis (Violon), Mick Turner (Guitare) et Jim White (Batterie)- s’obstine depuis près de 14 ans à jouer une musique sans code barre. Sa singularité repose beaucoup sur le violoniste Warren Ellis (également membre des Bad Seeds) dont la maîtrise de l’instrument et des arrangements font ici la pluie et le beau temps. Capable de fendre le cœur par le biais d’envolées dramatiques ou bien de se muer dans des expérimentations de rock autiste, les vétérans de Melbourne ont su, bien avant les étoiles noires du label Constellation, développer une musique instrumentale possédée à base de violons. Avec un tableau de chasse de huit albums, Dirty Three a déjà exploré pas mal de genres : post-rock, noisy, et d’autres courants liés à la world (celtique, folk, country…). Nos «trois dégoûtants» ont petit à petit appris à dompter leur ardeur pour aboutir sur les deux derniers albums à une formule plus planante et dense, certes bien rodée, mais qui ne souffre d’aucun signe l’étiolement.
Cinder tente de dépoussiérer les lustres, sans vraiment changer la luminosité de l’ampoule. La rencontre avec l’ingénieur du son de Tortoise, Casey Rice, a donné l’occasion au groupe de sortir des tiroirs toute sa panoplie d’instruments acoustiques tels qu’une mandoline, un bouzouki, un alto, une cornemuse et quelques pianos… L’incursion de nouveaux sons acoustiques a dopé la créativité du groupe, posant sur bande près de 19 titres, un record pour le trio.
Bien sûr, les oreilles averties se concentreront d’abord sur le titre chanté et co-écrit par Chan « de gouttière » Marschall. Une petite révolution en soi, puisque première chanson digne de ce nom pour Dirty Three (et même si finalement le trio n’a jamais fait que ça lorsqu’il enregistrait avec Cat Power). Placé comme un centre de gravité sur la plage 10 de l’album, l’intimiste ‘‘Great Waves » n’est pourtant pas un morceau spectaculaire, surtout lorsque l’on sait de quoi est capable le quatuor depuis l’intemporel Moon Pix.
On se concentrera donc sur les 18 autres titres, la richesse des nouveaux arrangements, notamment sur l’oriental “Doris”, une explosion des sens où cette fameuse tension du trio laisse toujours sur le carreau. Mais que les fans se rassurent, Dirty Three fait toujours du Dirty Three, quelque part entre Giant Sand et le post-rock de Constellation. La formule du crescendo émotionnel est déviée, les premières écoutes peuvent laisser un sentiment de répétition avec quelques motifs qui semblent revenir en écho quelques plages plus loin. Et puis ce sentiment de redondance s’estompe, Cinder est peut-être bien l’album le plus cohérent de Dirty Thee. Sur “Cinder”, la guitare électrique monte d’un cran d’entrée, employée comme une mandoline : une mélodie s’extirpe de ce qui évoque une séance d’accordage par un orchestre avant un concerto… Bizarrement beau. “She Passed Through”, est une autre sublime répartie mélancolique où le va et vient d’archet de Warren Ellis provoque quelques sueurs.
Fidèle à ses dogmes, Dirty Three, parvient encore à creuser plus profond son art pour fournir une matière rude qu’il faudra du temps avant d’amadouer. Mais ce n’est pas Dirty Three qui doit s’adapter à nous, c’est plutôt l’inverse qui doit se produire. Quitte ou double.
-Le site de Dirty Three