Ce groupe possédé de San Fransisco pousse les limites de l’acid rock jusqu’à ses retranchements. A côté, le Brian Jonestown Massacre passe pour les Dandy Wharols, c’est dire. Ames sensibles s’abstenir.
Hormis le fait qu’il fume peut-être un peu trop d’herbe, Greg Ashley, leader des nuageux Gris Gris, est un jeune homme tout ce qu’il y de plus banal. Pourtant, il suffit de poser une oreille sur For The Season, pour comprendre que cette musique incantatoire et identitaire peut se révéler aussi dangereuse que celle du grand shaman Anton Newcombe : Les dédales sonores de Gris Gris peuvent au mieux vous galvaniser, au pire vous entraîner dans la folie suite à un mauvais trip. Gardiens d’une tradition empruntée aux champignons 60’s de l’acid rock cultivé sur la côte ouest californienne (The Seeds, The Electric Prunes), les Gris Gris -à l’instar du Brian Jonestown Massacre – ont préféré couper à travers champs plutôt que de s’enfoncer dans les embouteillages d’un rock consensuel. Interrogé lors de son passage à Paris, Greg Ashley avoue ne pas trop fréquenter ses cousins de San Fransisco : « Je connais le BJM, j’ai acheté quelques albums mais c’est assez récent à vrai dire. Un ami a été le premier batteur de ce groupe (NDLR : Brian Glaze). As-tu vu le film Dig ? Tu le vois dedans, il y a beaucoup de gens qui ont circulé dans ce groupe ! Bref, il m’a filé un cd puis m’a suggéré un ou deux albums à acheter. Mais ça s’arrête là. »
Originaire du Texas, tout comme ses autres mentors du 13th Floor Elevators, Ashley a d’abord commencé à cultiver son potager acid rock au sein du groupe qu’il a fondé, The Mirrors et avec qui il a enregistré deux albums. Une escapade en solo plus tard, le garçon a ensuite émigré vers San Fransisco il y a trois ou quatre ans pour former The Gris Gris très vite remarqués par le label Birdman Records. Leur premier album éponyme paru l’année dernière, continue d’explorer les paysages brumeux d’un rock sous amphétamines. Très vite, The Warlocks les prennent sous son aile et tous deux partent pour une tournée à travers le pays de l’Oncle Sam.
Ironiquement titré For The season, ce second opus est coincé dans une bulle espace temps, bien bloqué en plein milieu de la décade 1960. Pour aboutir à un tel décor rétro, le studio de répétition doit être une vraie caverne d’Ali Bobo : ennemi juré de Pro-Tool, seules les tables de mixage antérieures à 72 sont ici collectionnées, ainsi que pédales fuzz d’origine, amplis « vintage » et autre orgue hammond ayant servi au pire lors du rassemblement de Woodstock. Âgé tout juste de 25 ans, on imagine bien qu’Ashley n’a pas trempé dans ce genre de musique dès le berceau, son enfance étant plutôt imprégnée du biberon rock alternatif made in USA : « Jeune, j’ai appris à jouer de la guitare en écoutant les chansons de Nirvana. J’étais vraiment dans le trip Sonic Youth, les trucs très noisy avec du feedback, ce genre de groupes. J’écoutais aussi un peu de pop musique avec Leonard Cohen et Bob Dylan. » Oui, mais c’est quoi le déclic alors ? « Le premier Electric Prunes, a été le premier album psychédélique qui m’a retourné. Juste après ça, il y a eu le 13th Floor Elevators et même des trucs comme les Rolling Stones et les Beatles. Je me suis dit que c’était vraiment le genre de musique que je voulais faire». C’est ce qu’on appelle prendre quarante ans d’un seul trait. Tantôt coloré de « peinture noire » à la Stones (« Pickup Your Raygun”), « sourire » épique à la Beach Boys (“Mademoiselle of the Morning”) et autres influences flagrantes, la musique de The Gris Gris, même si profondément rétro, n’en demeure pas moins aventureuse. Gigantesque puzzle de sensations acid-rock, le groupe se permet de grands sauts dans le vide avec bien souvent le risque de ne pas retomber sur ses pattes. Mais à vrai dire, la chute ici importe peu.
Car que serait le son sans l’état d’esprit ? Pour cela, Gris Gris a concocté un menu végétarien fin gourmet avec au menu girolles et cèpes bien relevées. For The Season s’articule ainsi en deux parties : une première face chevaleresque où nos musiciens partent en croisade expérimentale, une plongée dans l’inconscient psychédélique qui s’étend sur les six premières plages du disque. Une fresque fascinante, parfois effrayante dans la lignée du premier King Crimson, et les virées interstellaires d’un Syd Barrett : « J’avais quelques idées de chansons qui ne fonctionnaient pas toutes seules. Avec le groupe, on a assemblé ces idées ensemble à la manière d’un medley alors que la deuxième partie a été travaillée de manière plus traditionnelle, avec des chansons ». Enfin, la seconde partie se veut plus «construite » -mais tout est relatif, l’essence vaudou de Gris Gris reprenant le dessus en fin de route sur le faux épilogue : “For the Season”.
Cette conception passéiste du rock pourrait prêter à sourire, mais on sait que sur le fond Greg Ashley n’a pas tort : « Aujourd’hui, tu utilises des ordinateurs qui contrôlent des choses que tu n’aurais peut-être pas pu manipuler avec un vieil équipement ou bien afin de t’apporter un meilleur son. Mais certaines choses ne changeront jamais. Les vieux équipements t’apportent cette perte de contrôle qui fait toute la différence dans un disque ». La notion de risque en somme, facteur déterminant dans un disque rock. Le règne de Big Brother peut alors commencer, Gris Gris sera notre mantra.
-Le site de Birdman Records et sa page concacré à Gris Gris