Que vous êtes joli(e) !
que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois.
Les plus assidus à l’école auront reconnu cet extrait de La Fontaine. Tout ça pour dire – comme la publicité d’un certain yaourt – que ce que dégage Fiona Apple à l’extérieur se voit à l’intérieur (ou le contraire, enfin, bref, c’est cela oui…).
Rappel : Fiona Apple (ses deux prénoms) a été remarquée très jeune, à 18 ans. On y voyait déjà l’égérie de Rickie Lee Jones… A 18 ans! Ayant connu une enfance New-Yorkaise difficile (en gros, elle était traitée comme le vilain petit canard par ses camarades à l’école), elle pratique déjà la fameuse résilience… si chère à Boris Cyrulnik : pas dans la peinture, mais dans l’écriture et la musique – elle joue au piano dès huit ans et reçoit une éducation très jazz par sa mère. Après quelques années, elle rejoint son père à LA, qui l’encouragera à enregistrer ce qu’elle joue toute seule dans son coin, histoire d’en faire profiter tout le monde. La dite démo atterrira comme par miracle chez Andrew Slater, le manager de Lenny Kravitz, qui demande qu’on le pince pour savoir s’il ne s’agit pas d’une sirène… Puis, de fil en aiguille, elle est signée chez Sony et conquiert le coeur de tout un chacun. C’est avec l’aide du légendaire Van Dyke Parks (Beach Boys) que Tidal, son premier album, la propulse dans l’arène de la célébrité. Et c’est le clip de « Criminal », controversé et sujet à maintes polémiques – soi-disant le clip donnait à l’anorexie un trop beau rôle – qui la fera connaître de tous, alors qu’il sera interdit sur les chaînes comme MTV…
Et bien, les années ne font que polir cette charmante demoiselle, et les pressions de toute sorte ne semblent pas avoir de plus prise sur elle. Ses albums restent toujours aussi enchanteurs, ses chansons de petits bijoux enjolivés, lorgnant entre le modus operandi du jazz et de la musique classique (comment ne pas voir une relation entre son éducation au piano et la « Waltz » si proche des valses et autres polka de Chopin?). Il est difficile de classer Fiona dans une catégorie (pourquoi le faire d’ailleurs?), à part celle de « on fond comme un bleu ». On a une sérieuse envie d’aller la voir, de la consoler des mille et un soucis qui la tourmentent tant (tout en éprouvant une gêne impudique quand on sait qu’elle a été violée), de cette incompréhension et de cette bêtise brutale qui l’entourent. En attendant, ces derniers semblent avoir au moins un bénéfice ostentatoire : faire éclater son talent comme une gifle à la figure.
Jon Brion (Aimee Mann) ayant suivi la porte de sortie, la production est assurée par Mike Elizondo (Ice Cube, Dr Dree, Snoop Dogg, Eminem, Busta Rhymes : enfin, toute la crème hip hop en somme). Quand on sait que ces producteurs (Dr Dre, Pharrell Williams, Jay Z ) ont le vent en poupe et sont considérés comme les génies de ce début de millénaire, on comprend certaines choses, notamment que la production soit aussi léchée. Côté invités, surtout derrière les fûts, on ne s’étonnera point de trouver un Ahmir ?est love Thompson (A tribe called quest) ici ou le batteur Abe Laboriel Jr (Meshell ndegeocello, Paul Mc Cartney…) là.
La voix de la belle aux yeux clairs est toujours aussi envoûtante. On va même jusqu’à penser à Camille (ou le contraire) sur « Extraordinary machine », dans cette alternance voix grave et voix aiguë. On a aussi droit à un joli crescendo sur « Not about love « . La plupart du temps cependant, sa voix évoque les grandes du jazz, voire de la soul. On peut même penser, in femina, bien sûr, à ce bon Jeff Buckley.
Côté paroles, la belle pomme est toujours soigneuse avec des textes qui sont loin des sempiternels et ennuyeux ‘I love you, you love me ». En gros, on tourne toujours autour de hésitations et des méandres de la psychologie féminine, mais pas seulement, universelle aussi pour tout un chacun qui vit en couple et qui est confronté aux exigences féminines en la matière. « I opened my eyes while you were kissing me once, more than once, you looked as sincere as a dog ». Des paroles plus poignantes aussi : « What you did to me made me see myself something awful (…), my piece and quite was stolen from me ».
Ce disque tourne en boucle et ne lasse pas. Que dire de plus ? « Qu’on n’est jamais pris pour une pomme avec les disques de Fiona ? ».
-Le site de Fiona Apple