«Â Too many teardrops for one heart » chantait Question Mark & The Mysterians sur l‘emblématique «Â 96 Tears«Â . D’évidence, Minus Story porté par ce slogan s’est assigné une mission tant leurs chansons sont de véritables exécutoires émotionnels, à la fois éprouvants et envoûtants.
Nous avions rendez-vous avec Minus Story il y a un an et demi via son remarquable troisième opus The Captain Is Dead’, ‘Let The Drum Corpse Dance!. Notre palais avait été troublé par une saveur singulière, aussi inexplicable que son titre, d’où émergeait du lot un morceau formidable, le bouleversant “Open Your Eyes”. Et puis plus rien, le disque a littéralement plongé dans les eaux sombres de l’anonymat, certains proches qui ont écouté l’album ne s’en souviennent même plus (authentique) ! Par chance, nos « histoires minuscules » ont tenu le coup, soutenues par des amis tel que Okkervil River, et quelques autres qui connaissent la valeur des bonnes choses…
Un an et demi plus tard nous n’avons toujours pas fait le tour de l’énigme Minus Story, et ce nouvel album ne va pas arranger les choses. C’est qu’on serait bien embarrassé de décrire cette musique à un ami (celui qui est amnésique) tellement celle-ci peut se révéler absorbante et sujete à débats. Ce que l’on retient à peu de chose près, c’est que ce quintet originaire d’un coin paumé du Missouri, depuis peu basé dans le Kansas, joue une musique de plouc : ni vraiment pop ou rock, ni country ou folk mais plutôt des ballades extrêmement crues, bancales et pourtant d’une richesse incroyable.
En grand fan naïf et invétéré de pop musique 60’s, Minus Story fantasme d’écrire des symphonies grandioses dignes des Zombies ou Left Banke, mais son frontman Jordan Geiger n’est pas assez discipliné pour atteindre une telle magnificence. A la place, son grand bazar mélodique lorgne plutôt vers l’exaltation maladroite d’un Neutral Milk Hotel, avec une orchestration plus fournie. Les membres du groupe ironisent en appelant ceci de la «Countricore»,  ou encore «wall of Crap» (allusion au Wall of Sound, production péplum de Phil Spector) mais ce «mur du son pourri» mérite meilleur traitement. Car à défaut de moyens techniques à la Howard Hawks et d‘un certain sens de la grandiloquence, Minus Story pourrait coller derrière son train un orchestre symphonique de 250 musiciens, leurs chansons sonneraient toujours aussi inachevées et touchantes. Ce qui est un compliment.
Un peu plus raclé que The Captain is dead…, ce quatrième opus apporte toujours son lot de sensations à contre-pied, passant de ballades dépressives à des refrains antagonistes, tellement exaltés que le diapason en tremble toujours – et pas vraiment juste d’ailleurs. Au-delà de touches de piano noircies par l’émotion et une bouteille de vin en guise de bottleneck, les instruments qui peuvent paraître inertes apportent un souffle incroyable, comme portés par ces mélodies malades, tel qu’un xylophone, une Wood box, ou tout simplement des clappements de mains… Cette ascèse renvoie aux premiers singles bricolés de Grandaddy (“To the Ones You Haunted”), à l’ambition sabordée d‘un Olivia Tremor Control ou bien comme si Arab Strap était contraint par des terroristes de composer des chansons positives. Et puis de temps à autre se détache une mélodie insurpassable comme sur “Little Wet Head”, on compte alors les morts foudroyés par leurs coeurs alors trop malmenés par les émotions.
Le secret de Minus Story repose peut-être sur le fait que nos énergumènes n’hésitent pas à salir leur decorum afin obtenir un teint verdâtre : le malaise est bien palpable dans cette musique, mais jamais trop pesant, car contrebalancé par le chant de Jordan Geiger, limite enthousiaste par moment. La verve qui habite cette âme est aussi envoûtée que cette petite puce de Régine Chassagne (Arcade Fire), ce qui d’ailleurs provoque quelques remous lorsque la trame instrumentale dérive vers une tristesse insupportable.
Geiger cultive un plaisir malsain à écrire des textes teintés d’existentialisme abstrait (les petits dessins morbides du livret sont aussi de lui), mais ses histoires mises bout à bout et qui constituent No Rest For Ghosts sont définitivement grandes, très grandes.
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