Cités dans la cuvée 2005 par plusieurs chroniqueurs (le mordant Alligator), The National est une formation américaine qui, malgré des prestations époustoufflantes et des albums bourrés d’émotion, voire de motion, reste confinée injustement dans l’ombre. Pour aller au bout de sa passion d’auditeur, quoi de mieux que de rencontrer un groupe dans lequel on entrevoit et sent les mêmes valeurs ? Nous les rencontrons pour la deuxième fois et, histoire de confirmer cette première impression, nous leur avons concocté un blind test.
Alors que les excellents Film School foulent la scène pour la première partie, c’est dans les loges du Botanique que nous rencontrons Matt Berninger, le chanteur enflammé du groupe, ainsi que son batteur Bryan Devendorf. Les autres membres du groupe, mis à part les jumeaux Dessner, sont tous présents mais ne participperont que passivement à l’entretien. En somme, une belle bande de potes très authentiques.
Editors : « Lights »
Matt Berninger : Interpol ?
Bryan Devendorf : non, je sais, c’est Editors !
Matt Berninger : Je n’ai pas écouté ce disque mais les gens me disent qu’il est vraiment bon.
Bryan Devendorf : C’est un groupe comme tous les autres. Je l’ai entendu au pressing, et je me suis dit que c’était pas mal, mais pas inoubliable non plus. Ce n’est pas extraordinaire quoi, mais en faisant autre chose ça se laisse écouter. C’est un bon groupe, les chansons sont pas mal, la production est bonne… mais…
Matt Berninger : Moi je ne l’ai pas entendu, et tu ne me laisses pas l’écouter maintenant non plus! (me regardant ) J’adore ! (rires) le regardant ensuite « I love IT ! » En plus ils ont dit de chouettes trucs sur nous alors… Alors, j’irai acheter leur disque !
The Fall : « Janet, Johnny + James »
Matt Berninger : Quoi que ce soit c’est très bon ! (après un moment) Je donne ma langue au chat.
Pinkushion : C’est The Fall.
Matt Berninger : C’est The Fall ? Ah merde ! J’ai un album d’eux en plus. J’ai commencé à écouter The Fall seulement l’année dernière. J’ai Hex Enduction Hour. Je l’ai énormément écouté. Et je l’aime beaucoup. C’est unique, car c’est toujours sur le fil du rasoir. Mais je précise, je ne connais vraiment pas bien leur catalogue. Si je ne me trompe pas, ils ont fait trente albums ou dans ces zones-là non ? Cette façon de faire, à savoir sortir chaque année un ou deux albums… je suis naïf en la matière, tout en étant admiratif de leur catalogue. Mais tu n’es pas le premier à nous rapprocher de Mark E.Smith. Je prends ça comme un compliment.
Modest Mouse : « Bukowski »
Matt Berninger : J’ai déjà entendu ce truc-là. C’est récent non ?
Pinkushion : Oui, 2004. C’est Modest Mouse.
Matt Berninger : Modest Mouse est un groupe auquel je ne me suis jamais vraiment intéressé. Je me rappelle que la première fois que j’ai entendu un de leurs albums ça me rappelait trop Built to Spill. Je n’étais donc pas du tout excité par le truc. Tout simplement parce que ça sonnait comme quelque chose que je connaissais déjà, sans adjuvant ou innovation. Je ne m’y suis du coup jamais intéressé… Mais ne l’écris pas sinon on va se faire plein d’ennemis ! (rires)
Tindersticks : « Another night in »
Bryan Devendorf : Tindersticks !
Matt Berninger : Oui, Tindersticks… La manière dont Stuart Staples chante se rapproche probablement de la mienne. On ne s’est intéressé à eux qu’après avoir entendu nous dire que nos musiques étaient très semblables. Le premier disque que j’ai acheté, et particulièrement certaines de ses chansons (je ne sais plus lesquelles) m’ont en effet évoqué notre univers. Je crois qu’il y a un âne sur la pochette (ndlr : il s’agit de Can our love…). Depuis, nous écoutons et apprécions énormément ce groupe. Je comprends aussi la connexion qu’on fait entre nous. Il y a cette ambivalence douceur/violence permanente. Quelque chose dans les paroles aussi.
The Smiths : « London »
Bryan Devendorf : les Smiths !
Matt Berninger : (le regardant) Putain t’es fort ! C’est un crack dans le reconnaissance des chansons. Les Smiths furent le premier groupe, avec les Violent Femmes, dont je suis tombé littéralement amoureux. Ils m’ont fait me sentir mieux, en tant qu’ado. Au moment capital où se forme ton identité, ils furent importants dans cette évolution. A l’époque, les autres kids étaient dans des trips à la Van Halen, ACDC… Moi, c’était l’album The queen is dead ! C’était pour moi la première fois que la musique rock était plus qu’un bête divertissement. Plus émotionnel surtout. Jeune, The Smiths était le groupe qui remettait tout ça en évidence et montrait ce à quoi le rock pouvait ressembler.
Penthouse : « La grotte d’amour »
Bryan Devendorf : Penthouse ?
Pinkushion : (étonné qu’il trouve) Oui !
Bryan Devendorf : Wouah je suis une bête putain ! Je connais pas des masses mais ils ont un son tellement spécifique… J’aime bien en plus.
Pinkushion : Je l’ai choisi pour la folie qui s’en dégage, en rapport avec ce que tu dégages en concert…
Matt Berninger : (incrédule, regardant Bryan) : jamais entendu parler de ce groupe…
Tom Waits : « Green grass »
Matt Berninger : (avant qu’il entende la voix) Tom Waits ?
Bryan Devendorf : Ouais bravo !
Matt Berninger : C’est quel disque celui-ci ?
Pinkushion : Le dernier.
Matt Berninger : Encore une fois… je n’ai pas le dernier… C’est Real Gone le dernier ? Ah, je l’ai alors. J’adore Tom Waits, et ce depuis très longtemps. Mais… j’ai un peu perdu le fil en fait avec les deux derniers albums : le double-là, ainsi que celui-ci. Et je dois dire que j’ai perdu l’excitation que j’avais auparavant. J’ai trouvé qu’il se répétait, avec toujours ses mêmes personnages et histoires qui vont avec. C’est ce qu’il a toujours fait en fait, et je crains m’en être lassé. Toujours ce carnaval de personnages sombres, étranges…Je trouve qu’il use cette corde depuis trop longtemps. Musicalement, il est encore intéressant, c’est clair. Rien ne sonne comme Bone machine, par exemple. Quel disque ! Je me rappelle quand ça passait sur la radio du campus (college radio, terme générique aux USA), c’était sensationnel. Je crois même que c’est le premier album que j’ai entendu de lui. The early years aussi. J’aimais beaucoup ses paroles en fait. Ces superbes tournures de phrase, ces textures, tous ces détails ridicules dans les paroles. J’ai été fan très longtemps, mais je souhaiterais qu’il écrive sur sa vraie vie. Son monde féerique je ne m’en sens pas du tout proche. Ceci dit, je fais le difficile, car ses albums sont énormes, et pour quelqu’un qui découvre Tom Waits, c’est grandiose.
Bryan Devendorf : J’aime bien Raindogs.
Matt Berninger : Oui, Raindogs changeait déjà un peu. On ne savait jamais avec quoi il allait venir ensuite. Il est devenu plus prévisible qu’il ne l’a jamais été en fait. J’aimerais à nouveau l’aimer autant qu’avant . Real gone ne l’a pas fait, c’est tout, j’étais plutôt déçu. Je vais me faire plein d’ennemis !
I am Kloot : « Astray »
Pinkushion : Vous avez joué avec eux cette année ici même, au Botanique.
Bryan Devendorf : I am kloot ? Ah oui, nous avons joué avec eux. Je n’ai, par contre, pas écouté leur album. Je me rappelle d’eux. Ils étaient très cool, et leur set avec cette ambiance intimiste, j’avais beaucoup aimé. Il s’en dégageait une ambiance très spéciale.
Matt Berninger : Une question : est-ce que cette interview va être écrite ou …
Pinkushion : Oui, écrite.
Matt Berninger : Ah, ok ! (soulagé, rires)
Pinkushion : Pourquoi posez-vous tous cette question en plein mileu ? (rires)
Therapy ? : « God kicks »
Pinkushion : Vous n’allez jamais trouver car c’est une colle! (au batteur) Même toi !Ils étaient énormes, ils sont irlandais. C’est pas vraiment leur terrain de prédilection ce morceau par contre, mais il évoque votre univers je trouve.
Matt Berninger : Les Pogues ?
Pinkushion : Non. Ils étaient vraiment très populaires, avec passage sur MTV et tout.
Bryan Devendorf : U2 (rires)
Pinkushion : J’ai dit, ils étaient… (rires)
Bryan Devendorf : Van Morrison ?
Pinkushion : Ils existent toujours, égrainent tous les festivals en été. Un groupe punk/métal en fait. C’est Therapy? !( aucune réaction)
Echo & The Bunnymen : « In the margins »
Bryan Devendorf : U2 ?
Pinkushion : Certains pensent qu’ils auraient pu devenir U2 oui, mais ce n’est pas eux.
Bryan Devendorf : C’est Echo ? ça a l’air bon ce titre. C’est le dernier ?
Pinkushion : Oui, le dernier album.
Matt Berninger : J’avais un album d’eux , où on les voit tous marcher sur la pochette. (ndlr : Heaven up here). Mais on peut pas dire que ce fut un groupe pour lequel j’étais obsédé. Je ne m’y suis jamais intéressé en fait.
Bryan Devendorf : Je me rappelle d’un type qui se disait être leur batteur me dire qu’il nous trouvait bien…. Mais je ne l’ai pas cru (rires).
Matt Berninger : Tu choisis de le croire.
Interpol : « A time to be so small »
Bryan Devendorf : Interpol.
Pinkushion : Je me suis laissé dire que vous étiez amis ?
Bryan Devendorf : Avec le chanteur.
Matt Berninger : Oui, eh bien nous aimons leurs deux disques. Ce n’est par contre vraiment pas une influence. On nous rapproche parfois car nous avons enregistré avec le même type, Peter Katis. La différence entre eux et nous, c’est que eux arrivent à en vivre, à faire carrière, pas nous. On aime bien mais on ne leur ressemble pas.
Pinkushion : Non, mais là n’était pas mon propos. Ils puisent dans les années 80, ce qui n’est pas votre cas.
Matt Berninger : Moi je dirais qu’Interpol, dans ce que l’on appelle le pop rock, sont un peu plus abondants dans la noirceur.
Bryan Devendorf : Plus misérables aussi (rires).
Matt Berninger : Ils sont un des groupes les plus noirs de New York.
U2 : « Crumbs from your table »
Bryan Devendorf : U2 ! J’adore ! C’est un de mes groupes préférés, voire le seul.
Pinkushion : Que pensez-vous de leur évolution récente, de leur dernier album ?
Bryan Devendorf : Je trouve qu’ils sont encore très bons.
Pinkushion : Quel est pour vous le meilleur album ? The Joshua tree ?
Matt Berninger : Oui, probablement.
Bryan Devendorf : Tout, moi je ne fais pas la différence. C’est un super groupe, point barre.
Matt Berninger : La gloire de The Joshua Tree, avec cette atmosphère et ce son énorme, c’était…Tout le monde a fini par craquer.
Pinkushion : Ce fut leur plus grand succès aux Etats-unis d’ailleurs
Matt Berninger : Le succès fut immense aux USA, c’est clair.
Bryan Devendorf : Je crois même que c’était le plus grand disque des années 80.
Matt Berninger : Ce qui est fou avec U2, par rapport à plein d’autres groupes, c’est qu’ils ne trichent pas. On sait ce qu’ils sont, qui ils sont. Il y a une raison à ce que ce soit le plus grand groupe mondial. J’en suis d’ailleurs ravi, je les ai toujours trouvé extraordinaires. Parfois, on les voit jouer un certain rôle, et on se demande où est l’honnêteté là-dedans. En fait, le problème c’est qu’on est tellement entourés de gens qui font semblant que les authentiques on leur fait des procès d’intention… ben justement, ils sont restés eux-mêmes, ils ne jouent pas.
Arrivent alors Bryce Dessner et sa copine française, avec bouteille de whisky et bières…
Pinkushion : Si j’avais du choisir de la musique classique, qu’aurais-je dû choisir ?
Bryce Dessner : Arvo Part ! J’adore ! Merde, pour une fois qu’une interview avait l’air vraiment chouette, j’arrive trop tard…