Fringué en costume de concertiste, Morrissey voudrait nous faire croire que son dernier méfait discographique fait déjà figure de « classique ». Cela aurait pu, si quelques faiblesses ne s’y étaient pas regrettablement immiscées.


Irrécupérable. On avait pourtant juré de ne plus se laisser berner… 11 avril 2006, nous y voilà de nouveau, tenant fébrilement un ticket de concert entre les mains. Ce soir là, la façade de l’Olympia affiche son nom en grandes lettres illuminées des célèbres néons rouges. Pour la seconde fois, le pape de l’indie-pop, Morrissey, vient déverser son spleen maniéré dans la salle mythique des grands boulevards parisiens. Déjà la première fois, en 2002, l’euphorie provoquée par sa libération (il fut kidnappé voilà sept ans par un gang mexicain sur la côte ouest californienne) s’était muée en semi-déception sur scène. Après ces retrouvailles (voir chronique Live at Earl’s Court), le dernier métro nous emporta, accompagné d’un étrange sentiment de frustration. Et cette fois encore, l’agacement nous prit par la gorge.

Retour en 2006. L’illustre porte parole de la révolution des glaïeuls s’égosille de mieux en mieux (dieu soit loué, il a laissé de côté ses roucoulements intempestifs). Le charisme intact et le discours généreux, Stephen Patrick Morrissey nous a réservé quelques belles surprises datant de l’époque néolithique (“Still Ill”, un “Girlfriend in a Coma” dantesque). Tapi sur le coin de la scène, Boz Boorer fournit quant à lui le minimum syndical. Le volume de sa guitare en sourdine, le fidèle préfère se reposer désormais sur les épaules de la nouvelle recrue Jesse Tobias. Le groupe – remanié avec deux nouveaux membres – joue très fort et avec application. Mais suffisait-il de monter le volume de la sono pour remporter la partie ?

Celui qui fut l’emblématique leader des Smiths pourrait aisément piocher dans son répertoire et y exhumer une pelletée de classiques, carrière solo comprise, les fans se prosterneraient devant lui sans sommation. Mais la prestation privilégie ici la nouvelle audience acquise depuis You Are The Quarry. Le problème réside dans le fait que ce cru 2006 n’est définitivement pas à la hauteur. Et le vieil adage se confirme : « on ne triche pas sur scène ». Alors que le temps commence à se faire long, on se distrait en établissant des statistiques : 10 des 18 morceaux interprétés sont issus des deux derniers albums. Soit… Le choix reste d’ailleurs assez incohérent : pourquoi, par exemple, avoir omis l’excellent “The Father Who Must Be Killed” pour lui préférer à la place d’autres ballades relativement plus anecdotiques ? Même le titre “Trouble Loves Me”, du maladroit Maladjusted semble mille fois plus percutant que les dernières livraisons. Derrière le micro, le dandy Morrissey a beau lancer quelques piques acerbes, jeter ses chemises de scène dans la foule, le numéro du « Sacha Show » (hommage lancé par Mozzer à Sacha Distel) affiche une sérieuses baisse de régime, plombé malheureusement par une set-list définitivement inconsistante. L’Olympia ne réussit pas à Morrissey : il manque toujours quelque chose pour que la fête soit totale.

Ringleaders Of The Tormentors inspire le même sentiment mitigé. Les choses s’annonçaient au départ plutôt de bonne augure avec la réquisition de Tony Visconti (David Bowie, T Rex) sorti de sa pré-retraite. La production tout en muscles de You Are The Quarry pour amadouer les bourrins (certains bigleux y ont même vu l’album de l’année…), méritait une sérieuse remise sur le droit chemin.

Le choix de Visconti est judicieux et même inespéré, Morrissey n’ayant jamais caché son admiration pour ce producteur crucial des années 70. L’obsession des Smiths était telle que leur symbolique “Panic” restitue note pour note l’intro de “Metal Guru” de Marc Bolan. Et cette fringante collaboration produit quelques étincelles : la production est ENORME. D’entrée, cela tonne sur le puissant “I Will See You in Far off Places”, dominé par un motif oriental. Les accords binaires rock, toujours aussi prépondérants, ont une saveur nettement plus digeste que sur la soupe précédente. Comparé à l’immonde Jerry Finn, c’est autre chose ! Visconti n’a pas son pareil pour élever les refrains fédérateurs et donner une dimension spectorienne au rock (“You Have Killed Me”, “The Father Who Must Be Killed”, « The Youngest Was the Most Loved »). Le summum de cette superproduction culmine sur une ballade immense, “Dear God Please Help Me” (juste retour des choses “Après Satan Reject My soul”), orchestrée par il maestro Ennio Morricone en personne.

Et ce n’est pas tout, il y a aussi du remue-ménage du côté de la prose : retenue depuis trop longtemps, la libido de Morrissey a finalement explosé. Qu’il est loin l’idole mancunien qui avait transcendé son abstinence et sa timidité maladive en atouts formidables. A 47 ans, Morrissey déverse des textes salaces avec assurance, remplis d’humour corrosif, qui mériteraient la mention Explicit Lyrics réservée à la tranche « trash » du hip-hop. Les désormais fameux “You Have Killed Me” et “Dear God Please Help Me » mériteraient une analyse sexologique approfondie : « I entered nothing, And Nothing Entered Me, Til You Came With The Key, And You Did Your Best… ». Shocking ! La reine Elisabeth II doit être dans tous ses états.

Mais, mais… – et oui, il y a un « mais ». Morrissey doit maintenant faire face à un nouvel obstacle conséquent : la source de bonnes chansons livrées par ses hommes de main commence à se tarir, et de manière inquiétante. Arrivé à peine à la moitié du disque, Ringleaders Of The Tormentors s’essouffle déjà. Du côté de ses compositeurs, c’est la zizanie : Alan Whyte signe la moitié de l’album (d’où s’extirpent trois titres notables) mais ne veut plus tourner, tandis que le phénomène inverse se produit chez Boz Boorer, totalement absent des crédits de compositeur. Le nouveau protégé Jesse Tobias tente de recoller les morceaux, mais hormis le single “You Have Killed Me”, son écriture manque franchement de panache. Du coup, You Are The Quarry que l’on trouvait un peu fade, ironie du sort, semble plus cohérent. Désormais heureux et amoureux (bien que la définition de l’amour par Morrissey demeure complexe), le dandy récemment romain livre donc un disque en demi-teinte ne parvenant à réitérer qu’à moitié le temps béni de Vauxhall & I et Viva Hate.

– Le site officiel de Morrissey