Troisième année que, pour des raisons stratégiques, les Nuits Botanique précèdent la saison des festivals. Pour la première fois, ce changement de dates semble porter ses fruits tellement l’affiche était de qualité. Il y a même eu des soirs où des choix devaient s’opérer…


Pour les lecteurs français de ce site, Le Botanique est le Centre Culturel de la Communauté Française de Belgique. on passe volontiers sous silence sa véritable appellation qui requiert une bonne compréhension du système fédéral belge. Comme son nom l’indique, ce temple aux grandes serres abritait autrefois des jardins botaniques, mais depuis plus de vingt ans, il est dédié à la culture et organise moult concerts.

Voilà 12 ans que le Botanique organise ses Nuits. A l’origine, elles avaient lieu en septembre, mais depuis 3 ans, c’est désormais au début du mois de mai qu’elles rythment les nuits bruxelloises et font figure de Printemps de Bourges belge. La raison de ce changement de calendrier est stratégique : il est plus facile d’attraper les artistes avant les festivals qu’après.

Cette année, Les Nuits s’étalaient sur plus d’une semaine et ont attiré une belle brochette d’artistes répartis sur 5 salles. Hélas, pour des raisons logistiques évidentes, on regrettera l’inexistence d’un pass. Chaque soir, il fallait donc choisir et, parfois, faire certains sacrifices.

Samedi 29/06

Les Nuits proposent ici la seule soirée où le spectateur sera libre de se balader d’une salle à l’autre. Dans l’Orangerie, Archie Bronson Outfit impressionne avec son rock’n’roll incisif et crépusculaire, hanté par un saxophone lancinant et une batterie martiale. Au même moment, dans la Rotonde, l’insaisissable Troy Von Balthazar fait découvrir son petit univers. Seul sur scène, il s’amuse à faire des pirouettes et joue sur des petits loops qu’il agrémente de légères secousses électriques. Dans le Chapiteau, Marc Ribot, guitariste itinérant que l’on croise souvent chez Tom Waits et John Zorn, suit avec un free jazz où sa guitare folle fait office de saxophone. Pendant ce temps, alors que The Spinto Band égaye le public de l’Orangerie avec son répétitif pop-rock juvénile et son look de nouveau Pavement, Okkervill River laisse le public béât d’admiration, avec un set frisant la perfection. Il alterne moments calmes où l’on en retient presque son souffle et moments plus énervés où batterie et guitares s’envolent. Stuart A. Stapples clôture cette soirée en présentant les nouveaux morceaux de son cru dans le Chapiteau. C’est beaucoup plus timoré et moins riche que le travail qu’il accomplit avec les Tindersticks. Dans ses meilleurs moments, on pense aux titres les plus faibles de Calexico. Cependant, le charme de cette voix si particulière opère et on se laisse prendre facilement au jeu .

Dimanche 30/06

Le big band belge Milleniums chauffe le Chapiteau avec sa grande fanfare hybride pratiquant une musique festive allant du ska à la musique de films des années 70. DAAU suit et épate. C’est également un groupe belge qui, lui, est un habitué des festivals. Il s’agit d’une formation classique composée d’un violoniste, un violoncelliste, un accordéoniste, une clarinettiste et un batteur. Les prestations du groupe manquent souvent de cohérence et sont parfois trop élitistes. Ici, il a l’intelligence de bien cadrer son set et propose une musique énergique, alternant jazz de films noirs mâtiné de tango, et moments plus rock. C’est imparable et le public en redemande. Après cela, les Norvégiens de Jaga Jazzist et leur post-electro-rock-jazz n’ont plus qu’à paraître pour enflammer la foule. Le premier tiers du set est cependant miné par un son informe. On regrette également la configuration scénique qui contient trop les assauts et les mouvements de la dizaine de membres qui compose le groupe. Heureusement, leur générosité légendaire prend le dessus et le batteur, qui joue pour l’occasion les parfaits petits maîtres de cérémonie, brise rapidement la glace.

Pendant ce temps à l’Orangerie, Dosh intéresse en construisant ses morceaux par accumulation progressive d’enregistrements sonores effectués sur scène, que ce soit à partir de ses bruits de bouche ou des applaudissements du public. Le concept montre parfois ses limites, mais est néanmoins plaisant à écouter. Avec son violon, ses sifflotements et ses quelques coups de guitare électrique,Andrew Bird emporte tous les suffrages en s’amusant sans cesse à réinventer les mélodies de son répertoire, alternant morceaux plutôt joyeux et autres plus dépouillés, limites graves, mais avec toujours ce brin de folie qui captive. Après une telle prestation, Radar Bros fait bailler l’assemblée accumulant chanson plate sur chanson plate, et Gravenhurst peine à donner du relief à son répertoire en jouant sur du matériel qu’on lui a prêté, le sien n’étant pas encore arrivé.

Mardi 2/05

Le cirque Dionysos passe par Bruxelles dans la grande salle du Cirque Royal qui a rarement aussi bien porté son nom. Histoire de marquer le coup, la troupe est accompagnée par un orchestre. Le son exécrable, étouffant complètement l’exercice, empêche de déceler une différence avec les prestations habituelles. Mis à part ce fâcheux détail technique, Dionysos est fidèle à sa réputation de valeur sûre sur scène. Mathias Malzieu est aussi intenable et sautillant qu’à l’accoutumée. La musique est toujours cet étrange folk fantasmagorique entrecoupé de tonitruantes ritournelles punk-rock joyeusement juvénile. “Juvénile” est vraiment le meilleur mot pour qualifier Dyonisos. Un concert de Dionysos est à prendre comme une cure de jouvence. Pour comprendre le phénomène, il suffit de voir ce public d’une moyenne d’âge de 25-30 ans, retrouver les vertus d’un bon pogo! C’est surréaliste ! L’ambiance est hystérique et phénoménale. Et lorsque durant le final, Mathias Malzieu plonge dans le public et traverse toute la salle, la foule définitement acquis à sa cause se prosterne devant lui. Malzieu for President!

Mercredi 3/05

C’est une soirée exclusivement francophone que propose la Rotonde ce soir. On démarre avec le Belge Samir Barris, batteur de feu Melon Galia, accompagné d’une charmante demoiselle de chez Melon Galia aussi (chœurs et clarinette), d’un batteur hirsute (mais ne le sont-ils pas tous ?) et du contrebassiste Nicholas Yates, avec qui il a l’habitude de tourner en duo. Le charme de ses chansons qui parlent à tout un chacun finira par séduire tout le public qui, comme il est de rigueur avec des sets courts (35 minutes), s’emballe au moment même où on sonne la fin de la récré.
C’est ensuite à une surprenante, mais ô combien excellente performance qu’on a droit avec Claire Diterzi, qui outre des qualités vocales indéniables, a le don du spectacle, de l’émotion brute, du sifflotement, du roulage des « r » à la Dalida et surtout d’un jeu de guitare absolument époustouflant. Elle est accompagnée par un homme à tout faire (sampling, programmation, boîtes à rythmes, batterie). Quelque part entre Camille, Emilie Simon et Cocorosie, le tout saupoudré de blues et de flamenco. Wouaouh! Enfin, Joseph D’Anvers livrera un concert très électrique, donnant une nouvelle vie à ses valses, reggae et autres jazz-rock enflammés. Sa voix haut perchée, son jeu de guitare précis et énervé, son harmonica : tout concourt à apprécier le set, et ce malgré l’absence de Miossec, qui, on pouvait l’espérer, ayant choisi Bruxelles pour domicile, aurait pu le temps d’un « La vie est une putain », sauter sur scène et crier sa rage rock.

Dans le Chapiteau, seul avec sa guitare sèche, José Gonzalez s’applique à reproduire sagement son album. Seules une reprise de Kylie Minogue et une magnifique relecture de « Teardrop » de Massive Attack parviennent à briser la monotonie de ce set sans surprise. Venus suit. Si les deux précédentes fois que je les avais vus, le groupe faisait peine à voir tellement il sonnait prétentieux, ici il abandonne enfin ses tics d’auteur maudit et joue libéré. Son rock sombre fait mouche. Architecture In Helsinki termine la soirée dans une cacophonie revendiquée. Le look improbable du groupe en fait soit des échappés d’un atelier protégé créatif, soit des nostalgiques de l’époque où EMF enflammait les dance-floors avec son chanteur portant sa casquette de travers. Le set sent bon la relecture bon marché de son savant collage electro-pop-rock. La sauce ne prend pas tellement, AIH semble verser dans la fumisterie et se foutre royalement de son public.

Plus loin au Cirque Royal, CocoRosie déconcerte toujours autant en se cachant derrière des déguisements outranciers et en accompagnant leurs ballades séduisantes, habitées et excentriques de rappeurs francophones pas très doués. Silver Mount Zion dégoûte ou conquit avec ses morceaux dignes d’un chemin de croix et sa chorale croyant dur comme fer en la beauté, l’égalité et la réalisation des plus beaux rêves.

Merci également à Caroline et Delphine pour leur contribution à ce compte-rendu

– Le site du Botanique
– Lire la chronique de Troy von Balthazar
– Lire la chronique de Nice and Nicely Done de The Spinto Band
– Lire la chronique de Black Sheep Boy de Okkervil River
– Lire la chronique de Lucky dog recordings 03-04 de Stuart A. Staples
– Lire la chronique de The fallen Leaf Pages de Radar Bros
– Lire la chronique de What we Must de Jaga Jazzist
– Lire la chronique de Monster In Love de Dionysos
– Lire la chronique de Les choses en face de Joseph d’Anvers
– Lire la chronique de Veneer de José Gonzalez
– Lire la chronique de Noah’s ark de CocoRosie
– Lire la chronique de This is our Punk-Rock de Silver Mount Zion