La presse écrite musicale est riche en enseignements. On y trouve de bons conseils pour se vider les poches, mais aussi, entre les lignes, matière à réflexion. Il y a quelques temps, Jackie Berroyer écrivait dans Vibrations (n°78) quelques mots fort drôles et instructifs, comme à son habitude, sur la manière de recevoir l’obole critique : » Le critique, le gars du journal, est là pour vous orienter. Il vous dit que tel disque est bon. Mettons que vous l’achetiez et que vous le trouviez pas si bien au premier abord : ne vous faîtes pas confiance. C’est le moment de manquer de confiance en vous (…) Dites-vous plutôt : je dois me tromper puisqu’il me dit que c’était bon. Alors je vais faire un effort. Je vais encore écouter. » Jackie Berroyer est un « gars » sensé que l’on devrait lire plus souvent. Sa chronique mensuelle dans Vibrations, » Parlons peu parlons de moi « , est toujours pleine de bon sens, de phrases justes qui tombent à pic, l’air de rien, comme ça, mais qui en disent long. Berroyer y parle de tout et parfois de musique, ce qui est plutôt normal dans un magazine consacré aux musiques.
Enfin, en réalité, Berroyer ne parle que de ça – de musiques – mais fait mine de s’intéresser à autre chose. Parce que la musique est en toute chose, elle déborde le petit périmètre de l’objet cd ou de la scène de concert, et qu’au fond, pour l’apprécier à sa juste mesure, il faut savoir regarder en soi tout autant qu’autour de soi. La musique est là, il suffit de l’entendre. C’est nous et notre rapport au monde qui la faisons belle. « Méfiez-vous de Wagner, c’est plus beau que ça n’en a l’air » disait pour rigoler Mark Twain. On a oublié qui est Mark Twain, mais pas cette boutade. Les mots sont comme ça, ils nous effacent, les pingres. Aujourd’hui, on pourrait écrire : « Scott Walker, c’est plus beau que ça n’en a l’air ». Ce que voulait dire Twain, c’est que le beau ne semble pas toujours l’être. Qu’il y a beau et beau. Que la beauté est une quête. Et une guerre contre soi-même.
On oublie que la musique, comme tout art, ne connaît pas de frontières individuelles, échappe à toutes les juridictions morale ou esthétique, que son but n’est pas de nous servir la soupe en nous tirant des larmes. On attend toujours beaucoup d’un disque, surtout qu’il nous émeuve au plus vite, ce qui est, le croit-on, un signe de qualité. Mais c’est là confondre l’effet et la cause, l’affectif et le cognitif, omettre le périlleux cheminement vers le coeur de l’oeuvre. Nos émotions nous rendent parfois sourds. La musique, la nécessaire, la durable, ne se donne pas comme une femme soumise à notre bon vouloir. Il faut « faire un effort », comme le dit Berroyer, parfois s’oublier un peu, se rendre disponible, peut-être même davantage pour l’amadouer et en percer les nombreux mystères – si tant est que l’on puisse y parvenir un jour, présompteux que nous sommes. Jackie Berroyer nous le rappelle : « tachez de la mériter ». Car, souvent, elle nous le rend bien.